MOLCER n°1, janvier 2021, Pierre-Henri Lagedamon

Ces dernières années, les travaux portant sur les différents socialismes préexistant à la (difficile) introduction du marxisme en France ont connu un essor assez significatif . Ce réinvestissement par la recherche des théories et réalisations de ces socialismes longtemps qualifiés d'utopiques s'est par ailleurs accompagné d'une résurgence d'initiatives, qualifiées d'utopies « réelles » ou « concrètes », apparaissant comme de lointains échos de ces premiers socialismes nés principalement en France et en Angleterre dans la première moitié du XIXe siècle .

Ce regain d'intérêt pour ces premières effloraisons du socialisme croise par ailleurs ce qu'on a pu appeler un « retour à Marx » permettant d'expliquer les contradictions de plus en plus flagrantes d'un néolibéralisme trop longtemps débridé . Ce double mouvement de « retour aux sources », motivé par la quête de réponses politiques aux dégâts d'un capitalisme mondialisé, repose à nouveaux frais la question des relations entretenues par le marxisme avec ces premiers socialismes, et plus généralement celle du rapport du socialisme à l'utopie et à la science. Dans cette perspective, le texte d'Engels, construit à la demande de Paul Lafargue à partir d'extraits de l'Anti-Dühring et intitulé en France Socialisme utopique et socialisme scientifique (1880), apparaît incontournable dans la mesure où, du fait de sa très large et rapide diffusion dans le mouvement socialiste international, il a largement contribué à populariser cette dichotomie entre un socialisme réduit à l'utopie et un socialisme élevé au rang de science . Toutefois, les rapports entretenus par Engels – mais également par Marx, difficilement séparable de son plus proche ami et collaborateur – avec ces premiers socialismes ne peuvent être appréhendés uniquement au travers de ce texte didactique présentant une vision rétrospective de « l'évolution du socialisme de l'utopie à la science ». L'appréhension des textes du jeune Engels  permet notamment de saisir plus directement la réception critique des premiers socialismes par les deux fondateurs d'un socialisme scientifique en cours d'élaboration, et de préciser leur critique d'un socialisme alors qualifié de « critico-utopique » dans le Manifeste du parti communiste.

ENGELS, UN OBSERVATEUR ALLEMAND DU SOCIALISME EN ANGLETERRE ET EN FRANCE

Il est tout d'abord important de rappeler que le développement des idées socialistes et communistes s'est effectué suivant des modalités et des rythmes différents en fonction des contextes nationaux. Ces spécificités nationales sont toutefois relativisées par la circulation importante des idées qui permet notamment d'introduire en Allemagne les idées socialistes principalement françaises par différents types de médiateur. C'est ainsi qu'Engels comme Marx s'approprient dans un premier temps ces théories socialistes trouvant un certain écho au sein des Jeunes hégéliens qui entendent...

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