MOLCER 1, Jean-Pierre Plisson

Benjamin Péret (1899-1959) est le poète surréaliste célèbre et parfaitement méconnu, que l’on ne connaît que par le témoignage de quelques amis. A sa mort, la revue l’Express (1.10.1959) pas spécialement bien disposée envers la poésie et le surréalisme, lui accordait pourtant ce crédit : « Peut-être fut-il jusqu’au bout le plus authentiquement surréaliste. Il laisse une œuvre polémique et poétique considérable […] Il reste à la postérité à lui rendre la justice qu’il mérite. » Alors, pourquoi plus de cinquante après, la postérité se laisse-t-elle tant désirer ?                 

L’écriture automatique

    Cette persistante conspiration du silence autour de lui dans les médias (presse, édition, débats universitaires) tient sans doute d’abord à l’idée que se faisait Péret de la destination de la poésie. Pour le surréalisme, la poésie n’est pas un « recours » à l’ennui, encore moins un divertissement. Tournée vers la connaissance de l’homme, elle est un indicateur du progrès de la société, tel que Trotsky l’avait compris et exprimé dans son hommage à Essénine : « Nous avons perdu Essénine, cet admirable poète […] Son ressort lyrique n’aurait pu se dérouler jusqu’au bout que dans une société harmonieuse […] mais viendront d’autres temps que préparent les luttes actuelles. La personnalité de l’homme s’épanouira comme une fleur, comme s’épanouira la poésie. La révolution arrachera pour chaque individu le droit non seulement au pain mais à la poésie. » (La Pravda, 19.1.1926).
    Mais parmi les poètes, Péret est un cas très particulier. Dès 1921, il se livre sans retenue à « l’écriture automatique », ce puissant stimulant de l’imagination dont le « filon précieux » a été mis à jour par André Breton et Philippe Soupault dans Les Champs magnétiques (1919). Ce don de « partance » est en chacun de nous, disait-il : « Qui n’a pas vécu pendant son sommeil une ou plusieurs vies trépidantes, tourmentées, autrement plus réelles et plus prenantes que la misérable vie quotidienne ? [...]  Écrivez le plus vite possible pour ne rien perdre des confidences qui vous sont faites sur vous-mêmes et surtout ne vous relisez pas [...] forcez la porte de l’inconscient [...] Une botte d’asperges qui n’avait pas tout à fait sept lieues s’exténue à découper un arc-en-ciel dans une boîte à cirage. L’arc-en-ciel court sur la plage à la recherche d’une pipe en écume… ». Sans que cette pratique de l’automatisme ne soit un absolu, ou encore moins une « technique », elle irrigue ses plus fameux textes poétiques. Breton en parle ainsi dans L’Anthologie de l’humour noir (1950) : « Avec Benjamin Péret […] la censure ne joue plus, on excipe du" tout est permis" […] L’humour jaillit ici comme de source. » 
    Donnons l’exemple de ce texte La nature dévore le progrès et le dépasse (Le Minotaure, 1937) encadré par la photographie d’une locomotive dévorée par la jungle, et par celle d’un sapin sortant d’un saule : « La vie aime et tue, caresse passionnément d’une main assassine ce qu’elle adore […] Le sang appelle les fleurs qui sanglotent et les fleurs tuent mieux qu’un pistolet. Elles tuent le pistolet. » Ici, nulle obscurité littéraire, mais la traduction au plan de l’immédiateté poétique du mouvement incessant de la matière passant d’un état à un autre, de cette dialectique de la nature dont Engels a fait un livre magnifique en 1884, autorisant un proche de Péret à écrire : « cette poésie est révolutionnaire, militant à sa manière […] pour une véritable expropriation de la beauté classique, pour une totale collectivisation du merveilleux. ».  
    Mais ce poète veut changer la vie dans sa totalité. Sa détermination inébranlable en faveur de l’émancipation sociale et politique de l’homme en y participant lui-même comme militant communiste, lui confère par là aussi, une place unique et centrale dans l’histoire du surréalisme. Quand il se fera découvreur et commentateur passionné des mythes primitifs des civilisations précolombiennes d’Amérique, Péret posera ce postulat : « Le poète actuel n’a pas d’autre ressource que d’être révolutionnaire ou de ne pas être poète, car il doit sans cesse se lancer dans l’inconnu […] C’est à ce prix seulement qu’il peut se dire poète et prétendre prendre une place légitime à l’extrême pointe du mouvement culturel, là où il n’y a à recevoir ni louanges ni lauriers, mais à frapper de toutes ses forces pour abattre les barrières sans cesse renaissantes de l’habitude et de la routine. » (Préface à l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique, Albin Michel, 1960).

L’Espagne

      Son itinéraire politique est impressionnant. Rescapé de la guerre de 14-18, Péret fut le premier des surréalistes à adhérer au Parti communiste dès l’automne 1925, avant de le quitter vers juin 1927, lorsque celui-ci devient l’instrument de la politique contre-révolutionnaire de Staline (exclusion, puis bannissement de Trotsky). Il rejoint alors le combat des communistes oppositionnels organisés autour de Trotsky, qui combattent pour le redressement politique des partis communistes et qui s’exprime en France avec l’ex-surréaliste Pierre Naville dans la revue Clarté, qui deviendra La Lutte de Classes, puis La Vérité, organe de la Ligue communiste internationaliste (1930). 
    La rencontre avec Mario Pedrosa, journaliste et critique d’art brésilien, communiste oppositionnel du PC brésilien, le décide à partir au Brésil. Il fait aussi des conférences sur le surréalisme, publie 13 articles sur les rites brésiliens du candomblé et de la macumba, et entreprends des recherches pour un ouvrage relatant la révolte de la Chibata (qui prendra le titre de l’amiral noir) ainsi que la traduction de l’espagnol en portugais de Littérature et Révolution de Trotsky. Ces deux derniers manuscrits seront saisis par la police lorsqu’il sera arrêté le 10 décembre 1931 et séquestré sous mandat d’expulsion, comme « élément nuisible à la tranquillité publique et à l’ordre social ». Contraint alors de quitter le Brésil, il repart en France le 30 décembre 1931.
De retour à Paris, il est admis le 20 mars 1932 au syndicat CGT des « correcteurs et teneurs de copie » dont Alfred Rosmer est membre depuis 1926 (il y sera adhérent au moins jusqu’au 2 mars 1941). Il signe le 10 février 1934 « Appel à la lutte » initié par André Breton, « appel pressant à toutes les organisations ouvrières » pour la « Grève générale » dans « l’unité d’action » signé par 90 intellectuels, en riposte aux provocations des ligues fascistes, ainsi que la déclaration surréaliste Planète sans visa du 24 avril contre la menace d’expulsion de Trotsky hors de France. Les grèves ouvrières de juin 1936 conduisent les trotskystes à se réorganiser dans un seul parti. Le « Parti ouvrier internationaliste » (POI), section française de la IVe internationale est proclamé le 2 juin 1936. Péret rejoint ce parti dès sa fondation avec son ami Léo Malet.
En Espagne le 18 juillet 1936, la grève générale éclate en riposte au soulèvement militaire du général Franco. Péret est mandaté avec le cinéaste Pierre-Léopold Sabas et Jean Rous, membre du secrétariat international de la IVe internationale, pour une mission définie par la Conférence du « Mouvement pour la IVe internationale » (dite de Genève, tenue à Paris du 29 au 31 juillet 1936). L’objectif est de rechercher les conditions d’un travail en commun avec le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) que Trotsky espère encore possible, telle que l’atteste une lettre qu’il écrit à Rous le 16 septembre, où il se dit prêt à venir en Espagne, si un visa lui est accordé. Ils sont à Barcelone le 5 août et Péret rejoint bientôt la colonne Lénine du POUM.  
Le 11 août, il écrit à Breton une lettre enthousiaste : « Les anarchistes sont pratiquement les maîtres de la Catalogne et la seule force qu’ils aient en face d’eux est le POUM […] Nous avons 15 000 hommes armés et ils en ont 40 à 50 000. Les communistes qui ont fusionné avec trois ou quatre petits partis sont une force négligeable. Dans leur journal, ils ont déclaré vendredi qu’il ne s’agissait pas de la révolution prolétarienne, mais de soutenir la république et que quiconque tenterait de faire la révolution les trouverait avec leurs milices en face d’eux. Ils annoncent donc leur intention de saboter la révolution, mais je ne crois pas qu’ils en aient le pouvoir. » Il lui annonce qu’il va « partir au front ces jours-ci en mission politique. »
Mais les désaccords vont très vite s’exprimer au grand jour entre la direction du POUM et les trotskystes. Après l’amputation d’un article de Trotsky dans La Batalla et le refus que soit déployé le drapeau de la IVe internationale lors des obsèques début septembre du militant du POI tombé sur le front de Huesca, Robert de Fauconnet, les deux délégués du POI et le secrétaire international de la IVe internationale sont expulsés des locaux du POUM, au motif d’un travail fractionnel au compte de celle-ci. Péret résume à Breton la situation dans sa lettre du 5 septembre : « Ici, on retourne doucement à l’ordre bourgeois. Tout le monde s’avachit lentement. Les anarchistes s’embrassent sur la bouche avec les bourgeois de la gauche catalane et le POUM leur fait des sourires à n’en plus finir. Il n’y a plus d’hommes armés dans les rues de Barcelone comme lorsque je suis arrivé. La Généralité (c’est-à-dire les bourgeois) a tout repris en mains - encore que ces mains soient tremblantes - et les révolutionnaires du 19 juillet collaborent loyalement avec elle. » La mission a échoué. Jean Rous rentre à Paris le 7 septembre, laissant Péret en Espagne. 
Les contacts des trotskystes avec le POUM vont gravement se détériorer, quand celui-ci, après le soutien proclamé de la CNT au gouvernement de « Front populaire », décide le 27 septembre de rentrer à son tour dans le gouvernement de Catalogne « la Generalitat », en la personne de Nin lui-même, nommé conseiller à la Justice. La première tâche de ce gouvernement fondé sur une alliance des partis ouvriers (CNT-FAI, PSUC (PC), POUM) avec un secteur « républicain » de la bourgeoisie (ERC), opposé à toute mesure de collectivisation des terres et de l’industrie, sera de dissoudre, dès le 1er octobre, le comité central des milices ouvrières issu des journées révolutionnaires de juillet pour le subordonner à l’armée régulière républicaine. Cette décision est suivie d’un décret le 27 octobre, précisant que « ceux qui conserveraient des armes, après le délai fixé, seraient considérés comme fascistes et jugés avec toute la rigueur que leur conduite mérite. » Le POUM cherche alors à isoler les trotskystes dans la colonne Lénine  qu’il contrôle et qu’il va dissoudre. 
Péret écrit alors à son ami, le surréaliste Edouard-Léon-Théodore Mesens : « les staliniens sabotent la révolution en voulant la limiter au soutien de la démocratie bourgeoise, dont personne ici - sauf la gauche républicaine, naturellement - ne veut plus. » En phase avec l’atmosphère de délation organisée depuis le 1er « procès de Moscou », ce sabotage  de la révolution s’exprime clairement dans La Pravda du 17 décembre : « Pour ce qui concerne la Catalogne, la purge des trotskystes et des anarcho-syndicalistes a commencé : elle sera menée à bien avec la même énergie qu’en URSS. » L’oukase de Moscou est tombé, et le POUM stigmatisé comme « fasciste-trotskyste » par les staliniens, est exclu de la Generalitat ce jour-là.
À Barcelone, Péret se lie au groupe trotskyste reconstitué en novembre autour de Grandizo Munis qui sera en avril 1937 la « section des bolchéviks-léninistes d’Espagne, pour la IVe internationale » (SBLE La Voz leninista), où se retrouvent Jaime Fernandez Rodriguez (toujours au POUM, avec son cousin le peintre surréaliste Eugenio Fernandez Granell), Carrasco, vieil ami de Munis, Carlini, Hans David Freund dit « Moulin », jeune étudiant allemand lié au POI, et quelques autres. Assistant fin novembre à la mobilisation du peuple de Barcelone face à ce qu’il croit être la tentative d’un débarquement fasciste par la mer, il écrit à Breton : « Une seule résolution se lisait sur tous les visages "No pasaran" [...] La révolution russe a été invincible, parce qu’elle [...]  avait décrété que personne ne pourrait plus opprimer quiconque au nom de la richesse, que le travail d’esclavage abrutissant, deviendrait seulement une nécessité vitale comme celles de respirer et de manger [...] le peuple espagnol [...] attend de "sa" révolution qu’elle suive la même voie, qu’elle libère le travail en supprimant le capital [...] La révolution qui se reconnaît comme telle est invincible. »
En février 1937, l’Espagne républicaine est à un tournant. Le SBLE prévient du danger qui menace : « Le Front populaire se propose comme objectif principal de liquider toutes les conquêtes révolutionnaires obtenues à la suite du 19 juillet [...] Il est impératif, il est nécessaire de former un front révolutionnaire du prolétariat [...] Sinon les révolutionnaires seront pourchassés comme aux meilleurs temps de la réaction. » Le 26 avril, les avions de la Légion Condor de Hitler, allié de Franco, bombardent la petite ville basque de Guernica, faisant plus de 1 600 morts parmi les 7 000 habitants.  
Suivant les conseils que donne alors Trotsky à ses camarades, Péret indique en mars à Breton qu’il a rejoint la 26e division, la « Division Durruti » (du nom du dirigeant anarchiste, mort en novembre 1936 sur le front de Madrid) et qu’il combat sur le front d’Aragon. Mais se sentant menacé, il quitte l’Espagne pour Paris, dans la dernière semaine d’avril 1937. Il examine dans un dernier texte, le tournant critique dans lequel se trouve la révolution espagnole, et considère que seul un appel de la direction de la CNT-FAI auquel ne manquerait pas de répondre la masse des travailleurs, pourrait encore sauver la situation. 
Cet appel ne se fera pas. Quelques jours après le départ de Péret, la République espagnole va être atteinte en son cœur même. À Barcelone, du fait des tensions politiques, la manifestation du 1er mai est annulée par les autorités. George Orwell qui vient de combattre pendant quatre  mois sur le front d’Aragon dans une milice du POUM, ne reconnaît plus la ville qu’il avait connue en décembre 1936 : « Quel drôle d’état de choses ! Barcelone, la ville soit-disant révolutionnaire par excellence, fut probablement la seule ville de l’Europe non-fasciste où il n’y eut pas de commémorations ce jour-là. » Le 3 mai, les ouvriers révolutionnaires de Barcelone et avec eux, « les Amis de Durruti », les trotskystes de la SBLE, des militants du POUM et de la CNT, affrontent les gardes civils envoyés par le Parti communiste catalan (PSUC) pour se saisir du Central Telefonica tenu par des militants de la CNT. Cette provocation est soutenue également par la direction de la CNT. Le 6 mai, le Central Telefonica est abandonné aux staliniens par les anarchistes de la CNT. Au soir du 7 mai, les 1 500 gardes d’assaut demandés par la Generalitat au gouvernement central de Madrid, et un détachement de carabiniers envoyée par le gouvernement républicain de Valence, font leur entrée à Barcelone. Sur insistance des ministres du gouvernement central et des dirigeants de la CNT, Garcia Oliver et Federica Montseny appelant à la réconciliation, le POUM donne l’ordre de quitter les barricades, estimant qu’a été « déjouée la provocation contre-révolutionnaire ». Les combats n’en continuent pas moins jusqu’au 8 mai, faisant plus de trois-cent morts et des milliers de blessés. 
Le PSUC demande alors la mise hors-la-loi du POUM. Le gouvernement Caballero s’y refusant, un nouveau gouvernement central de front populaire dirigé par le socialiste et agent stalinien Juan Negrin Lopez, écartant l’UGT et la CNT, est mis en place le 17 mai. La répression qu’organise alors en plein jour le NKVD, la police secrète de Staline, avec l’aide des gardes d’assaut, s’abat brutalement sur les ouvriers révolutionnaires et sur tous ceux qui s’opposent à sa politique, faisant des centaines de morts et plus d’un millier de blessés. Les trotskystes Erwin Wolf, Carrasco et Hans Freund sont enlevés et assassinés. Le 15 juin, quelques jours après le dernier des procès de Moscou qui voit l’exécution des principaux chefs de l’Armée rouge, le POUM, accusé par les staliniens d’ « hitlero-trotskysme » est dissout, ses journaux interdits et ses dirigeants arrêtés. Son dirigeant Andrès Nin sera torturé à mort par le NKVD, sans jamais donner à ses bourreaux le moindre renseignement qui aurait permis à ceux-ci d’accuser le POUM de « haute trahison ». Le 10 août, des unités commandées par Enrique Lister (PSUC) sont envoyées par le gouvernement Negrin sur le front d’Aragon, pour mettre fin à la collectivisation des terres. La révolution espagnole est brisée de l’intérieur. « La guerre est finie » dira Franco, lors de l’entrée de son armée à Madrid, le 28 mars 1939.
De retour à Paris, Péret retrouve ses amis surréalistes mobilisés contre les procès de Moscou et participe aux expositions surréalistes internationales (Londres, juin 1936, Tokyo, juin 1937, Paris, janvier 1938). Il signe en septembre 1938 le manifeste « Pour un art révolutionnaire indépendant » que Breton a signé à Mexico avec Trotsky. Quand la seconde guerre mondiale éclate, le deuxième classe Péret est incorporé à Nantes, puis du fait de son activité militante active au POI, emprisonné pendant un mois à Rennes. Libéré, mais n’ayant pas obtenu de visa pour New-York, Péret trouve refuge au Mexique. C’est là qu’avec son camarade espagnol George Munis, il va exprimer de graves divergences avec le programme de la IVe internationale, qui le conduira en juillet 1948 à quitter sa section française, le PCI. Les divergences resteront, mais ne l’empêcheront pas de renouer la discussion avec ses anciens camarades, dans le combat commun avec ses amis surréalistes pour l’indépendance algérienne aux côtés de Messali Hadj, mais aussi en faveur des insurgés polonais et hongrois de 1956, puis de dénoncer avec eux l’État corporatiste mis en place par De Gaulle en juin 1958.

Le Déshonneur des poètes

 A ces qualités de poète et de militant révolutionnaire, difficilement dissociables chez Péret, ajoutons que son apport théorique est immense. De son exil mexicain, il écrit un texte qu’il envoie à Breton, qui lui répond avec enthousiasme : « Tu donnes du premier coup […] le premier grand texte manifeste de cette époque ». Celui-ci le publie à New-York en 1943, avec les signatures de tous les surréalistes « qui déclarent faire leurs toutes ses conclusions » sous le titre La parole est à Péret : « cette anthologie indique clairement que la pensée poétique apparaît dès l’aurore de l’humanité […] sous l’aspect du mythe qui préfigure la science, la philosophie […] L’oiseau vole, le poisson nage et l’homme invente car, seul dans la nature, il est doté d’une imagination toujours aux aguets, toujours stimulée par une nécessité sans cesse renouvelée. » Ce texte constituera le début de la préface à son Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique.  
    Toujours de son exil mexicain, il écrit et fait publier à Paris sous le manteau, un manifeste audacieux Le Déshonneur des poètes (février 1945), qui lui vaudra la haine des tenants et associés du « réalisme socialiste ». Prolongeant le manifeste Breton/Trotsky, il y parle en termes à la fois simples et définitifs, des rapports de la poésie authentique avec la connaissance et la révolution. Le poète ne peut être que révolutionnaire, affirme-t-il, et à deux titres : au plan d’une politique d’émancipation réelle de la classe ouvrière et de toute l’humanité avec elle, mais aussi au plan de l’expression poétique elle-même, libre de son fonctionnement interne, les deux plans se rejoignant sans se confondre dans le mouvement émancipateur collectif. 
    Péret parle ici au compte de tous les poètes du passé et de l’avenir, leur assignant un rôle historique nouveau, véritablement actif et « progressiste », mettant à bas définitivement toute littérature de commande ou de circonstance (« engagée »). Il y avait là évidence pour Péret : « Si l’on recherche la signification originelle de la poésie, aujourd’hui dissimulée sous les mille oripeaux de la société, on constate qu’elle est le véritable souffle de l’homme, la source de toute connaissance et cette connaissance elle-même sous son aspect le plus immaculé […] elle éclate dans la lettre d’amour, mitraille le peloton d’exécution qui fusille l’ouvrier exhalant un dernier soupir de révolution sociale, donc de liberté… » (Le Déshonneur des poètes, OCP 7, p. 7). La poésie qui « éclate dans la lettre d’amour », Péret en retracera aussi le parcours au fil des siècles, dans sa longue préface « Le Noyau de la comète » à son Anthologie de l’amour sublime (Albin Michel, 1956). Les exemples qu’il nous présente de cet amour sublime impliquant « la plus complète liberté sexuelle », dont il fait à la suite de Novalis « le but final de l’histoire universelle », vont d’Apollonios de Rhodes à Léo Ferré, en passant par Héloise, Shakespeare, Goethe, les romantiques anglais, allemands et français, Balzac, Stendhal, Baudelaire, Essénine et Breton. 
    Péret nous étonne encore, quand après une hospitalisation pour de sérieux problèmes cardiaques, il repart au Brésil de juin 1955 à avril 1956 pour enrichir son étude des arts de ce pays, mais aussi observer en ethnographe les indiens de la forêt amazonienne. Prenant des notes et des photographies, il publiera divers articles, dont on peut aujourd’hui constater l’intérêt par l’édition récente qu’il leur a été consacrée, où la poésie est toujours présente4. Il y rédigera également une étude sur Le Quilombo des Palmares (histoire d’une communauté d’esclaves fugitifs au 17e siècle, qui a résisté pendant cinquante ans aux forces portugaises). Mais là encore, pas de repos sur le plan politique. Péret est arrêté début avril 1956 en vertu du mandat d’expulsion de 1931. Il sera libéré une semaine après grâce à une vigoureuse campagne d’opinion.
     Mais dans la vie en accéléré qui fut la sienne, Péret n’était pas seul. Reprenant certains accents de Je ne mange pas de ce pain-là, il exalte dans le poème Toute une vie (1949), son accord de toujours avec André Breton : « Lâchez tout disais-tu pour voguer sans nord et sans étoile à travers les tempêtes […] Liberté liberté couleur d’homme avais-tu déjà crié au milieu d’oreilles en ciment armé […] C’est cela André qui nous rassemble en grains d’un même épi […] Lâchez tout. » Cette fidélité à soi-même et au surréalisme qui marque la vie de Péret, marquera les nombreux témoignages qui suivront sa disparition : « Que les jeunes génération sachent, avant de "découvrir" son oeuvre, qu’il fut aimé, estimé, respecté. » écrivit Maurice Nadeau (France-Observateur, 1.10.1959). « Benjamin Péret, poète d’un seul tenant, est mort très riche, laissons les critiques s’en apercevoir après-demain. » dit alors malicieusement Julien Gracq (Arts, 30.9.1959). 
    Ses camarades ne l’oublieront pas. Poursuivis depuis des mois par le Tribunal militaire pour « délit d’opinion » pendant la guerre d’Algérie, et dans l’incapacité de publier régulièrement leur journal, un hommage à Péret n’en paraîtra pas moins en juin 1960 dans La Vérité, sous la plume d’Henri Langlois (Marc Gauthier) : « si l’œuvre de Péret nous attache (il faudra bien reconnaître en lui, de gré ou de force, un des plus grands poètes de ce temps), c’est que le poète Péret s’adresse à l’homme totalement [...] Parler d’échec du surréalisme en passant sous silence les défaites ouvrières et l’échec de la révolution en Europe durant les quarante dernières années, c’est fausser ce problème [...] un renouveau communiste s’accompagnera inévitablement d’un renouveau surréaliste. [...] On pourrait dire que le surréalisme est le communisme de l’esprit ».  

 

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