MOLCER 8- Donna Kesselmann

(Cet article paru dans MOLCER 3 est publié ici dans son intégralité en complément du dossier sur le Mouvement ouvrier  américain qui paraîtra en mai 2024 dans MOLCER 8).

Pendant les années 1930 la perspective de la fondation aux Etats-Unis d’un parti se réclamant des travailleurs a connu les conditions les plus favorables en relation avec le mouvement social qui a bouleversé les rapports de classe. Les jeunes travailleurs dans les industries de l’automobile, du textile, du caoutchouc, des aciéries, s’engageant dans des vagues de grèves, mettent à l’ordre du jour la construction de syndicats de masse dans la grande industrie et soulèvent en même temps la nécessité de leur organisation politique indépendante des deux grands partis de la bourgeoisie, au sein d’un labor party . Ce mouvement a pris la forme de la constitution de groupes locaux, présentant parfois des candidats à l’échelle locale, et s’appuyant sur des prises de position par des syndicats. Ces développements aboutissent au congrès de l’American Federation of Labor de 1935  où une résolution enjoignant à la confédération de procéder à la constitution d’un labor party à l’échelle nationale n’a été battue que de quelques voix. Malgré ce mandat les dirigeants du jeune CIO , pour leur part, soutiennent la réélection de F.D. Roosevelt pour un deuxième mandat en 1936. Mais tout n’est pas joué, la question du labor party continue à se poser de manière directe jusqu’aux années 1940.
Pourquoi les Etats-Unis sont-ils le seul grand pays capitaliste développé à ne pas connaître de parti de grande envergure qui se réclame des intérêts de la classe ouvrière ? Parmi les idées reçues à ce sujet, il y a celle qui considère qu’il n’y a pas de luttes des classes dans ce pays, ou en tout cas pas de classe ouvrière qui se considère comme telle, toute la population travailleuse faisant partie des « classes moyennes ». Or, l’histoire des Etats-Unis est celle d’une lutte des classes en permanence, parmi les plus violentes, où la classe ouvrière a cherché à s’organiser envers et contre tout.  Avant de nous concentrer sur la période qui est au cœur de cet article, revenons brièvement sur les développements historiques qui la précèdent.

I.    Aperçu historique
La notion d’« exceptionnalisme américain » renvoie au vieux débat visant à expliquer cette spécificité, le fait que les Etats-Unis n’ont jamais connu, de manière durable, un grand parti de la classe ouvrière.
On avance notamment que l’absence d’un passé féodal, d’une structuration rigide de la société en classes sociales, laisserait la place à l’éthos de l’individualisme lockien. Une culture définie comme plus démocratique et égalitaire, pour Tocqueville et le sociologue allemand Werner Sombart, s’opposerait à la formation d’une conscience de classe. Sans minimiser le poids de facteurs tels que la marche vers l’Ouest (ce que les Américains appellent la « frontière »), les diversités ethniques, culturelles et religieuses, issues de vagues d’immigration successives, il faut souligner la place particulière du racisme à l’égard des travailleurs noirs, héritage de la place de l’esclavage dans l’histoire américaine, instrumentalisé par le patronat pour diviser les travailleurs et présent au sein du mouvement syndical lui-même.  Le développement capitaliste aux Etats-Unis, après la Guerre de Sécession(1861-1865) s’est opéré dans le cadre d’un système ségrégationniste, où l’existence du suffrage universel masculin blanc a favorisé l’occupation de la scène politique par deux grands partis qui étaient, l’un et l’autre, des partis de la classe dominante.
Il n’en demeure pas moins que, dès les années 1820 apparaissent les premiers partis ouvriers. Dans les années 1870 à 1890, des partis populistes ayant le soutien des travailleurs et des partis ouvriers-paysans (farmer-labor parties) ont pu se donner une base électorale temporaire. 
Pour comprendre cette difficile histoire de construction d’un parti de la classe ouvrière viable aux Etats-Unis, il faut prendre en compte des obstacles politiques, en commençant par la répression anti-ouvrière. 

La répression, le Parti socialiste d’Eugène Debs et les IWW
Pour la plus grande partie de l’histoire américaine les gouvernements, les élus et les tribunaux ont conféré au patronat, particulièrement hostile aux travailleurs, un contrôle sans restriction sur les conditions du travail avec recours possible à l’Etat – à son armée et à sa police, notamment – pour mieux imposer sa loi. C’est en réaction à la répression brutale de la grève Pullman de 1894 par le gouvernement américain qu’Eugene Debs se lance dans l’action politique . Le président démocrate G. Cleveland avait pris comme prétexte le blocage du courrier pour l’envoi des troupes fédérales à Chicago afin de casser cette grève qui paralysait le trafic ferroviaire sur tout l’ouest du pays. Cette répression se solde par la mort de 30 grévistes et par des centaines de blessés, ainsi que par la destruction du syndicat des travailleurs des chemins de fer l’American Railway Union, le premier grand syndicat d’industrie du pays, et  par l’emprisonnement de son président, Debs. Debs fut, par la suite, fondateur du Parti socialiste (Socialist Party of America), et cinq fois son candidat à la présidence , recueillant jusqu’à 5,99% du vote (901 551 voix) en 1912 puis 3,41% (913693 voix,) en 1920, où il se présentait à partir de sa cellule en prison, incarcéré pour cause de son opposition à la 1ère Guerre mondiale. 
Les Industrial Workers of the World, le grand syndicat de classe fondé en 1905, prône le syndicalisme révolutionnaire contre le capitalisme et l’abolition du salariat. Les IWW engagent des luttes importantes mais sont à leur tour victimes de la répression gouvernementale, surtout à la sortie de le Première Guerre mondiale.

Le labor party pendant les années 1920
L’autre obstacle politique majeur à l’organisation politique des travailleurs aux Etats-Unis fut l’orientation des dirigeants des organisations de la classe ouvrière, principalement des dirigeants de l’AFL. La Première Guerre mondiale débouche sur un mouvement pour un labor party qui trouve une expression organisée dans sept Etats. Il est brisé en même temps que la vague de grèves qui a suivi la guerre par une répression brutale. Le Parti communiste américain reprend à son compte pendant deux ans l'orientation de l'Internationale communiste en faveur d'un labor party avant d’y renoncer pour soutenir le candidat populiste à la présidence en 1924, Robert La Follette. L'orientation pour un labor party est développée pendant les années 1920 par des progressistes comme A.J. Muste. Aux côtés du Parti socialiste et des syndicalistes ils organisent des noyaux de Labor Parties dans une demi-douzaine de villes ayant une implantation syndicale dans les mines, la confection, le textile dès 1932, l'année de l'élection de F.D. Roosevelt. La présentation de candidats à l'échelle locale permettait de contourner l'opposition des dirigeants nationaux de l’AFL, au nom de la neutralité politique traditionnelle de la confédération. L'aspiration à une politique ouvrière indépendante s'exprime également la même année par la voix d’un million d'électeurs qui ont voté pour les candidats socialiste ou communiste à la présidence. 

II.    Le Labor party pendant les années 1930  
Grèves contre le New Deal
Les nouvelles institutions du New Deal n’arrivent pas à endiguer la mobilisation grandissante des salariés qui se déclenche dès avant leur mise en place. Contrairement aux promesses de la loi de redressement industriel de 1933 (NIRA), de larges couches de travailleurs ne bénéficient ni du soutien des prix, des salaires ou de l’emploi, ni de la syndicalisation ou des négociations collectives censées être facilitées par la Section 7(a) de la loi. Pour A. Preis, militant trotskyste et historien du C.I.O : « Pendant les six mois suivant la promulgation du NIRA, les travailleurs ont dû se mobiliser pour acquérir leurs droits. Le nombre de grèves s’élève en 1933 à 1 695, comparé à 841 en 1932, et le nombre de grévistes a quadruplé pendant la même période de 324 000 à 1 168 000 » . Les employeurs manipulaient le système des codes dits de bonne conduite du NIRA pour contourner les obligations envers les travailleurs par le recours à la répression antisyndicale, aux espions et à la mise en place de syndicats maisons. Selon D. Guérin, dans son ouvrage Le mouvement ouvrier aux Etats-Unis, « l’Idée maîtresse du président Franklin D. Roosevelt était de sauver, par l’intervention de l’Etat, le capitalisme défaillant et, pour faire accepter aux travailleurs ce renflouement non déguisé des grands monopoles de leur accorder, au moins sur le papier, une concession : le droit de s’organiser librement. » Or pour Roosevelt, « la section 7(a) était un artifice accessoire » .  
En 1934, le mouvement social atteint des proportions sans précédent aux Etats-Unis car se focalisant sur l’enjeu de l’Etat. En pleine crise économique, marquée par un taux élevé de chômage, on comptabilise en 1934 officiellement 1 856 grèves, dont la grève massive des 400 000 ouvriers du textile qui s’étend de la Nouvelle Angleterre au Golfe du Mexique. Malgré leur puissance la plupart de ces actions n’aboutissent pas car elles se heurtent au cadre restreint du syndicalisme de métier. 
Les actions marquantes et victorieuses de l’époque, qui aboutissent à la reconnaissance des syndicats et aux négociations collectives, sont menées par des militants politiques. A San Francisco la mobilisation des dockers et des marins, sous la direction du président du syndicat Harry Bridges, militant du Parti communiste, entraîne la grève générale de 100 000 grévistes qui paralyse la ville. La grève des camionneurs à Minneapolis et celle de l’entreprise Auto-Lite de pièces détachées d’automobile à Toledo, entrainent des grèves générales dans ces villes et débouchent sur des négociations collectives. Le syndicat des camionneurs à Minneapolis est dirigé par des militants trotskystes, qui sont à l’époque membre du parti ouvrier-paysan de l’état de Minnesota, le syndicat de l’automobile à Toledo, dans l’Ohio, par des militants de l’American Workers Party, des partisans de A.J. Muste.   
Frustrés par les conditions de travail éprouvantes dans les usines, devant l’impossibilité de se syndiquer et de négocier collectivement dans les faits, critiques du New Deal et des partis de gouvernement, des syndicalistes de base engagent des initiatives pour l’action politique. Un nombre remarquable de partis ouvriers-paysans et labor parties surgissent entre 1932 et 1936 aux Etats-Unis. Ces regroupements présentent des candidats aux élections municipales et obtiennent des élus dans de nombreux Etats : le Massachusetts, le New Hampshire, le Connecticut, le New York, la Pennsylvanie, l’Ohio, le Michigan, l’Illinois, le South Dakota, le Washington, la Californie. Les instances de l’AFL de nombreuses localités et de de plusieurs  Etats prennent position en faveur d’un labor party, comme celles du Rhode Island, du Connecticut, du Vermont, du New Jersey et du Wisconsin. 
La répression de la vague de grèves de 1934 par les forces de l’ordre, qui se solde par des dizaines de morts, des centaines de blessés et des milliers d’arrestations, est un facteur déterminant dans le développement de l’action politique indépendante. Les villes qui connaissent des conflits sociaux en 1934 se trouvent en première ligne de l’activité pour un labor party, nourrie par le mécontentement tourné vers l’Etat et les deux grands partis. A son congrès d’octobre 1935, l’AFL de l’Etat de Rhode Island dénonce l’envoi de troupes un an auparavant par le gouverneur démocrate contre la grève des travailleurs de textile, la principale industrie de l’Etat, et la violence perpétrée. La motion votée par une large majorité se prononce pour un labor party dans cet Etat et charge le comité exécutif de sa fondation dans un délai de six mois. Au congrès de fondation du Labor Party de Chicago et de Cook County en 1935, 139 délégués de 60 syndicats lancent un appel à un labor party, incriminant les partis républicain et démocrate comme étant des « syndicats maisons politiques ». Le Massachussetts Committee for a Labor Party, dans une déclaration publiée en mars 1936, accuse les gouverneurs démocrates de 12 Etats d’avoir fait appel aux forces de l’ordre pour casser les grèves de 1934 au nom de la reprise du travail, donnant lieu à la mort de 14 ouvriers de textile .

Le Labor party à l’ordre du jour
C’est ce mouvement de fond qui met à l’ordre du jour du congrès de l’AFL de 1935 la perspective de la constitution d’un labor party. Seize résolutions sont déposées, dont 13 venant de syndicats nationaux, enjoignant à la direction confédérale d’appeler à la constitution d’un troisième parti, labor party ou parti ouvrier-paysan. Dans des termes évocateurs du climat social et de la conscience des travailleurs américains à l’époque, certaines dénoncent les partis républicain et démocrate comme étant des « agents du patronat », d’autres appellent à un « gouvernement ouvrier » pour procéder à la « redistribution définitive de la richesse du pays », etc. Malgré l’hostilité de la direction de la confédération, une motion finit par être soumise au vote le dernier jour du congrès. Présentée par Francis Gorman, président du syndicat des travailleurs du textile qui sortait de la défaite cuisante de sa grève nationale, la motion est repoussée par un vote de 104 contre 108. C’est lors du même congrès qu’est mis en place le « Comité » pour l’organisation sur la base d’industrie, qui deviendra le Congress of Industrial Organizations. Les délégués s’attendaient à ce que le labor party voie le jour au prochain congrès de l’AFL de 1936 . 
 

La LNPL contre le labor party
Or entre temps intervient un tournant dans la stratégie électorale adoptée par les dirigeants du jeune CIO. Malgré la position officielle de leurs syndicats en faveur de la constitution d’un troisième parti indépendant, John. L. Lewis et Sidney Hillman, respectivement présidents des syndicats des mineurs et des travailleurs de la confection masculine, annoncent le 2 avril 1936 la constitution de la Labor’s Non-Partisan League (LNPL), dont l’objectif est de rallier le vote ouvrier à la candidature de Roosevelt en 1936 au nom de la poursuite de la politique ouvrière du New Deal, dont la loi nationale pour les relations professionnelles (National Labor Relations Act, ou Wagner Act) de 1935.
Le deuxième congrès du jeune syndicat des travailleurs de l’automobile UAW (United Automobile Workers) a lieu quelques semaines plus tard. Après avoir rejeté une résolution de soutien au vote Roosevelt, les délégués adoptent à l’unanimité une autre résolution pour la formation d’un labor party à l’échelle nationale. Pourtant, en contradiction avec ces votes, ils finissent par se prononcer, à la dernière minute, pour le soutien à la candidature de Roosevelt après la présentation aux congressistes d’un message personnel de la part de John Lewis, assorti de pressions sur les dirigeants du jeune syndicat .  
Le congrès d’août 1936 de l’AFL procède à la suspension des dix syndicats membres du CIO. Deux jours plus tard a lieu la première conférence de la LNPL. Le comité de New York annonce la constitution de l’American Labor Party, sa filière dans cet Etat, qui vise à canaliser vers le New Deal les voix de la majorité des électeurs ayant voté pour des candidats ouvriers en 1932 et qui se trouvent dans cet Etat. Le Parti socialiste investit la LNPL pour promouvoir sa politique de soutien de Roosevelt à la présidence et de formation d’un labor party à l’échelle locale, comme première étape vers un parti national. 
 Bien que petit, le PC a une existence et une influence réelles, avec en 1937 environ 80 000 membres et le contrôle total ou partiel de 40% des fédérations du CIO . La politique qu’il met en avant est la politique internationale du stalinisme à l’époque, à savoir celle des Fronts populaires. Aux Etats-Unis, cette politique prend la forme non pas d’une coalition où les partis ouvriers seraient subordonnés aux limites fixées par leurs partenaires bourgeois mais d’un refus de constituer une organisation politique se réclamant de la classe ouvrière. Autrement dit, le mouvement représenté par la formation du CIO ne devrait pas trouver une expression politique. La politique de Front Populaire prend la forme, notamment, du soutien inconditionnel au New Deal depuis la campagne électorale d’Earl Browder de 1936, qui focalise ses attaques contre le candidat républicain et, au sein de la LNPL par l’appel, au nom de l’antifascisme, à des partis ouvriers-paysans très larges, comprenant des éléments non ouvriers et non fermiers . 
Pour A. Preis, comme pour d’autres auteurs, la LNPL a été « présentée comme un pas important en direction de l’action politique ouvrière indépendante... or son but était tout le contraire », à savoir, de canaliser l’aspiration des travailleurs pour un Labor party vers le vote pour Roosevelt et le Parti démocrate . Dans les discussions avec des militants trotskystes au Mexique en avril 1938, Léon Trotsky argumente que pour gagner les travailleurs de base de la LNPL au mouvement pour un Labor party il faut y intervenir pour jouer sur cette contradiction entre les objectifs annoncés de l'organisation, qui exprime l’aspiration des travailleurs, et les intentions cachées de ses dirigeants, afin de les contrecarrer .


Grèves sur le tas, Labor party et politique du CIO
Après la victoire écrasante du Parti démocrate en 1936, les partisans du New Deal cherchent à miner les différents partis indépendants, ouvriers et ouvriers-paysans, qui continuent à présenter des candidats. Des candidatures indépendantes sont présentées en 1936 au Congrès américain comme aux élections municipales et à l’échelle de l’Etat dans le Middle-West et de l’Est, notamment . Au sein de l’UAW il existe différents courants qui œuvrent en faveur d’un labor party, du renouveau de partis ouvriers-paysans, dont certains s’étaient effondrés après des défaites de 1936, ou bien du Parti démocrate, ce qui est la position des dirigeants du CIO. Au congrès de l’UAW d’août 1937, une résolution est ratifiée en faveur de « l’action politique indépendante » mais elle renvoie, sous l’influence des dirigeants du CIO, toute initiative à la LNPL .
Les syndicalistes automobiles de l’UAW sont à l’avant-garde du mouvement social de 1937 tout comme de la campagne pour un labor party. La grève sur le tas victorieuse de la General Motors pour la reconnaissance des syndicats d’industrie et des négociations collectives, d’une durée de 44 jours jusqu’au 11 janvier 1937, s’étend à d’autres industries et à travers l’Etat. De nombreux syndicalistes dénoncent la répression policière des grèves et des occupations d’usine dans les journaux des syndicats  de l’automobile (union locals) et dans des discours de meetings publics, comme à Detroit dans  le fameux Cadillac Square, tout en faisant le lien entre les droits syndicaux, la démocratie politique et la fondation d’un Labor party . Lors des élections municipales de 1937 dans le Michigan des listes de candidats ouvriers indépendants, sont présentées à Pontiac, à Highland Park, à Detroit par des syndicalistes de l’automobile. Elles expriment toute la tension qui caractérise l’orientation de la LNPL, celle qui oppose la tentative de canalisation du vote ouvrier vers le Parti démocrate à l’aspiration pour l’indépendance politique ouvrière.
A Detroit, la « Liste Labor » (Labor Slate) aux élections municipales regroupe des présidents de syndicats locaux de différentes sensibilités politiques, dont Walter Reuther, futur dirigeant historique de l’UAW et membre du Parti socialiste, des responsables du Parti communiste à Detroit (Tracy M. Doll, syndicaliste automobile, Maurice Sugar, avocat du travail) et Richard Frankensteen, partisan du New Deal. Elle se présente comme l’alternative « ouvrière et démocratique » au maire de Detroit, qui avait emboîté le pas au maire de la ville de Flint cette année-là dans la répression policière des grèves sur le tas. Tout en se réclamant de sa filiation avec le New Deal, la liste propose un programme qui va plus loin sur le terrain des réformes. C’est à l’Etat d’assurer les droits syndicaux et des prestations aux familles ouvrières comme l’assurance maladie, grande absente des réformes du New Deal, l’accès au logement et aux services publics (gaz, électricité), y compris par la voie de la nationalisation. En même temps on appelle à un « New Deal pour les enfants et les familles » et la liste indique l’appartenance au Parti démocrate de certains syndicalistes-candidats. Malgré une campagne de mobilisation massive, de l’enthousiasme militant et des bons résultats lors des élections primaires, aucun candidat n’est élu au conseil municipal. Différentes raisons sont invoquées : des tensions entre courants au sein du CIO et de l’UAW et avec les instances de l’AFL de Detroit, des tensions raciales car les travailleurs noirs ne se sentent pas représentés, une campagne de chasse aux sorcières de la part de la presse locale . 


III.    L’alliance du New Deal contre le Labor party
Le programme du premier congrès du nouveau Congress of Industrial Organizations de 1938 rejette l’indépendance politique au profit des candidats démocrates progressistes (liberal). Les initiatives politiques en tous genres sont confiées à la LNPL. John Lewis s’éloigne de Roosevelt dès 1937 lorsque le président refuse de soutenir les travailleurs de la sidérurgie en grève, renvoyant par une formule célèbre dos-à-dos syndicat et patronat (« A Plague on Both Your Houses ») , mais finit par appeler à voter pour le candidat républicain en 1940, plutôt que soutenir une politique indépendante. 
L’activité pour un Labor party se poursuit néanmoins pendant la Guerre et jusqu’à la fin des années 1940. Selon une étude de référence publiée en 1948, environ un quart des dirigeants du CIO soutiennent encore la formation immédiate d’un Labor party et les deux-tiers dans la décennie suivante . En 1945 R. Frankensteen présente, à la mairie de Detroit, une candidature ouvrière malheureuse qui reçoit aussi le soutien du Parti démocrate. En 1944, à Detroit, a lieu le congrès de fondation d’un parti ouvrier-paysan, la Michigan Commonwealth Federation, ainsi appelée par référence à la Canadian Commonwealth Federation, le parti social-démocrate canadien fondé une décennie plus tôt, qui deviendra en 1961 le Nouveau Parti démocrate. Malgré le soutien de syndicalistes indépendants et la présentation de candidats à l’échelle locale, l’initiative n’est que de courte durée. La candidature de Henry Wallace en 1948 au nom du Progressive Party, soutenue par le Parti communiste, et malgré ses liens avec le Parti démocrate, marque une dernière expression de l’aspiration pour l’indépendance politique avant la chape de plomb du maccarthysme. Une coalition minoritaire de syndicalistes progressistes tente à nouveau de s’engager, à partir de 1996, sur la voie de la constitution d’un Labor party, mais les directions des grands syndicats restent liées au Parti démocrate. 
Ainsi, les obstacles à l’expression politique indépendante de la classe ouvrière aux Etats-Unis s’avèrent aussi puissants que l’aspiration des travailleurs et indispensables à la mise en place de l’alliance du New Deal, dont l’objectif est la soumission des organisations syndicales au Parti démocrate.

 

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