MOLCER 6, Roger Revuz
Ce livre raconte la courte vie de Eugène Bonaventure  Vigo dit Miguel Almereyda qui figurait en tête des principaux révolutionnaires dans la liste établie par la Sûreté en 1911. 
A 16 ans, Miguel Almereyda se retrouve en prison à la Petite Roquette pour un menu larcin. A Paris, cette prison abrite les jeunes de 16 à 21 ans, elle est surnommée « l’enfer des gosses ». Il leur est interdit de parler sous peine d’être brutalisés par les gardiens dont beaucoup excellent dans le sadisme.
A sa sortie de prison il rejoint les anarchistes où son souci d’élégance détonne un peu dans le milieu.  En 1901 il publie son premier article dans Le Libertaire, un des principaux organes de la galaxie anarchiste de l’époque. Il participe à la création de l’Association internationale antimilitariste (AIA) qui rassemble des anarchistes, des syndicalistes et des socialistes blanquistes, une minorité du Parti socialiste unifié (SFIO) dont le leader est Gustave Hervé. La propagande antimilitariste dénonce l’utilisation de l’armée pour réprimer les grèves et appelle les jeunes conscrits à refuser de tirer sur les grévistes.
C’est à l’occasion d’un de ses multiples séjours en prison que Almereyda rencontre Gustave Hervé, lui aussi fréquemment incarcéré pour délit de presse.   Gustave Hervé propose à Almereyda la création d’un hebdomadaire dont il veut faire « l’organe des socialistes unifiés [le PSU/SFIO] qui déplorent de voir leur parti devenir de plus en plus un parti d’action électorale et parlementaire ». La Guerre sociale sort en décembre   1906 et acquiert très vite un fidèle lectorat ouvrier anarchiste et socialiste.  Almereyda excelle dans la « titraille », les titres accrocheurs soutenant les grèves et dénonçant les brutalités policières. Cependant le journal ne fait pas l’unanimité dans le milieu militant car certains sont rebutés par son ton « braillard » ou « gueulard ».
 A cette époque la principale organisation d’extrême-droite, l’Action Française dirigée par Léon Daudet et Charles Maurras, fait régner la terreur au Quartier latin avec sa milice des Camelots du roi où elle sabote les cours des professeurs libéraux et fait le coup de poing contre les militants d’extrême-gauche. Mais à la prison de la Santé dont le régime est relativement libéral, anarchistes et camelots du roi entretiennent de façon étonnante des rapports cordiaux. C’est, explique Anne Steiner, que les chefs de l’Action française « voudraient élargir leur audience dans le prolétariat et comptent bien utiliser à leur profit la haine du régime bourgeois et l’ardeur combative des jeunes révolutionnaires. »
Mais à leur sortie de prison, les affrontements reprennent et pour combattre les Camelots du roi Almereyda crée les Jeunes Gardes, une milice d’autodéfense qui servira aussi de service d’ordre lors des manifestations et des meetings. En 1911, Almereyda crée également le Service de sûreté révolutionnaire (SSR) chargé de démasquer les mouchards et les agents de la police. Mais le SSR ne fait pas l’unanimité notamment parmi les syndicalistes.  
En 1912, Gustave Hervé qui signait ses articles « le Sans-Patrie » annonce qu’il ne veut plus détruire l’armée mais la conquérir et la même année Almereyda adhère au PSU/SFIO. C’est le reniement de leur engagement révolutionnaire et leur évolution vers le réformisme. Pour Hervé, c’est le début d’une dérive qui l’amènera à soutenir l’Union sacrée (La Guerre sociale devenant La Victoire) et plus tard à se rallier à Pétain.  Almereyda fonde un nouvel hebdomadaire, le Bonnet rouge, hebdomadaire ouvertement réformiste soutenant le bloc radical-socialiste/ socialiste (l’union de la gauche de l’époque). En août 1914, à la déclaration de guerre, il soutient l’Union sacrée mais au contraire d’Hervé, dès 1916, il ouvre les colonnes du Bonnet rouge aux socialistes dissidents réunis à Kiental et en 1917 soutient les grèves.
 Ne lui pardonnant pas son reniement des idées révolutionnaires et son goût du luxe, ses anciens amis l’abandonnent et ses vieux ennemis nationalistes de l’Action française le poursuivent de leur haine. En août 1917, faussement accusé d’espionnage par l’Action française, il est arrêté et emprisonné à Fresnes. Huit jours plus tard il décède dans des conditions mystérieuses. Il a 34 ans et laisse un fils de 12 ans, le futur cinéaste Jean Vigo.
A travers le récit de la vie de Miguel Almereyda, Anne Steiner dresse un tableau vivant et passionnant du mouvement ouvrier avant 1914 avec ses luttes fratricides entre anarchistes et socialistes, l’organisation de la première manifestation de rue pacifique autorisée à l’occasion de l’exécution du pédagogue espagnol Francisco Ferrer en 1909. Dans son introduction elle dit espérer avoir « su communiquer au lecteur un peu de de [ses] enthousiasmes et de[sa]tendresse pour le personnage, sans sombrer dans l’hagiographie ». Elle y est parfaitement parvenue.
                                                                                                                                        

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Tag(s) : #MOLCER 6, #Notes de lecture
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