MOLCER 5, Nikos Papadatos

Préambule

La compréhension de l'histoire de la guerre civile grecque n'est possible que par l’étude approfondie des événements historiques qui se sont produits dans chacun des camps, entre les « monarcho-fascistes », les combattants de l’Armée nationale, alliés de Londres puis de Washington, et les maquisards grecs, les Andartès de l’Armée démocratique de Grèce, alliés de Moscou. Bien que l’historiographie internationale ait largement contribué à mettre en relief des aspects essentiels de cette guerre, les récents travaux helléniques restent ignorés, entre autres, pour des raisons objectives dans la mesure où la langue grecque est difficilement accessible aux chercheurs. Deux livres grecs significatifs, partant de prémisses radicalement opposées, ont déjà marqué la conscience des hellènes : l’Histoire de la guerre civile grecque (1946-1949) de Giorgos Margaritis, qui met en évidence les sacrifices du mouvement de résistance et les luttes de la gauche pendant cette période, et La lutte antigang. 1945-1949 de Dimitrios Zafeiropoulos dédié en réalité à tous ceux qui donnèrent leur vie au nom de la lutte contre le communisme, sous toutes ses formes, en Grèce. Or, ces livres, si précieux  soient-ils, comme tant d’autres recherches académiques, dont bien entendu, celles de Nikos Marantzidis et de son équipe qui ont déjà publié une série de documents originaux venant des ex-démocraties populaires de l’Europe de l’Est, ne suffisent nullement à combler les lacunes patentes de l’historiographie dues manifestement à une connaissance insuffisante, voire à l’ignorance absolue des sources d'archives russes, qui sont extrêmement importantes puisque l'Union soviétique a également joué un rôle important dans la guerre civile grecque.

L’ouverture des archives russes 

Une contribution décisive à l'étude de cette période historique, extrêmement importante pour l’histoire contemporaine de la Grèce, fut la nouvelle réalité apparue au lendemain de la chute de l'URSS, quand les « barrières » dressées par l’ancien Parti communiste de l'Union soviétique, autrefois puissant, et par le département international correspondant, qui alors déterminaient l'accès aux archives soviétiques, furent abolies. Depuis lors, dans la mesure où la Fédération de Russie, qui succède à l’URSS, n'a pas été identifiée au régime soviétique, de nombreux documents, progressivement déclassifiés en vertu de décisions ministérielles pertinentes de l’État russe, sont devenus accessibles. Il s'agit en réalité d'une véritable « révolution cognitive », car elle nous offre une occasion unique de nous appuyer sur des preuves historiques concrètes, modifiant ainsi non seulement nos approches de l'histoire du dit conflit mais aussi notre appréhension de l’histoire du XXe siècle. Par conséquent, à la bibliographie déjà existante - certes abondante - de l'histoire de la guerre civile grecque, comme l’avait déjà mentionné le professeur grec Nikos Marantzidis dans un de ses récents articles dans le journal grec Kathimerini, s’ajoute mon livre Strictement confidentiel. Les rapports entre le KKE et le PCUS : 1944-1952 écrit à partir de sources russes de première main. Ce travail, à la lumière de nouvelles données, est une analyse méthodique des archives ex-soviétiques concernant la guerre civile et les relations complexes entre le KKE et l'Union soviétique. Or, de 2019 à aujourd'hui, un certain nombre d’autres documents déclassifiés liés à la guerre civile grecque peuvent apporter un éclairage supplémentaire sur d'autres aspects de cette guerre. Dans les limites de cet article, nous allons présenter les principaux résultats de nos recherches publiés en 2019 et par la suite, nous ajouterons certaines données factuelles dérivées directement des archives russes afin de souligner l’importance des sources primaires à la compréhension des enjeux politiques de l’époque, tant internes qu’externes, autour de la guerre civile grecque.

En particulier, dans mon livre grec Strictement confidentiel…, mentionné ci-dessus, j’examine les décisions de la direction du KKE de manière combinée, en mettant en évidence le contexte spécifique de l'interaction entre l’Union soviétique et le parti grec. Plus précisément, l'Union soviétique, de 1944 à 1952, c'est-à-dire tout au long de la période étudiée, avait comme objectifs principaux ce qui suit :

a. L'écrasement de l'Allemagne nazie

b. la création d'un monde d'après-guerre dans lequel les puissances occidentales ne s'uniraient pas contre Moscou

c. la préservation des « trophées » d'après-guerre de l'Armée rouge, afin de réaliser la nécessaire reconstruction économique de l'Union soviétique

d. la création de « satellites » qui constitueraient la première ligne de défense militaire en cas d'intervention occidentale 

e. la création de « démocraties populaires » c’est-à-dire de systèmes sociaux concurrents qui feraient pression sur les gouvernements occidentaux par le biais des revendications des travailleurs.

Dans le même temps, la pénétration et la promotion des modèles soviétiques de gouvernance à l'Ouest ont été recherchées, de manière progressive et prudente, en fonction des conditions internationales générales. Ces objectifs stratégiques bénéficiaient, au niveau tactique, de toute l'activité précédente des partis communistes occidentaux et balkaniques, qui luttaient pour défendre l'Union soviétique depuis la période dite de la « bolchevisation » imposée par le Komintern et Staline lui-même, à partir de 1931 en ce qui concerne le cas grec Les dirigeants du KKE considéraient l'Union soviétique comme un modèle d'État socialiste. Pour eux, l'Union soviétique et le communisme étaient des concepts identiques. En dehors de l’erreur flagrante de cette appréciation, fait reconnu par Nikos Zachariadis, le secrétaire général du parti pendant la guerre, lui-même à la veille de son suicide tragique en Sibérie en août 1973, l’essentiel ne réside pas là. Au contraire, ce qu’il faut retenir, dans les limites cet article, c’est que la politique du KKE, comme la politique des partis communistes de France et d'Italie, au cours de la période en question, fut instrumentalisée par les dirigeants soviétiques comme un « fer de lance » tactique visant à promouvoir les objectifs stratégiques susmentionnés. Parallèlement, les directions des partis communistes occidentaux - le KKE ne faisait pas exception - ont volontairement « subordonné » - en fait, aligné - leur action aux « besoins internationalistes plus larges du mouvement communiste mondial », c'est-à-dire aux décisions politiques de l'URSS en matière de politique internationale. Même si nous admettons qu’il s'agissait d'une « relation dualiste » entre deux pôles, l'Union soviétique et les partis communistes occidentaux, et non d'une situation imposée unilatéralement « par les forces du totalitarisme », comme le voulait et le veut encore une école de pensée qui a atteint son apogée au cours de la Guerre froide, la question reste la même : quelle fut la stratégie soviétique vis-à-vis des maquisards grecs ?

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