MOLCER n°1, janvier 2021, Leung Po-lung

Leung Po-lung, est un travailleur retraité. Depuis la fin des années 1980, il étudie l’histoire du mouvement ouvrier de Hong Kong, avec des historiens comme Chan Ming-kou de l’Université de Stanford. Leung Po-lung a bien voulu transmettre à notre revue, pour publication exclusive en français, sa récente monographie en chinois, Une histoire des débuts des travailleurs et du mouvement ouvrier de Hong Kong (2017), dont sont extraits les passages ci-dessous. On appréciera en particulier le rappel de pages oubliées de l’histoire du mouvement ouvrier, comme celle consacrée à la lutte des dockers de Hong Kong pour neutraliser les navires de guerre français de passage, en soutien à la lutte anticoloniale en Indochine à la fin du XIXe siècle.

Grèves politiques à l'époque coloniale

La première grève a éclaté en 1844, deux ans seulement après l'occupation britannique de Hong Kong en 1842. Elle s’opposait à de nouvelles taxes liées à une nouvelle loi sur l'enregistrement de la population et abordait d'autres problèmes tels que la discrimination raciale et la différence de classe. Pour des « raisons de sécurité », le gouvernement colonial britannique avait promulgué la « loi sur l’enregistrement de la population », obligeant tous les hommes de plus de 21 ans, « blancs » ou chinois, à s’enregistrer. Les frais d’enregistrement s'élevaient à cinq dollars pour le citoyen britannique et à un dollar pour le Chinois. De nombreux bourgeois britanniques étaient mécontents du fait que la différence entre les Britanniques et les Chinois ne soient que de quatre dollars et ils y voyaient un véritable déshonneur. Ces attitudes de supériorité raciale existèrent jusqu’à la rétrocession. Bien que ces hommes d'affaires fussent mécontents, ils savaient qu’ils étaient trop peu nombreux pour faire pression sur le gouvernement colonial. Ils ont tenté d'inciter les travailleurs chinois à faire grève pour attaquer le gouvernement colonial.
Lorsque celui-ci a annoncé cette loi, ils ont écrit à tort que les Chinois devaient payer un dollar par mois plutôt que par an. Les coolies  de la ville ne gagnant qu’environ deux à trois dollars par mois, ils n’hésitèrent donc pas à faire grève pour s’y opposer. Environ trois mille Hongkongais en grève ont quitté la ville et sont retournés en Chine continentale au cours de cette période.
La grève a duré trois mois et le gouvernement a été contraint de faire des concessions, en particulier à la bourgeoisie britannique. Les bureaucrates britanniques, le personnel de l'armée, les hommes d'affaires, les indépendants et quiconque gagnait plus de 500 dollars par an étaient dispensés d'enregistrement. Mais les membres des classes populaires devaient toujours s’enregistrer, et ces changements ne permettaient en rien de remédier à la discrimination raciale et de classe dans la législation d'origine. Les bourgeois britanniques et chinois ont accepté ces nouvelles règles et ont appelé à la reprise du travail. Les classes populaires ont repris le travail.
Les nouveaux amendements à la loi ont permis aux personnes privilégiées d'être exemptées d’enregistrement. La bourgeoisie chinoise et d’autres élites chinoises protégeaient leurs propres intérêts et finirent par ignorer les effets de la loi sur les classes populaires (dont une majorité significative n’était pas britannique). On peut dire que c’est une grève politique qui n’a finalement profité qu’aux classes supérieures au nom de « la justice ».
À mesure que les conditions politiques et économiques se développaient, Hong Kong continua à constater le pouvoir croissant de la bourgeoisie et des élites chinoises lors de grèves ultérieures. Les travailleurs ont été forcés de négocier avec trois forces lors de ces grèves : le gouvernement colonial, la bourgeoisie britannique et la bourgeoisie chinoise, chaque groupe défendant ses propres intérêts. Mon livre examine plus en détail la manière dont les théories d’Engels sur le travail et la conscience de classe peuvent être comprises dans l’histoire des mouvements de la classe ouvrière à Hong Kong.
L’histoire des grèves à Hong Kong au XIXe siècle présente une autre caractéristique unique : les travailleurs ont tendance à revenir sur le continent pendant la grève, reliant ainsi les mouvements de travailleurs de Hong Kong au développement de la Chine. Ces relations se sont développées jusqu'à la grève générale de 1925. Après quoi, la situation politique intérieure chinoise a basculé dans la tourmente et l'envie de partir pour le continent a rapidement...

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