MOLCER 7, Jean-Numa Ducange.

Il y a cent ans mourait Lénine, le principal dirigeant de la révolution d’octobre. Son nom reste attaché à l’histoire de l’URSS, fondée en décembre 1922 et disparue à Noël 1991. Ce numéro de MOLCER a été pensé en prévision de cet anniversaire, avec un objectif clair : restituer une série de faits élémentaires sur sa vie et son œuvre, et proposer des aperçus sur l’histoire du mouvement ouvrier international de son époque. Sans prétention à l’exhaustivité ce numéro vise, à son échelle, à revenir sur des éléments essentiels de sa trajectoire qui ne manqueront pas d’être attaqués et travestis à l’occasion du centenaire. Beaucoup ont certainement encore en tête les mots de Vladimir Poutine pour justifier l’invasion de l’Ukraine : cette dernière ne serait qu’une « création » de Lénine qui aurait artificiellement inventé ce pays pour affaiblir la grande Russie. Le chauvinisme exacerbé du pouvoir russe actuel tente ainsi de jeter l’opprobre sur Lénine en en faisant un ennemi historique de la nation. De manière contradictoire, ce même pouvoir peut parfois se référer à Lénine comme symbole : en reprenant des territoires en Ukraine au cours de la guerre actuelle, l’armée de Poutine prend parfois le temps de remettre sur pied les statues de Lénine de l’époque soviétique déboulonnées par les Ukrainiens. Tous associent Lénine à la « nation russe » : une falsification éhontée, héritière du stalinisme et qui contribue à discréditer tout le mouvement associé au leader la révolution de 1917.

Difficile dans un tel contexte d’y voir clair, notamment pour les plus jeunes générations : car à l’heure où les nationalistes de tous bords instrumentalisent la figure de Lénine pour la rejeter ou la « valoriser », on peut lire dans la plupart des manuels scolaires – en France mais pas uniquement – des regards unilatéraux et négatifs sur le dirigeant bolchevik qui se retrouve être à l’origine de toutes les tragédies du siècle. Le « totalitarisme » hitlérien et/ou stalinien ? Ne cherchez plus l’origine du mal : Lénine. Le déchaînement de violences à la fin de la Première Guerre mondiale ? Même réponse. Certains sont allés plus loin avec l’historien Ernst Nolte (historien, ancien élève de Martin Heidegger dont de multiples études ont montré le niveau de compromission avec le nazisme) jusqu’à suggérer que le nazisme n’aurait pas existé sans le bolchévisme, le premier étant en quelque sorte une réaction « légitime » au second. Les exemples pourraient être multipliés. Bref ne lisez pas Lénine, n’essayez pas de le comprendre dans son contexte – fût-ce pour le critiquer sur tel ou tel point – il s’agit purement et simplement de le rendre responsable de ce qu’il y a eu de pire. Au-delà de l’aberration de certaines accusations, la manœuvre est claire : dédouaner les responsabilités des grandes puissances dans l’immense boucherie de 1914-1918 pour mettre sur le dos des minorités internationalistes les massacres et les horreurs du XXe siècle. Certes, aucun « historien » n’a encore cherché à expliquer le déclenchement de la guerre en 1914 en stigmatisant Lénine… Mais l’audace de certains étant sans limites, on peut s’attendre au pire en janvier 2024 !

Nulle question ici de faire une hagiographie, dont certains staliniens étaient devenus des experts, avant pour la plupart de se retourner et de développer une hostilité primaire contre ce qu’ils avaient vénéré jadis. L’objectif est clair : donner des éléments clefs pour comprendre la trajectoire du personnage. Aussi un essai biographique synthétique ouvre ce numéro, suivi d’une série de contributions sur des points divers (le parti, le rapport à la social-démocratie allemande, la guerre, l’orateur, ses dernières volontés au moment où Staline s’empare du pouvoir, le rapport à plusieurs dirigeants et notamment à Trotsky, etc.). Elles entendent contribuer à leur niveau à une meilleure compréhension de qui fut Lénine en apportant des connaissances sur la trajectoire de l’auteur de Que faire ? et de L’État et la révolution.

La revue propose également, outre ses rubriques habituelles, un certain nombre d’aperçus sur d’autres aspects de l’histoire du mouvement ouvrier. On remarquera notamment – sans exclusive – une approche précise et documentée de l’histoire des premiers pas du mouvement communiste dans le Nord issue d’une thèse de doctorat remarquée, ou encore un résumé des plus utiles sur ce que l’on appelle la variante autrichienne du marxisme, « l’austro-marxisme », un courant du mouvement ouvrier particulièrement riche – quoi que l’on en pense sur tel ou tel point – pour comprendre l’épineuse question des nationalités. Quelques événements majeurs sont l’objet de contributions comme le 17 juin 1953 en RDA, sans oublier des épisodes de luttes antérieures à l’industrialisation des sociétés comme la révolte des Ciompi en Italie. Fidèle à sa vocation, MOLCER fait également découvrir des trajectoires méconnues de militants ouvriers des quatre coins du monde, à l’image de Zygmunt Glücksmann, militant de la Silésie polonaise. Cette dimension internationale à laquelle nous tenons fortement sera particulièrement bien représentée dans nos livraisons à venir, avec en prévision un numéro spécial sur le mouvement ouvrier américain et les différentes facettes de son histoire. Nous aurons aussi très probablement l’occasion de revenir sur certains aspects de ce dossier consacré à Lénine. Lisez et faites lire ce numéro pour continuer discussions et échanges autour d’une histoire que l’on cherche souvent au mieux à minimiser, au pire à falsifier.

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Tag(s) : #Articles, #MOLCER 7
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