/image%2F6885400%2F20250131%2Fob_ddf121_libertalia-luxemburg-vivrehumainement.jpg)
MOLCER 4- Voici quelques extraits de lettres de Rosa Luxemburg issues du recueil récem- ment paru : Rosa Luxemburg. Commencer à vivre humainement. Lettres (présentées et annotées par Julien Chuzeville), éditions Libertalia, Montreuil, 2022, 10 euros. Certaines lettres y sont traduites pour la première fois en français.
23 juin 1898, Berlin, à Robert Seidel :
[…] Savez-vous ce qui me tracasse ? Je suis mécontente de l’art et de la manière qu’on a d’écrire les articles la plupart du temps dans le parti. Tout est si conventionnel, si rigide, si stéréotypé. La résonance des mots d’un [Ludwig] Börne semble à présent venir d’un autre monde. Je sais, le monde a changé et à d’autres temps, d’autres chansons. Mais justement, des « chansons » ; la plupart de nos gribouillis ne sont pas des chansons, mais un bourdonnement incolore et sourd comme le bruit de la roue d’une machine. Je crois que la cause réside en ce que les gens oublient pour la plupart quand ils écrivent de puiser au plus profond d’eux-mêmes et de ressentir toute l’importance et toute la vérité de la chose écrite. Je crois que chaque fois, chaque jour, pour chaque article, on doit revivre la chose, la ressentir de nouveau, et on trouve alors des mots neufs, qui vont droit au cœur pour exprimer ce qu’on connaît depuis longtemps. Mais on s’habitue tant et si bien à une vérité qu’on débite comme un Notre Père les choses les plus profondes et les plus sublimes. J’ai décidé de ne jamais oublier de m’enthousiasmer pour la chose écrite et de puiser en moi-même lorsque j’écrirai. C’est pourquoi je lis de temps en temps le vieux Börne, il me rap- pelle fidèlement mon serment. […]
11 février 1902, Berlin-Friedenau, à Léo Jogichès
(Rosa Luxemburg revient d’une tournée de réunions publiques en Saxe) :
[…] Après le meeting à Meerane, j’ai été interrogée à propos de la question féminine et du mariage.
Un jeune tisserand splendide nommé Hoffman s’est occupé activement du sujet, lisant [August] Bebel, Lily Braun et la Gleichheit. Il avait une discussion animée avec des camarades plus âgés de là-bas qui disaient que la place des femmes est à la maison et que nous devrions exiger l’abolition du travail des femmes dans les usines. Après que je lui ai donné raison, Hoffman était triomphant ! « Vous voyez, dit-il, l’autorité a parlé en ma faveur ! » Quand l’un des vieux affirma que c’était honteux pour une femme enceinte de devoir travailler au milieu d’hommes jeunes à l’usine, Hoffman s’écria : « Ce sont de mauvaises conceptions morales ! Si notre Luxemburg avait été enceinte pendant son discours aujourd’hui, je l’aurais appréciée davantage ! » J’ai eu envie de rire devant cet argument inattendu, mais ils étaient tous si sérieux que je me suis retenue. En tout cas, il faut que j’essaie d’être enceinte pour la prochaine fois que je retournerai là-bas, compris ?
Avant que je parte (à 2 heures du matin), ce jeune homme m’a encore retenue un instant pour que je réponde à une question importante : devait-il se marier, bien que le mariage actuel soit une mauvaise institution ? Heureusement j’ai dit oui, et ma réponse l’a rendu très heureux, car il s’est avéré d’après les chuchotements et les rires des autres, puis de son propre aveu, qu’il est sur le point de se marier, et il est grand temps car sa fiancée est déjà dans la condition qu’il aime particulièrement. […]
8 mai 1908, Berlin-Friedenau, à Costia Zetkin :
[…] Ce qui me préoccupe toujours quand je lis, c’est la nécessité d’arriver au fond des choses ; on a toujours le sentiment que seule une petite partie a été révélée et que la partie la plus exacte et la plus importante reste cachée. Mais on peut y remédier seulement en lisant de nombreux livres, et avec le temps le savoir s’assemble progressivement.
Je lis en ce moment un des livres que j’ai pris pour toi : c’est à propos de Cabet, un nouveau livre volumineux en français. Il est écrit de façon si minutieuse et honnête, et en même temps sa forme est si claire et simple que c’est un plaisir de le lire. J’espère que tu l’apprécieras aussi. […]
9 mai 1908, Berlin-Friedenau, à Costia Zetkin :
[…] Je poursuis ma lecture du livre sur Cabet avec grand plaisir; l’évolution historique, les événements de la monarchie de Juillet, le rôle joué par les traditions de la Grande Révolution, tout cela est extrêmement passionnant. L’histoire est assurément la chose la plus intéressante qui soit, et j’ai le secret espoir que même si tu rejettes l’économie politique, tu trouveras ton véritable domaine dans l’histoire et, à travers elle et pour elle, tu finiras aussi par comprendre l’économie. […]
28 juin 1918, prison de Breslau, à Franz Mehring
(le livre de Mehring sur Karl Marx vient de sortir) :
Très cher ami,
Merci mille fois pour votre œuvre et pour votre lettre que j’attendais avec déjà beaucoup d’inquiétude. Je me suis bien sûr jetée immédiatement dans la lecture et je ne saurais vous dire à quel point ce fut stimulant et réconfortant. L’impression que m’avaient faite auparavant les premiers chapitres a été confirmée par le tout: c’est décidément votre meilleure œuvre au point de vue de l’équilibre de la composition, de la calme beauté de la langue et surtout de la force de l’esprit et de la fraîcheur qui émanent de ce travail. Je m’attends à ce que ce livre me secoue en profondeur. On ne pouvait en ce moment rien offrir de plus beau aux masses pour leur rappeler leurs meilleures traditions.
18 novembre 1918, Berlin, à Franz et Eva Mehring :
Chers amis,
Je ne saurais vous dire combien je suis navrée de n’avoir pas encore pu me précipiter chez vous pour vous serrer la main. Mais, depuis que je suis descendue du train à Berlin, je ne parviens même pas à mettre les pieds chez moi à Südende et j’habite à l’hôtel. Vous pouvez donc vous rendre compte à quel point l’agitation d’ici me dévore. Mon premier souci a été de faire enfin sortir le journal [Die Rote Fahne, quotidien de la Ligue Spartacus]. Et maintenant je brûle d’entendre votre avis, de bénéficier de vos conseils. Nous avons tous été ravis d’apprendre de l’ami(1) ??? que votre collaboration et votre nom enrichiront bientôt la Fahne. C’est ce que j’attends avec beaucoup d’impatience. J’espère pouvoir faire enfin un saut chez vous dans les tout prochains jours. J’ai été heureuse d’apprendre que votre santé va bien et que vous êtes de bonne humeur, que vous avez plein de cœur à l’ou- vrage. Le cher, le gentil ??? nous aide et travaille avec la plus grande abnégation ; sa collaboration de chaque instant est indispensable. Pour l’instant, en toute hâte, ces amitiés brèves et très chaleureuses, à vous revoir bientôt !
Votre Rosa Luxemburg.
1- Cettre lettre fut publiée pendant l'entre-deux-guerres par le Parti communiste d'Allemagne, avec deux noms supprimés ; la lettre originale est perdue, on ignore donc de qui il s'agit (peut-être des milita,ts qui avaient entretemps été exclus, par exemple Paul Levi).
/image%2F6885400%2F20221030%2Fob_883f1a_couverture-revue-molcer-4a.jpg)
MOLCER n°4, juin 2022 - Revue MOLCER
SOMMAIRE Lettre aux abonnés. Dossier Rosa Luxemburg Introduction par Julien Chuzeville et Jean-Numa Ducange La cohérence de Rosa Luxemburg par Julien Chuzeville " Je suis un pays aux possibilité...
/image%2F6885400%2F20221029%2Fob_3513c9_collectif-molcer-b.jpg)
S'abonner ou commander un ancien numéro - Revue MOLCER
Abonnement pour 4 numéros (2 ans) : 40 € Abonnement de soutien : 50 € ou plus Abonnement jeunes : 20 € Abonnement institutions : 60 € Pour s'abonner à la revue MOLCER : Paiement par chèq...