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Brochure de Lénine
D’après les articles, discours, souvenirs recueillis par David Riazanov
A l’occasion du centenaire de la disparition de Lénine et de la sortie du numéro 7 de Molcer, notre site a décidé de publier sous forme de « feuilleton » cet article de Lénine présentant l’œuvre de Karl Marx. Régulièrement, la « newsletter » de Molcer signalera l’introduction de la suite des articles.
(Première partie)
N. Lénine
Marx a continué et achevé avec génie l’œuvre des trois principaux courants d’idées du XIXe siècle, appartenant aux trois nations les plus avancées de l’humanité : la philosophie classique allemande, l’économie politique classique anglaise et le socialisme français. Le caractère remarquablement conséquent et entier de ses vues, reconnu même de ses adversaires, nous oblige à exposer, avant l’essence du marxisme, ou de la doctrine économique de Marx, les grandes lignes de sa conception générale du monde.
Le matérialisme philosophique
A partir de 1844-1845- c’est à cette époque que se formèrent ses idées – Marx fut un matérialiste et, plus particulièrement, un adepte de Feuerbach, dont les faiblesses lui parurent plus tard résider uniquement dans l’insuffisance de rigueur et d’ampleur de son matérialisme. L’importance historique mondiale de Feuerbach qui « fit époque » provenait justement, d’après Marx, de sa rupture avec l’idéalisme de Hegel et de l’affirmation du matérialisme qui « était encore, au XVIIIe siècle, et surtout en France, une arme contre toute métaphysique » (La Sainte Famille dans l’héritage littéraire).
Pour Hegel, écrivait Marx, le processus de la pensée, qu’il érigeait même en une catégorie spéciale, celle de l’idée, est le démiurge (le créateur) de la réalité… Pour moi, au contraire, l’idée n’est que la matière transplantée et transformée dans le cerveau humain (Le Capital, vol. 1, préface à la 2e édition).
Pleinement d’accord avec cette philosophie matérialiste de Marx, F. Engels, qui l’expose, écrit dans l’Anti-Dühring :
L’unité du monde consiste non pas dans son existence, mais dans sa matérialité démontrée… par le long et laborieux développement de la philosophie et des sciences naturelles. Le mouvement est une forme d’existence de la matière. Nulle part et jamais il n’y eut, et il ne peut y avoir de matière sans mouvement ni de mouvement sans matière. Si l’on se demandait … ce que c’est que la pensée et la connaissance et d’où elles proviennent, on verrait que ce sont les produits du cerveau humain et que l’homme lui-même est un produit de la nature développé avec la nature, dans des conditions naturelles données. Dès lors, il va sans dire que les produits du cerveau humain qui sont, eux aussi, en fin de compte, ceux de la nature, loin d’être en contradiction avec l’ensemble des rapports naturels, y correspondent… Hegel fut un idéaliste : c’est dire que les idées de notre cerveau étaient pour lui, non des images (Abbilder, images reflétées ; Engels parle quelquefois d’images reproduites) plus ou moins abstraites des choses et des phénomènes réels, mais les choses mêmes ; et le développement de celles-ci était pour Hegel, le reflet d’une idée qui exista quelque part dans la création du monde.
Dans son Ludwig Feuerbach, livre où il expose ses idées et celles de Marx sur la philosophie de Feuerbach, et qu’il n’envoya à l’impression qu’après avoir préalablement relu son vieux manuscrit de 1845-46, rédigé avec Marx, sur Hegel, Feuerbach et la conception matérialiste de l’histoire, Engels écrit :
Le grand problème fondamental de toute philosophie et de la philosophie moderne au premier chef, c’est celui du rapport entre la pensée et la réalité, entre l’esprit et la nature… Lequel des deux précède l’autre : l’esprit précède-t-il la nature ? ou la nature précède-t-elle, au contraire, l’esprit ?... Les philosophes se sont divisés en deux grands partis par leurs façons de répondre à cette question. Ceux qui affirmaient la préexistence de l’esprit par rapport à la nature et admettaient par conséquent, de façon ou d’autre, la création du monde… formèrent le parti idéaliste. Ceux qui considéraient la nature comme le premier principe, rejoignirent les diverses écoles du matérialisme.
Il importe de retenir l'opinion de Marx sur le libre arbitre et le déterminisme : "Tant qu'elle n'est pas connue, la nécessité est aveugle. Liberté veut dire conscience de nécessité " (Engels, L'Anti-Dühring) : -c'est la reconnaissance des lois objectives régissant la nature et de la transformation dialectique de la nécessité en liberté (de même que la "chose en soi", inconnue mais connaissable, devient une "chose pour nous" en passant de l'"essence des choses" au "phénomène"). Les défauts essentiels du "vieux matérialisme", y compris celui de Feuerbach (et à plus forte raison le matérialisme "vulgaire" de Büchner, Vogt, Moleschott) étaient pour Marx et Engels : 1° d'avoir un caractère "surtout mécanique", puisqu'il ne tenait pas compte des progrès les plus récents de la chimie et de la biologie ; 2° de n'être pas applicable à l'histoire, de n'être pas dialectique (étant, au contraire, métaphysique), de ne pas appliquer avec une largeur universelle et avec esprit de suite le concept de développement ; 3° de concevoir abstraitement l'"essence de l'homme" au lieu d'y voir l'"ensemble des rapports sociaux" (concrets, déterminés par l'histoire), et, par conséquent d'"expliquer" le monde qu'il s'agit de transformer - en d'autres termes de ne pas saisir la portée révolutionnaire de l'activité pratique.
La dialectique
Marx et Engels voyaient dans la dialectique de Hegel la doctrine du développement la plus vaste, la plus féconde et la plus profonde, l'acquisition la plus grande de la philosophie classique allemande. Toute autre formule du principe du développement, de l'évolution, leur paraissait étroite, pauvre, mutilant et estropiant le cours réel du développement (souvent accompagné de sauts, de catastrophes, de révolutions) de la nature et de la société.
Il s'en faut de peu, dit Engels, que nous n'ayons été avec Marx les seuls à nous assigner la tâche de préserver de la destruction par l'idéalisme et aussi par l'hegelianisme la dialectique consciente et de la reporter sur la conception matérialiste de la nature... La nature est une confirmation de la dialectique, et les sciences naturelles modernes démontrent justement l'extraordinaire richesse de cette confirmation qui accumule chaque jour, en masse, les faits prouvant qu'en fin de compte tout se passe dialectiquement dans la nature, et non métaphysiquement...
La grande pensée fondamentale, d'après laquelle le monde n'est pas fait d'objets achevés, mais constitue un ensemble de processus au sein desquels les objets paraissent immuables ainsi que leurs images mentales élaborées dans notre cerveau, changent perpétuellement, apparaissent et disparaissent, cette grande pensée fondamentale a tellement pénétré, depuis Hegel, dans la conscience générale, que je doute qu'il se trouve quelqu'un pour la contester dans son ensemble. Mais il ne suffit pas de l'admettre verbalement, il faut l'appliquer à chaque cas particulier, dans chaque domaine scientifique... Rien de définitif, rien d'absolu, rien de sacré n'existe pour elle (pour la philosophie dialectique). Elle aperçoit en toutes choses le sceau de l'inévitable déclin : rien ne peut lui résister, si ce n'est le processus continu de la naissance et de la disparition, de l'ascension perpétuelle du degré le plus bas au plus achevé. Elle n'est elle-même que l'image de ce processus dans le cerveau humain.
Ainsi, la dialectique est, pour Marx, la "science des lois générales du mouvement tant du monde extérieur que de la pensée humaine".
C'est cet aspect révolutionnaire de la philosophie de Hegel que Marx adopta et développa. Le matérialisme dialectique "n'a besoin d'aucune philosophie située au-dessus des autres sciences". Il restera de la philosophie antérieure "la science de la pensée et de ses lois, logique formelle et dialectique". Et la dialectique comprend, dans la conception de Marx, comme dans celle de Hegel, ce que l'on appelle aujourd'hui la théorie de la connaissance, la gnoséologie, qui doit également se placer au point de vue historique, procédant par l'étude et par la généralisation des origines et du développement de la connaissance, c'est-à-dire du passage de l'ignorance à la connaissance.
La conception matérialiste de l'histoire
La conscience du défaut d'esprit de suite, du caractère inachevé et de l'unilatéralité du vieux matérialisme amena Marx à la conviction de la nécessité d'"accorder la science sociale au fondement matérialiste et de la reconstruire sur ce fondement". Si le matérialisme explique la conscience par l'existence et non l'existence par la conscience, il exige , appliqué à la vie sociale de l'humanité l'explication de la conscience sociale par la vie sociale.
La technologie, dit Marx (Capital, tome 1) révèle l'attitude active de l'homme vis-à-vis de la nature, le processus immédiat de la production de sa vie et aussi des conditions sociales de sa vie et des représentations spirituelles qui en dérivent.
Une définition complète des propositions fondamentales de matérialisme, appliqué à la société humaine et à son histoire est donnée par Marx dans la préface à sa Critique de l'économie politique. La voici :
Au cours de la production sociale de leur vie, les hommes contractent entre eux des rapports déterminés, indispensables, indépendants de leur volonté, des rapports de production correspondant à un degré donné du développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, base réelle sur laquelle s'élève l'édifice juridique et politique, et à laquelle correspondent des formes déterminées de conscience sociale. Le mode de production détermine le processus social, politique et spirituel de la vie en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence , c'est au contraire, leur existence sociale qui détermine leur conscience. A un certain degré de développement, les forces productrices de la société entrent en conflit avec les rapports économiques existants ou-ce qui n'est que l'expression......
A suivre.....
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