MOLCER 8-Hervé Chuberre

Même le parti marxiste le plus affirmé n'est jamais à l'abri d'un retour de l'idéalisme, parfois sous des formes étonnantes. Entre 1908 et 1912, Lénine eut ainsi à croiser le fer au sein même de la fraction bolchevique, avec des "contructeurs de Dieu" persuadés qu'une "religion socialiste" pouvait réveiller le mouvement des masses. Il lui fallut, dans cet étrange combat, prendre appui sur les sciences, particulièrement sur les travaux d'un physicien prématurémeznt disparu : Ludwig Boltzmann.


La Révolution russe de 1905 commence le 22 janvier de notre calendrier (le « dimanche rouge ») et atteint son point culminant lors de l'insurrection de décembre 1905 où les combats opposant les ouvriers de Moscou à la police et l’armée du Tsar firent plus d’un millier de morts. Après la période de reflux et de repli qui suit, Lénine est contraint de quitter la Russie en août 1906 pour rejoindre la Finlande. Fin 1907, pour s’éloigner de la surveillance policière, il s’exile à Genève avec son épouse, Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa (1869-1939), puis s’installe à Paris fin 1908.
En avril 1908, dans Marxisme et révisionnisme, Lénine annonce la sortie « dans un avenir prochain » de ce qui sera Matérialisme et empiriocriticisme (M&E). Effectivement, dès septembre 1908, après avoir étudié de nombreux écrits philosophiques et scientifiques, Lénine s’attelle à la rédaction de cet ouvrage important – bien que trop peu connu – qui sera publié en 1909.
(Le lecteur trouvera un glossaire terminologique à la fin de cet article)


La période 1908-1912
Des désaccords tactiques se font jour suite au bilan que Lénine  tire de la Révolution de 1905. L’ouvrage M&E s’inscrit dans la période 1908-1912 où Lénine engage des batailles fractionnelles au sein du parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR). Il doit en effet combattre sur sa droite, ceux qui tentent de « liquider » la clandestinité liée à la nécessité d’échapper à la police tsariste et sur sa gauche, les otzovistes (bolchéviques gauchistes*)  qui rejettent les nouveaux moyens d’expression comme la Douma (le parlement).
Parmi ces derniers il y a le médecin Alexandre Alexandrovitch Bogdanov (1873-1928) – de son vrai nom Alexandre Malinovski – leader des otzovistes, ainsi que l’écrivain Maxime Gorki  (1868-1936) et son beau-frère Anatoli Lounatcharski  (1875-1933). En cohérence avec leurs présupposés philosophiques, et comme membres du courant La Construction de Dieu, ils veulent réconcilier religion et marxisme et prônent l’édification d’une religion socialiste afin de relancer l'élan révolutionnaire de la masse, affaibli par l’échec de la Révolution de 1905. Ce sont en effet des disciples des conceptions philosophiques antimatérialistes du physicien autrichien Ernst Mach (1838-1916) et du philosophe allemand Richard Avenarius (1843-1896), fondateur de l’empiriocriticisme* dans les années 1880. Avenarius rejetait comme étant métaphysique l'idée d'une réalité objective extérieure à la conscience, et Mach plaide pour « limiter notre science physique à l'expression des faits observables, sans construire des hypothèses derrière ces faits ou plus rien n'existe qui ne puisse être conçu ou prouvé. »


Lénine affronte donc, sur le terrain philosophique, ces nouveaux révisionnistes au sein du parti. Et c’est en s’appuyant sur les conquêtes de la science que Lénine défend les fondements théoriques du marxisme à savoir le matérialisme dialectique* et le matérialisme historique*. À plusieurs reprises, mais surtout dans le chapitre V intitulé « La révolution moderne dans les sciences de la nature et l’idéalisme philosophique », Lénine défend également le point de vue matérialiste du physicien Ludwig Boltzmann (1844-1906) car celui-ci « figure parmi les physiciens allemands qui ont systématiquement combattu la tendance de Mach. (…) A ceux qui affirment que la matière n'est qu'un complexe de perceptions sensibles, Boltzmann réplique qu’en ce cas les autres hommes ne sont aussi, pour celui qui parle, que des sensations. » (M&E, p 282) Et d’ajouter, une page plus loin, que « Combattant la physique “phénoménologique’’ de Mach et Cie, Boltzmann affirmait que “ceux qui pensent éliminer l’atomistique au moyen d’équations différentielles ne voient pas la forêt derrière les arbres’’ (…) Le fait que ces physiciens ramènent leur théorie à un système d'équations est aux yeux des disciples de Mach une réfutation du matérialisme : des équations, tout est là, aucune matière, aucune réalité objective, rien que des symboles. Boltzmann réfute cette opinion entendant par là réfuter la physique phénoménologique"......

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