MOLCER 6,  Marc Belissa

On a trop souvent sous-estimé, à la suite d'Hannah Arendt, le rôle des mobilisations populaires dans la révolution américaine, "réussite triomphale" exempte des contradictions sociales qui auraient, de ce côté de l'Atlantique, fait "déraper" la Révolution française. L'artcile de Marc Belissa montre qu'elles furent, bien au contraire, une condition de l'élargissement d ela démocratie.

La Révolution américaine possède une dimension sociale admise aujourd’hui par l’historiographie . Parfois décrites comme une révolution à l’intérieur de la Révolution, les protestations populaires ont été les éléments moteurs de la radicalisation des colonies dans leur combat initial contre la politique fiscale du gouvernement anglais. Sans mobilisations et protestations populaires, les élites coloniales auraient été démunies face à la puissance anglaise. Ce sont les foules émeutières et militantes qui furent les acteurs principaux de cette contestation. Il est certain que la majorité des notables coloniaux ne souhaitaient pas la rupture avec l’Angleterre avant 1776, ce furent les mobilisations populaires qui les poussèrent dans une direction que peu d’entre eux avaient prévue ou voulue.
Les principales mobilisations populaires (ou en tout cas les plus spectaculaires) eurent lieu à Boston, Newport, New York et Albany en 1765-1766 lors de la Stamp Act Crisis, à Boston à nouveau en 1768 lors des Liberty Riots, à Golden Hill dans la province de New York en 1770, à Boston la même année lors de la King Street Riot (connue sous le nom de Boston Massacre), à Providence dans le Rhode Island lors de la destruction du vaisseau des douanes Le Gaspée en 1772, à nouveau à Boston lors de la Tea Party l’année suivante, dans le Massachusetts rural en 1774 contre les Coercive Acts et évidemment lors des premiers combats de Lexington et Concord qui marquèrent le début de la guerre civile. La destruction du gouvernement de la Pennsylvanie en 1776 fut également le fruit d’une émeute populaire. Mais ces événements extraordinaires n’épuisent pas la liste de la contestation sociale populaire. Le mouvement des Regulators dans les deux Carolines entre 1765 et 1771, l’insurrection des tenanciers de la Baie d’Hudson, les troubles du Vermont contre les autorités de New York en 1777, etc. contribuèrent également à l’atmosphère révolutionnaire des presque deux décennies entre 1765 et 1783. Mais les émeutes populaires en elles-mêmes ne pouvaient déboucher automatiquement sur un mouvement révolutionnaire, d’autres ingrédients étaient nécessaires et parmi ceux-ci, l’organisation.


Des Sons of Liberty au radicalisme républicain
La première forme d’organisation des manifestations populaires dans la Révolution américaine fut la création des Sons of Liberty en 1765. Ce terme venait d’un discours du colonel Barré, un opposant anglais au Stamp Act qui l’avait employé et qui fut repris en Amérique. Le premier groupe de Sons s’appelait les Loyal Nine. Ils organisèrent le boycott des produits anglais et la contestation à Boston. D’autres groupes similaires apparurent pendant la Stamp Act crisis de Charleston en Caroline du Sud (Charleston Fire Company) à Portsmouth dans le New Hampshire, en passant par Newport (The Respectable Populace). Formellement, les Sons of Liberty cessèrent d’exister après l’abrogation du Stamp Act mais en réalité les réseaux d’organisation et de correspondance survécurent et le terme Sons of Liberty devint une dénomination générique pour désigner les militants intervenant à tous les échelons (du village à la province). Les groupes de Sons étaient composés d’artisans, de petits commerçants et de quelques hommes de lettres ou de loi, de niveau inférieur le plus souvent. S’y ajoutaient parfois quelques membres de la gentry locale (surtout en Virginie et dans le Maryland où la vie urbaine était restreinte). Si la plus grande partie de ces artisans n’est pas passée à la postérité, ce n’est pas le cas des hommes de lettres qui y participèrent. Samuel Adams est le plus connu d’entre eux. Il était diplômé de Harvard et joua un rôle de premier plan dans l’organisation et la popularisation des thèmes radicals dans la presse et dans ses écrits. Le docteur Thomas Young, un New-Yorkais non conformiste et autodidacte, contribua à répandre le modèle des Sons à Albany, à Newport et à Philadelphie....
 

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