MOLCER 6, Jean-Numa Ducange
Du 25 mars à fin décembre 2023 se tient une exposition sur « KarlMarx et la France » au Musée de l’histoire vivante de Montreuil. Ce court texte présente l’esprit de l’exposition.
Il y a cent quarante ans mourait Marx à Londres le 14 mars 1883. Tout au long de son existence, la France a été avant tout pays phare où la révolution socialiste pouvait avoir lieu. Paris, où il a vécu de 1843 à 1845, fut en effet tout au long de son siècle la capitale des révolutions. La première révolution « européenne » de 1830 lui doit beaucoup, tout comme le « printemps des peuples » de 1848, tandis que la Commune de 1871 semble annoncer une ère nouvelle. N’est-ce pas ici qu’aura lieu la prochaine révolution sociale ? N’est-ce pas en toute logique le pays où ses idées devaient recevoir l’accueil le plus favorable ? Pourtant, c’est bien à propos de militants « marxistes » français que Marx aurait prononcé sa fameuse sentence : « ce que je sais,
c’est que je ne suis pas marxiste ». Ses disciples « marxistes », à l’image de Jules Guesde, n’ont pas l’envergure du maître, et ses écrits demeurent relativement peu connus pendant une longue période.


Comment le marxisme fut introduit en France
Malgré tout la réception de Marx est réelle et fait son chemin à la fin du
xixe siècle. Difficile d’éviter Le Capital et le Manifeste du parti communiste,
quand bien même on ne partage pas leurs conclusions. Une des grandes
questions est de savoir comment faire lire Marx à un public large. Dans
une lettre à son éditeur Maurice Lachâtre du 7 mars 1872, Marx revient
sur l’importance de l’introduction du Capital en France, manifestant une
conscience aiguë des difficultés que pouvait poser cette lecture : « Je ne
prends pas pour mon point de départ des idées générales comme l’égalité,
etc., mais je commence, au contraire, par l’analyse objective des rapports
économiques tels qu’ils sont et c’est pour cela que l’esprit révolutionnaire
du livre ne se révèle que graduellement. Ce que je crains, au contraire, c’est
que l’aridité des premières analyses ne rebute le lecteur français. » Dans les
années qui suivent, Marx exprime à plusieurs reprises son souhait de voir
paraître un ouvrage de vulgarisation qui permettrait aux militants français
de contourner cette « aridité ». Son voeu est exaucé quelques semaines après
sa mort : en 1883, Gabriel Deville, un socialiste proche des conceptions

du Parti ouvrier dont les fondamentaux étaient largement inspirés par Marx,
publie un abrégé du Capital qui devait demeurer une référence majeure
pour de nombreux socialistes pendant plusieurs décennies. Un marxisme
militant prend alors forme autour de brochures et résumés de Marx, principalement
dans le courant incarné par Jules Guesde.
Ce marxisme doit immédiatement faire face à deux grands défis. Le
premier est d’ancrer cette référence venue d’Allemagne dans un pays où
existaient d’autres traditions révolutionnaires et socialistes… et où la germanophobie
connaissait son heure de gloire depuis la guerre de 1870.
Tant l’héritage républicain et révolutionnaire que la multitude des courants
socialistes issus du premier xixe siècle (Saint-Simon, Cabet ou encore
Proudhon) posaient des questions très proches des préoccupations de
Marx, facilitant a priori l’introduction de ce dernier en France. Mais cette
proximité heurte les intellectuels et militants français qui pouvaient voir en
Marx un concurrent « allemand » et illégitime. Que faire, par exemple, de la
conception de la République issue de la Révolution de 1789-1794 ? La promesse
d’émancipation républicaine est-elle compatible avec le marxisme
une action politique immédiate et programmatique, un outil pour la formation militante ?(....)

Pour lire la suite, achetez le numéro et abonnez-vous...

Tag(s) : #MOLCER 6, #Articles
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :