MOLCER 6,Rémy Janneau

En juillet 1921, à Shanghaï, une douzaine de délégués représentant 57 militants fondait le Parti communiste chinois (PCC). Dix ans plus tard, le Premier mai 1931, dans la même ville, une vingtaine de représentants fusionnait les quatre groupes trotskistes en une "Opposition de gauche du PCC". A ces deux évènements reste lié le nom de Chen Duxiu, premier secrétaire général du parti puis figure de proue du trotskisme. L'histoire pourtant ne se répétait pas. Le jeune Parti communiste avait été porté par une mobilisation sans précédent dun prolétariat. L'Opposition naissait au contraire de l'une de ses plus sanglantes défaites.

 « Un nettoyage des communistes tel qu’aucun seigneur de la guerre n’aurait osé en faire un même sur son propre fief  » . Un journaliste anglais rendait compte en ces termes de la répression exercée en avril 1927 à Shanghai par Chiang Kaï-chek (Jiang Jieshi) contre les communistes qui, la veille encore, au terme d’une victoire chèrement payée, le faisaient acclamer comme un libérateur. 

Une défaite programmée

Chiang indéniablement avait su duper son monde, n’hésitant pas à se réclamer de la « révolution mondiale »  mais les communistes n’avaient rien fait pour démasquer l’illusionniste. Ils avaient conduit l’insurrection sur les mots d’ordre « Vive l’armée révolutionnaire nationale !» et « Bienvenue à Chiang Kaï-chek !» et lorsque celui-ci était entré dans la ville, ils l’avaient accueilli par des discours dithyrambiques. Appliquant les consignes de l’IC, ils avaient enterré les armes pour éviter tout incident. D’ailleurs, la Pravda n’insistait-elle pas sur la nécessité de maintenir à tout prix l’unité de toutes les classes sous l’autorité du parti de Chiang, le Guomindang (GMD) ?
Une telle défaite était le salaire d’un « front uni anti-impérialiste » qui avait abouti à subordonner le PCC à un GMD dont le « socialisme nébuleux »  dissimulait mal ce qu’il était en réalité : un parti nationaliste bourgeois. De toutes les modalités possibles - front uni « de l’extérieur » préservant l’indépendance du PCC ou « de l’intérieur » impliquant l’adhésion des communistes au GMD ? Si adhésion, individuelle ou en fraction ? Respect de la discipline du GMD et jusqu’à quel point ? - l’IC avait imposé la pire : l’adhésion individuelle et une totale discipline
Unitaires, les communistes chinois n’étaient pas enclins pour autant à la moindre complaisance. Le « front uni » proposé en juin 1922 par leur IIè congrès réservait une stricte indépendance. Mais membre de l’IC, le jeune PCC devait se plier, non sans réticences, aux « conseils » venus de Moscou. D’abord repoussée, la suggestion de Mahring, représentant de l’IC, d’adhérer individuellement au GMD (août 1922) fut acceptée quelques mois plus tard lorsqu’elle émana du Bureau Politique du PC russe (où seul Trotsky avait voté contre), une résolution précisant ultérieurement que « le prolétariat ne doit pas abandonner l’indépendance de sa propre organisation pendant la lutte » . La pression allait s’accentuer après la mort de Sun Yat-sen.
À Moscou, à cette date, la direction a changé. Boukharine a remplacé Zinoviev à la tête de l’IC mais c’est Staline qui tient les rênes. Incarnation de la bureaucratie conservatrice installée au pouvoir à la faveur du reflux de la vague révolutionnaire d’après-guerre et de l’isolement de l’URSS, il utilise l’IC pour pérenniser cette situation. Une révolution communiste dans le pays le plus peuplé du monde, aux portes mêmes de l’URSS est hors de question. Il y joue une tout autre carte : celle d’une stabilisation de la Chine sous l’autorité du GMD.
Un tel changement d’orientation est dissimulé sous l’habillage idéologique d’une « révolution par étapes » : la révolution chinoise ne pourrait à ce stade qu’être bourgeoise et les communistes devraient se soumettre au GMD caractérisé dans la plus grande confusion comme un « bloc des quatre classes », un « parti ouvrier et paysan », une « sorte de parlement révolutionnaire », « quelque chose d’intermédiaire entre le Parti et les soviets » voire une version chinoise de la commune de Paris . 

 Coolies du Guomindang

L’adhésion au GMD va vite se révéler une « camisole de force » . Le 26 mars 1926 à Canton, Chiang fait désarmer les piquets de grève et arrêter une cinquantaine de commissaires politiques, majoritairement communistes. Les conseillers soviétiques sont assignés à résidence. Le 15 mai, la loi martiale est proclamée. Le GMD écarte les communistes de toute responsabilité, interdit toute fraction, se fait remettre la liste de tous les membres du PCC qui militent dans ses rangs et exige que lui soit préalablement soumis tout texte émanant du PCC ou de l’IC. Toute critique du « sunyatsenisme »  est proscrite. Face à ce que l’historien américain Harold Isaacs définit avec raison comme « une dictature » , le PCC se prépare à riposter. A cette fin, son secrétaire général Chen Duxiu propose de sortir du GMD mais le conseiller soviétique Borodine justifie les mesures de Chiang et « brandit le bâton du Komintern » . Invités à devenir « les coolies » du GMD, les communistes s’inclinent. Le 1er mai, ils feront acclamer Chiang par le IIIè congrès du travail. Trotsky pourra écrire que le PCC est un « parti enchaîné » .
Cette soumission a sa logique : freiner voire combattre le mouvement des masses pour le compte du GMD et des classes dirigeantes. En octobre, la direction Staline-Boukharine câble aux communistes chinois l’ordre d’entraver le mouvement paysan pour ne pas contrarier les généraux qui conduisent l’offensive du Nord . La direction du PCC condamne comme « une erreur »  la prise de la concession britannique de Wuhan par les ouvriers. Le massacre de Shanghai ne détournera pas l’IC de cette orientation mortifère. 
Chiang ayant « trahi », le GMD n’en reste pas moins aux yeux de Staline un « bloc des quatre classes » au sein duquel semble venue l’heure de Wang Jingwei et du « Guomindang de gauche ». Deux mois plus tard, Wang décrétera la loi martiale à Wuhan, jettera les communistes en prison et fera exécuter sans jugement plus de 4000 militants ouvriers. Staline se tournera alors vers un autre « fidèle révolutionnaire », Feng Yuxiang, qui s’empressera de réprimer les « exigences déraisonnables »  des ouvriers et les « excès »  des paysans et de massacrer les communistes. 
Il en faut plus pour détourner Staline de la fiction d’un GMD cadre obligé de l’organisation des masses. Les soulèvements aventuristes de la « moisson d’automne » et de Canton s’effectueront encore sous  la bannière du « Guomindang de gauche » .....
 

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