MOLCER 8- Rémy Janneau

Le travail de parti de Marx. Intervenir dans les organisations ouvrières. Éditions de la Sorbonne/La philosophie à l’œuvre – 2023 – 315 pages – 25€.
Karl Marx. Sur le parti révolutionnaire – Éditions sociales – 2023 - 639 pages – 30€.

Le militantisme de Marx au sein des organisations ouvrières n’a jamais été l’approche la plus courante de son œuvre, la plupart des auteurs s’intéressant plus volontiers à L’idéologie allemande et au Capital qu’à l’activité assidue de leur auteur aux réunions hebdomadaires du Conseil général de l’Internationale. L’actuel discrédit des partis ne contribue évidemment pas à inverser la tendance. C’est donc à rebours de l’air du temps voire des tendances lourdes de l’historiographie, que Jean Quétier aborde, dans deux ouvrages publiés à quelques mois d’intervalle, une thématique en passe de devenir « un angle mort de la recherche ».


 Partir du mouvement réel 
Ni approche descriptive, ni lecture « internaliste »  consistant à appréhender sa pensée comme un système clos, le premier ouvrage montre que théorie et pratique s’insèrent toujours chez Marx dans le mouvement ouvrier réel. Héritier des Lumières, Marx reprend de Kant l’idée que l’on s’émancipe de l’état de tutelle en agissant collectivement plutôt qu’individuellement, avec  un « public » qui s’incarne chez lui dans une classe et dans un parti. Cependant, contrairement à une interprétation qui fut celle de Kautsky, l’organisation susceptible de mener à bien ce processus d’émancipation ne saurait être la simple « caisse de résonnance » d’idées socialistes venues de l’extérieur. En fusionnant ces idées avec son expérience, le prolétariat forge au contraire sa propre théorie.
Chapitre après chapitre, le livre de Jean Quétier nous montre un Marx associant, aux antipodes de toute attitude doctrinaire, réflexion théorique, pragmatisme et pédagogie. Il découvre d’abord le communisme par des voies purement intellectuelles. L’identifiant aux idées de Pierre Leroux ou de Proudhon, il lui montre même une certaine hostilité. Sa position s’infléchit, au printemps 1844, au contact du mouvement ouvrier français. La « noblesse » de ces « figures durcies par le travail », leur soif d’apprendre et leur sérieux le convainquent que la classe ouvrière n’est pas un élément passif que devrait guider un cerveau extérieur mais l’élément actif du processus révolutionnaire. Il quitte ainsi progressivement sa position « d’autorité extérieure » pour devenir un militant à part entière. Si les idées du théoricien contribuent à la réflexion du prolétariat, en retour, le travail militant nourrit sa propre pensée. La Sainte famille est le fruit de ces échanges. Au mal nommé « socialisme vrai », purement littéraire, des jeunes hégéliens de gauche, Marx et Engels opposent ce « véritable Parti communiste ».


Le mouvement politique réel, ce sont d’abord les organisations existantes par lesquelles le prolétariat se constitue en « classe pour soi ». Lorsque Marx fo
Parti communiste et parti ouvriernde, en 1846, le comité de correspondance de Bruxelles, c’est parce que le lancement d’un parti international lui semble encore prématuré. L’heure est alors au rassemblement des communistes, à la clarification de leurs idées et à l’inscription du mouvement dans une perspective internationale. Mais lorsque se dessinent au sein de la Ligue des justes des évolutions prometteuses et des convergences avec le comité, Marx et Engels la rejoignent, y militent activement, la « désectarisent » et la transforment en Ligue des communistes (1847).
A cette date, Marx concentre sa réflexion sur le parti communiste, encore mal différencié du parti ouvrier et dont les modalités de construction peuvent varier selon le contexte et l’héritage historique. Face à la diversité des situations, Il montre un pragmatisme qui lui a valu parfois un procès en incohérence que récuse Jean Quétier. Si les conditions et les processus varient, les lignes directrices restent en effet les mêmes. En premier lieu : partir du réel. Le parti communiste peut préexister au parti ouvrier voire se constituer en dehors du prolétariat, naître, au contraire, des organisations issues de la lutte des classes voire d’un parti qui, au départ, ne s’en réclamait pas. Pour la France, Marx tient un temps le cabétisme pour un « parti communiste qui existe réellement ». Pour l’Angleterre et les États-Unis, il envisage une évolution du chartisme et des réformateurs nationaux nord-américains vers le communisme, sans exclure, dans le cas britannique, qu’il puisse naître des trade-unions. 
L’articulation entre parti communiste et parti ouvrier se précise dans le Manifeste de décembre 1847 : les communistes sont le noyau le plus résolu des partis ouvriers. Cette conception trouve sa traduction au feu des révolutions française puis viennoise et berlinoise de 1848. C’est désormais la Ligue qui devient l’élément moteur de la constitution de partis ouvriers. Président de son autorité centrale, Marx fait adopter des mesures de nature à en visualiser et à en massifier les activités. À Paris, à son initiative, les communistes se font reconnaître en arborant un ruban rouge. Une Association publique s’efforce de rassembler largement les travailleurs sans exiger d’eux une adhésion préalable au communisme. Marx enfin se montre intraitable à l’égard de toute variante aventuriste de l’utopisme. En Allemagne, la Ligue lance, le 5 avril 1848, un appel invitant les travailleurs à constituer partout des Associations ouvrières. Constatant rapidement l’échec de cette stratégie et l’impossibilité de fonder un parti ex nihilo, Marx rejoint avec Engels le parti démocrate, ce qui reste, dans le contexte allemand de 1848, « le seul moyen possible de se faire entendre par la  classe ouvrière ». Cette adaptation de la stratégie cependant n’est en rien un ralliement inconditionnel et il convient ici d’insister sur une autre constante : si les communistes inscrivent leur action dans le mouvement des masses ils ne s’y dissolvent pas; ils préservent leur autonomie en vue d’une inévitable rupture avec la bourgeoisie.
Le reflux de la révolution est lourd de conséquences. La Société universelle des communistes révolutionnaires où Marx parvient, au printemps 1850,  à rassembler la Ligue, les blanquistes et une partie des chartistes sur la base de la « révolution en permanence », de l’autonomie d’action de la classe ouvrière et de la nécessité d’une « dictature du prolétariat »,  ne dure que quelques mois. Plus grave, la Ligue elle-même éclate, une partie de la direction se refusant à admettre que la révolution s’inscrit désormais dans le long terme. Face à une crise si violente que deux dirigeants en viennent à s’affronter sur le pré, Marx fait tout pour préserver l’unité de l’organisation. La scission consommée, le mouvement communiste entame une traversée du désert qui ne s’interrompra qu’avec la fondation d’organisations offrant des champs nouveaux de travail militant : l’Association des travailleurs allemands (ADAV) de Ferdinand Lassalle et le Congrès des associations ouvrières allemandes (VDAV) conduit par August Bebel et Wilhelm Liebknecht en 1863, l’Association internationale des travailleurs (AIT) l’année suivante.


Recentrage sur le parti ouvrier
La création de ces organisations appelées à devenir des partis de masse déplace la réflexion de Marx du parti communiste au parti ouvrier. Plusieurs chapitres consacrés aux grands débats qui animent les réunions du Conseil central (général à partir de 1866) et les congrès de l’AIT illustrent abondamment la méthode de Marx : ne jamais partir d’une utopie ; prendre appui sur les acquis et le mouvement des masses. Concernant la limitation du temps de travail, par exemple, il prend appui sur le Bill des 10 heures de 1847 pour faire intégrer au programme de l’AIT une revendication qui bat en brèche la logique même du capitalisme et qui, au congrès de Genève (1866), deviendra celle des 8 heures, en liaison avec l’agitation qu’elle suscite alors aux États-Unis.
Cette méthode conduit souvent Marx à évoluer. Il intègre ainsi dans l’Adresse inaugurale de 1864, le soutien aux coopératives de production qu’il critiquait 16 ans plus tôt lorsqu’elles n’étaient encore que des projections de l’utopie d’Owen. Pas plus en 1864 qu’en 1848, il n’ignore leur impuissance à affranchir les masses ni le risque de récupération par la réaction mais il les défend dès l’instant où elles s’intègrent au combat ouvrier, montrant que l’économie moderne peut fort bien « se passer d’une classe de maîtres employant une classe de bras ». 
Une deuxième constante de la méthode de Marx lui est dictée par son souci de préserver l’unité de l’Internationale et la collégialité des décisions et de l’élaboration des documents. Il est certes arrivé qu’il ne voie rien à tirer d’un texte. Ce fut le cas lors de la rédaction de l’Adresse inaugurale. Au « fatras » rédigé par l’owéniste John Weston, il n’hésita pas à opposer un autre texte qui fut adopté à l’unanimité, ce qui n’était pas écrit d’avance. Mais dans la plupart des cas, alliant souplesse dans la forme et fermeté sur les principes, il tient le plus grand compte des avis des autres membres, intègre leurs objections et s’efforce d’aboutir, dans la mesure du possible, à un consensus. Il s’oppose ainsi à Weston, hostile aux syndicats et à la lutte pour une hausse des salaires, aux proudhoniens sur la question de l’enseignement, ou encore sur celle de la propriété collective du sol, aux partisans de Bakounine sur celle de l’héritage. Sur aucune de ces questions, il ne tente de passer en force. Il écoute, argumente, préfère la synthèse au clivage systématique, bannit les invectives. L’ouvrage rend compte largement de la richesse de ces débats. 


  «Travailler à distance»
L’émergence en Allemagne d’organisations de masse déplace sensiblement le centre de gravité du mouvement ouvrier international et du travail de parti de Marx. Aucune des deux mouvances social-démocrates n’est « marxiste », si tant est que ce mot ait alors un sens. Solidement ancrée dans la classe ouvrière, l’ADAV reste dominée par le culte de la personnalité de Lassalle et complaisante à l’égard de Bismarck dont elle attend des concessions favorables aux travailleurs. Indéniablement plus proches de celles de Marx, les conceptions des dirigeants du VDAV « ne s’incarnent pas, au sens strict, dans un parti ouvrier ». Le VDAV est initialement une fédération d’associations ouvrières sans caractère politique. A l’inverse, « parti politique  sans être véritablement ouvrier », le Parti populaire saxon, qui lui est associé, reste perméable à l’influence de la bourgeoisie libérale. En dépit des liens qu’il entretient avec certains dirigeants du VDAV, notamment avec Liebknecht, lui aussi ancien de la Ligue un temps exilé à londres,  Marx, acteur «à distance» par la force des choses, affecte, jusqu’en 1870, la plus stricte impartialité, discutant sur le fond avec les uns et les autres.
Sa position est singulière. Exilé à Londres, secrétaire-correspondant de l’AIT pour l’Allemagne, il n’occupe aucune responsabilité au sein des formations social-démocrates. S’il est un acteur à part entière des débats qui les traversent, il se refuse à leur dicter leur politique. Il contribue très largement, en revanche, à la réflexion collective, par ses prises de position dans la presse mais surtout par des échanges épistolaires autour desquels se constitue un véritable espace de discussion. Jean Quétier cerne ainsi la « distinction fonctionnelle » qui s’établit tacitement : à Marx et Engels, qui jouissent du recul théorique que permet l’éloignement géographique, les questions de principe et la réflexion stratégique ; aux dirigeants et militants de terrain, l’analyse tactique. « Il ne s’agissait pas tant pour eux, écrit-il, de dicter la politique du parti allemand depuis Londres que de veiller à ce qu’elle demeure en harmonie avec des principes théoriques susceptible d’en assurer la cohérence ».
Tout le travail de Marx consiste à faire évoluer les deux formations vers une adhésion à l’Internationale et vers une politique de classe. La mort prématurée de Lassalle, qu’il tenait pour un « futur dictateur ouvrier», libère au sein de l’ADAV des tendances contradictoires. Entre le risque de cautionner des orientations néfastes au développement du mouvement ouvrier et celui de se couper d’un parti qui organise le prolétariat sur une grande échelle, Marx ne balance pas. Fidèle à sa méthode, il fait le choix du mouvement réel, acceptant dans un premier temps de collaborer au Social-Demokrat, journal de l’ADAV. Un article de Schweitzer, successeur de Lassalle, trop complaisant à l’égard de Bismarck, l’amène rapidement à rompre sa collaboration mais il engage avec lui une discussion sans concession sans que jamais l’anathème ne se substitue à l’argument et au ton qui convient entre camarades. Le débat sera fructueux. Schweitzer inscrira au programme de l’assemblée générale de Hambourg (1868) un point sur l’AIT, laissant entrevoir l’inscription de l’ADAV dans le mouvement ouvrier international. L’assemblée reconnaîtra le rôle décisif de la grève et inscrira à son programme la réduction du temps de travail. Tout ne sera pas résolu loin s’en faut et Marx rompra avec l’ADAV en 1870 mais des pas décisifs sont néanmoins franchis.
Avec le VDAP, Marx poursuit un travail de clarification théorique visant à l’expurger de toute influence bourgeoise et à lui faire assumer pleinement son caractère ouvrier. En demandant, en 1868 , son affiliation à l’AIT, le VDAP franchit un pas décisif dans sa constitution en parti véritablement politique, ce qu’il deviendra officiellement l’année suivante au congrès d’Eisenach. La guerre de 1870 et la Commune de Paris révéleront  un parti à la hauteur de sa responsabilité internationale.
Les succès électoraux des deux formations social-démocrates et la répression qui les frappe mettent à l’ordre du jour un rapprochement qui peut prendre deux formes : l’unité d’action ou la fusion. C’est cette dernière qui prévaudra en 1875 au congrès de Gotha. Partisan de l’unité d’action, Marx jugeait l’unification prématurée. La sévérité des Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand plus connues sous le nom de  Critique du programme de Gotha n’est donc pas une surprise. Ce programme a été « payé trop cher », les « eisenachiens » ayant beaucoup trop cédé aux lassalliens. Déduire de la fameuse phrase de la lettre à Bracke du 5 mai 1875 suivant laquelle « toute avancée du mouvement réel est plus importante qu’une douzaine de programmes » que ce programme constituerait malgré tout un pas en avant serait un contresens. Loin d’être une « avancée », il « ne vaut rien », il est de nature à « démoraliser le Parti », au point que Marx et Engels envisageront de s’en désolidariser publiquement. 
Pour autant, Marx ne lui oppose pas un autre programme et se garde de toute critique abstraite. Reprenant chaque article, il en souligne, avec beaucoup de pédagogie, les limites, les dangers, les contradictions, parfois l’absurdité. Aux « formules creuses », il oppose des clarifications et des mesures précises. Et jusqu’à sa mort, en dépit de la distance et quelles que soient les divergences, jamais il ne restera extérieur au mouvement ouvrier allemand.
Actualité du travail de parti
    Au total, un ouvrage extrêmement enrichissant… dont la conclusion laisse quelque peu le lecteur sur sa faim. Jean Quétier interrogeant la postérité et l’héritage de Marx, on pouvait s’attendre, même s’il est vrai que des penseurs d’une telle envergure ne sont pas légion, à ce qu’il évoque le travail réel de militants qui, théoriciens ou non, s’efforçent, en ces temps d’effondrement du mouvement ouvrier, de (re)construire un parti de classe. Le propos reste beaucoup plus abstrait. 
L’auteur  récuse avec raison la théorie de l’historien britannique Perry Anderson, suivant laquelle, à partir de la fin des années 20, le pessimisme né du reflux de la vague révolutionnaire et les séquelles du stalinisme auraient rendu illusoire un travail de parti  analogue à celui de Marx. Le « marxisme occidental » aurait ainsi dissocié la théorie de la pratique, ne laissant aux penseurs marxistes qu’une seule alternative : « privilégier le lien avec les masses ouvrières en restant fidèles à la seule organisation qui incarnait leur combat à savoir le parti communiste », quitte à renoncer à toute expression indépendante, ou préserver leur liberté d’expression en se tenant à l’écart du Parti, renonçant, de ce fait, à tout enracinement dans la classe ouvrière. Lukács et Althusser incarneraient le premier choix, Sartre et Marcuse le second. A cette théorie, l’auteur oppose que Lukács et Althusser auraient usé, à l’interne, de leur droit de critique et que la parenthèse eurocommuniste aurait  brièvement redonné quelque souffle à un travail théorique ancré dans une pratique ouvrière de masse. Il tire, pour l’avenir, une conclusion prudemment optimiste: « il ne nous paraît pas […] aberrant d’imaginer que de précieuses innovations théoriques puissent naïtre encore de ce brassage si particulier que constitue le travail de parti ». Cette partie du livre nous inspire au moins trois remarques : 1/ le devenir des PC italien et français ne semble pas témoigner de l’efficacité de l’eurocommunisme  comme cadre d’un renouvellement du travail de parti ;  2/ni la fidélité à un parti stalinien ni le compagnonage critique ne sont des brevets de marxisme; 3/ Marcuse excepté, Jean Quétier ne cite que des auteurs restés au Parti communiste ou très longtemps dans son orbite. Faudrait-il en conclure qu’une pensée marxiste liée à un travail de parti ne serait concevable que dans cet espace politique ?
La seconde partie de la conclusion, consacrée à « loi d’airain de l’oligarchie », est plus convaincante. Contrairement à une théorie héritée du social-démocrate Michels suivant laquelle « qui dit organisation dit tendance à l’oligarchie », les organisations marxistes ne sont pas inexorablement vouées à la dégénérescence bureaucratique. En combattant les dérives de secte, en favorisant des pratiques démocratiques et la souveraineté des adhérents, en s’abstenant d’énoncer des directives de l’extérieur, Marx a fourni les outils conceptuels permettant d’envisager un « cercle pédagogique vertueux entre le parti et les masses » . Gramsci l’a complété : chaque membre du Parti doit être considéré comme un intellectuel ; le Parti lui-même doit prendre appui sur l’autonomie de pensée et d’action des masses. Nous laisserons la conclusion à l’auteur : telle est la « clef de voûte de toute stratégie révolutionnaire fondée sur la mise en mouvement du plus grand nombre ».


Une précieuse anthologie
Cet ouvrage essentiel est complété, aux Éditions sociales cette fois, par une volumineuse anthologie précédée d’une introduction (L’adieu aux sectes. Marx, théoricien du parti) dans laquelle Jean Quétier resserre la réflexion sur l’AIT mais élargit le champ des questions abordées, de la définition même du parti de classe aux rapports parti/syndicat, de la lutte contre les risques de régression sectaire à la nécessité de concilier collégialité de la direction, nécessité d’une autorité centrale et autonomie des structures de base en passant par les implications de l’internationalisme ouvrier et la lutte contre la guerre. Les idées reçues tombent les unes après les autres. Aucune théorie « marxiste » n’est sortie tout armée du cerveau de Marx. Ses idées se sont forgées constamment par l’interaction d’une vaste culture et de son militantisme au sein des organisations ouvrières, en particulier l’AIT dont il fut l’un des principaux dirigeants. Et surtout – la lecture des procès verbaux des réunions en atteste - il ne fut jamais l’« autoritaire » forgé par la tradition anarchiste et une historiographie intéressée. Marx ne fut qu’un dirigeant parmi les autres et s’il domine parfois les débats, c’est uniquement par sa culture, la clarté de ses vues et sa force de conviction.
Ce livre présente l’intérêt supplémentaire d’aborder des questions, aujourd’hui un peu oubliées : pourquoi fallait-il des ouvriers au Parlement et à quelles conditions ? Comment, tout en récusant l’ouvriérisme, préserver la composition de classe de l’organisation à un moment où des féministes bourgeoises voire des industriels ou des politiciens bourgeois tentaient de prendre le contrôle de certaines sections ?
L’anthologie, à la fois chronologique et thématique, permet d’approfondir chaque point. On y trouve les textes les plus divers : des extraits d’œuvres majeures de Marx bien évidemment, une correspondance abondante, des articles, des adresses, des résolutions  et des circulaires du Conseil général de l’AIT, des procès verbaux de réunions que les notes permettent de contextualiser, des tracts, et même des recensions d’ouvrages publiés à l’époque. On découvre, à travers ces documents, un Marx fort éloigné de l’économiste ou du philosophe consacrant l’essentiel de son temps à ses recherches au British Museum. L’auteur du Capital fut aussi un militant et un dirigeant politique à plein temps. 
Le corpus rassemblé par Jean Quétier témoigne d’abord de l’évolution de sa conception du parti : espoir d’une évolution des organisations ouvrières existantes vers le communisme jusqu’en 1847, modèle du parti communiste se construisant comme un premier cercle du parti ouvrier du Manifeste au reflux de la révolution, construction enfin d’un parti de classe à partir des années 1860. Il renseigne également sur la vie courante de l’Internationale, son fonctionnement, ses conflits internes, notamment la lutte que Marx dut mener contre Bakounine et ses partisans. 
L’ouvrage, d’une lecture aisée, est un outil, pour tout militant révolutionnaire, cela va sans dire, mais aussi pour tous ceux qui s’efforcent de regarder autrement et de comprendre l’histoire du mouvement ouvier et l’Histoire tout court.

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