Un premier bilan du centenaire du congrès de Tours

MOLCER n°2, Julien Chuzeville

Tout d’abord, signalons évidemment que la pandémie de Covid-19 a largement réduit les événements prévus à propos du centenaire du congrès de Tours : quasiment aucun débat public n’a pu avoir lieu. Passons en revue ce qui a néanmoins pu être produit, évidemment sans prétendre à l’exhaustivité.

Le Musée d’histoire vivante de Montreuil a monté une exposition sur le sujet, inaugurée le 1er octobre 2020. Elle replace le congrès de Tours dans la période 1914-1924, ce qui permet de restituer le contexte et les diverses facettes de l’événement. Au fil des salles, le visiteur passe de l’assassinat de Jaurès à la guerre, ses oppositions au sein du mouvement ouvrier, puis les débats quant à l’avenir du socialisme, quant à l’adhésion à l’Internationale communiste, enfin le développement du Parti communiste et – pour boucler la boucle – l’entrée de Jaurès au Panthéon. L’exposition rassemble des journaux d’époque, des tracts, des brochures, des cartes d’adhérent, de nombreuses photos, et même des documents uniques : des lettres manuscrites de plusieurs militants (dont une lettre de Léon Trotski à Amédée Dunois datant de 1915). Enfin, la dernière pièce de l’exposition est une reconstitution de la salle du congrès de décembre 1920.
La substance de cette riche exposition est reprise dans un catalogue intitulé Aux alentours du congrès de Tours, 1914-1924, scission du socialisme et fondation du Parti communiste (sous la direction de Véronique Fau-Vincenti, Frédérick Genevée et Éric Lafon). Il constitue un véritable ouvrage, avec de nombreux résumés historiques sur des points précis écrits par des autrices et auteurs venus d’horizons variés. L’iconographie est particulièrement soignée, et même les spécialistes peuvent y découvrir certains documents inédits.

Les livres qui ne traitent que du PC

Concernant l’édition, des livres sont parus retraçant non pas l’histoire du congrès de Tours, mais l’ensemble du siècle d’histoire du PC, devenu plus tard PCF. Le premier ouvrage publié, en septembre 2020, est signé de trois historiens : Roger Martelli, Jean Vigreux et Serge Wolikow, Le Parti rouge, une histoire du PCF, 1920-2020 (éditions Armand Colin). Concernant la création et les débuts du PC, l’ouvrage souffre d’approximations et sous-estime l’importance des oppositions au sein du mouvement ouvrier en France sur les questions fondamentales de l’époque : la guerre, les manifestations interdites, l’attitude face au gouvernement en général, l’horizon d’attente des militants (révolution mondiale, ou lente conquête du pouvoir ?). La dynamique qui mène au vote de Tours se voit dans l’essor des courants internationalistes révolutionnaires qui avaient combattu la guerre, les militants du Comité pour la reprise des relations internationales devenu Comité de la 3e Internationale, ce qui se traduit par la forte progression au sein de la SFIO du courant emmené par Fernand Loriot. Les éléments sont nombreux qui montrent que Frossard et Cachin pèsent beaucoup moins que ce qu’écrivent les auteurs de cet ouvrage, et l’adhésion à l’Internationale communiste aurait pu être majoritaire à Tours même sans leur ralliement tardif. La référence à l’ « ultragauche » (p. 32), pour désigner semble-t-il le courant de Boris Souvarine et Alfred Rosmer dans le PC des premières années, surprend fortement puisque les positions politiques en question ne se rattachent pas à cette sensibilité militante. Au contraire, la gauche du PC de 1922-1923 était favorable au Front unique et à l’unité avec les syndicalistes révolutionnaires (dont venaient Rosmer, Pierre Monatte et beaucoup d’autres membres de ce courant).
L’origine de certaines citations n’est pas indiquée, et il arrive que des chiffres varient d’une page à l’autre : le PC de 1921 compte 130.000 adhérents à la page 31, mais 109.000 à la page 277 ; le PC de 1925 dirige 25 mairies à la page 298, mais 70 à la page 299. Concernant les décennies suivantes, l’emploi de termes de propagande pose problème : peut-on reprendre l’expression mensongère « démocraties populaires » sans la critiquer, sans expliquer clairement qu’il s’agissait en réalité de...

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