Molcer 6 Hervé Chuberre

Les causes économiques, sociales et politiques des révolutions ne sauraient faire oublier leur préparation intellectuelle, notamment philosophique et scientifique. La Révolution française est inconcevable sans les Lumières. Hervé Chuberre s’attache ici, à travers le personnage de Buffon, à montrer en quoi les progrès de l’esprit scientifique ont contribué à saper l’obscurantisme professé par les Églises. 

Dans son ouvrage intitulé La physique, Aristote ignore la question de l'origine du monde en posant qu'il a toujours existé et existera toujours tel qu'il est. Les grandes religions monothéistes se fondent quant à elles sur le dogme d’une Création du monde par Dieu.

À l’époque de la découverte de la théorie de la gravitation universelle par Newton (1687), l’âge de la Terre était attribué en Europe à partir d’une exégèse du récit biblique des origines selon la Genèse. C’est en effet en 1654 que le prélat irlandais James Ussher introduit une chronologie de l'histoire du monde issue d'une lecture littérale de la bible. À partir de calculs, il prétend en avoir déduit que « le premier jour de la création est le 23 octobre 4004 avant J.-C » du calendrier Julien. Nous verrons que ce genre de pseudo-théorie a encore des adeptes aujourd’hui …

Les premières attaques à l’encontre de ce mythe sont dues à des libres-penseurs qui chahutent les idées reçues et l’ordre moral, mais sans pour autant fournir d’arguments scientifiques. Voltaire, en 1768 dans son livre Des Singularités de la nature, évoque bien des durées géologiques considérables mais, dans le même temps, il assimile les fossiles à « des coquilles abandonnées par des pèlerins ou enfantés par la Terre ». Cette question des coquilles fossiles ainsi que celle de la formation des montagnes, ajoutées au fait que Voltaire se moque de Buffon, sont à l’origine d’une controverse historique entre eux.

C’est par des considérations liées à la chaleur intérieure du globe terrestre que Buffon donna une première réponse scientifique à la question de l’âge de la Terre. Ce sont ses expérimentations sur la fusion et sur les effets de la chaleur qui le conduisent à considérer que la Terre était en fusion au début de son histoire. Il avance pour cela trois arguments. 1) La forme, localement aplatie, de la Terre n'a pu être acquise que si le globe terrestre a été à un moment de son histoire malléable, donc en fusion. 2) Les mesures de température dans les mines montrent que la Terre possède une chaleur propre. 3) L’examen de la nature des roches des régions montagneuses montre qu’elles sont le résultat d'une fusion.

Suggérée par de nombreux phénomènes naturels tels que les éruptions volcaniques, l’hypothèse d’un feu central, source de chaleur au centre de la Terre, est une idée ancienne. Platon l’exprimait déjà dans son dialogue Phédon qui raconte la mort de Socrate.

Ayant commencé sa carrière comme mathématicien, Buffon fut principalement connu pour son œuvre de naturaliste, zoologiste, minéralogiste et de géologue. Mais il fut également physicien et expérimentateur. Son œuvre monumentale, l’Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy, comporte 36 volumes dont la publication, commencée de son vivant, s’est étendue de 1749 à 1788.

Buffon bénéficie des conquêtes et découvertes apportées par plus d’un siècle de commerce et de conquêtes de l’Europe à travers tout le globe terrestre. L’époque des grandes découvertes d’or et de pierres précieuses étant derrière eux, les plus éclairés de la couche la plus aisée de la population, à savoir la bourgeoisie dont fait partie Buffon, se lancèrent alors dans l’inventaire des richesses végétales et animales.

Depuis le XVIè siècle, les cabinets de curiosité appartenant à de riches propriétaires avaient pour fonction de faire commerce de la curiosité. Ces cabinets présentaient de manière éclectique des pièces des règnes animal, végétal et minéral. L'objectif était de montrer la diversité du monde dans le temps et dans l’espace. Dès 1749, dans sa Théorie de la terre qui occupe la quasi-totalité du premier tome de son Histoire naturelle, Buffon souligne l’intérêt qu’il y a à réunir de telles collections d’objets, mais il souligne aussi la nécessité d’échapper à l’étonnement et de s’élever du particulier au général. C’est ainsi qu’à la fin du XVIIIè siècle, les cabinets de curiosité deviennent des cabinets d'histoire naturelle, où les collections sont structurées, et suivent une classification scientifique. La raison en est que « la simple nécessité de mettre en ordre les découvertes purement empiriques qui s’accumulent en masse, (…) oblige même l’empiriste le plus récalcitrant à prendre de plus en plus conscience du caractère dialectique des processus naturels »...

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