MOLCER 10- Jean-Guillaume Lanuque-  La bibliothèque oubliée du mouvement ouvrier

Dans les rayonnages des bibliothèques, dorment des livres dont l’importance n’a pas toujours été estimée à sa juste mesure. Témoignages d’acteurs du mouvement ouvrier, d’observateurs de révolutions plongés au coeur du maelstrom, études d’historiens professionnels ou autodidactes… Tous, ils ont quelque chose à nous
apprendre, et ce sera l’objet de cette rubrique que de les remettre en lumière, de les replacer dans le cours de l’histoire, également, afin que la transmission puisse se poursuivre.

Bourgeois et bras-nus est ce qu’on pourrait appeler un classique de l’historiographie révolutionnaire. Digest de ce travail plus ample qu’est La Lutte de classes sous la Première République, véritable thèse d’histoire sans
le nom, paru dans l’immédiat après Seconde Guerre mondiale, le livre est publié pour la première fois en 1973, La Lutte de classes sous la Première République ayant été précédemment ressorti aux lendemains de Mai 68. Il s’inscrit alors dans les travaux de Guérin sur le communisme libertaire et la synthèse rêvée entre anarchisme et marxisme – rappelons qu’il fut un temps engagé aux côtés du Parti ouvrier internationaliste trotskyste. Son avant-dernière réédition en date, réalisée par Les Nuits rouges en 1998, était déjà présentée par feu Claude Guillon, lui-même auteur de travaux sur les Enragés. La dernière publication à ce jour est la belle version de Libertalia sorti il y a douze ans, proposée sous une couverture qui reprend en la détournant aux couleurs tricolores la lithographie célèbre du graphiste soviétique Lazar « El » Lissitzky (« Battez les Blancs avec le triangle rouge », 1920). Elle s’inscrivait dans la revitalisation des études sur la Révolution française, en
partie face aux discours hostiles qui lui sont adressés de la part d’historiens conservateurs ou de médias complaisants, dans la continuité plus ou moins directe de François Furet ; citons entre autres éléments de cette contre-offensive la réédition de La Grande Révolution de Pierre Kropotkine aux éditions du Sextant (2011), Une histoire de la Révolution française d’Eric Hazan chez La Fabrique (2012), la traduction française de la biographie de Jacques Roux par Walter Markov (Libertalia, 2017) ou la Nouvelle histoire de la Révolution par Annie Jourdan (2018), sans oublier les diverses synthèses écrites par Marc Belissa et/ou Yannick Bosc.
Cette réédition de 2013 n’est riche que de trois réelles nouveautés. La première est une présentation de Claude Guillon, qui insiste sur l’influence manifeste, bien que loin d’être toujours reconnue, de l’oeuvre de Daniel Guérin sur des travaux comme ceux d’Albert Soboul. Claude Guillon, privilégiant la dimension libertaire des Enragés, critique également l’emprise encore forte, selon lui, du léninisme sur la grille de lecture mise en place par Daniel Guérin, ce qui l’amène à justifier certaines formes de terreur ou de censure de la
presse. De cette discussion sur la nature du processus révolutionnaire souhaité, on retiendra surtout cette tendance à prendre de la distance vis-à-vis d’une violence jugée nécessaire, qui peut se lire comme fruit
de l’idéologie dominante, qui n’accepte de violences qu’encadrées ou dissimulées… 
 

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Tag(s) : #Bibliothèque oubliée du mouvement ouvrier
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