A l'ombre de la Butte-aux-Coqs de Oswald Zebris

MOLCER 10- Jean-Guillaume Lanuque-L'écrivain et le révolutionnaire 

Il y a près d’un siècle, Trotsky publiait Littérature et révolution, un essai critique dans lequel le révolutionnaire russe s’intéressait aux écrivains et à leur positionnement face à la révolution bolchevique. La rubrique « L’écrivain et le révolutionnaire » reprend cette démarche en l’élargissant : il s’agira en effet de se pencher sur des romans, actuels ou plus anciens, prenant pour sujet les révolutions du passé, leurs acteurs, leurs figures, afin d’appréhender l’image de la révolution dans le temps long de la culture.

La révolution russe de 1905 a toujours eu tendance à être couverte par l’ombre écrasante de 1917. Son échec à renverser l’autocratie là où celle de février était venu à bout du tsar en quelques jours, ne plaide pas en sa faveur, et de fait, elle a souvent été considérée comme une simple « répétition générale » pour reprendre les
mots de Lénine, ou un « magnifique prélude », ainsi que Trotsky la qualifiait (voir son 1905 aux éditions de Minuit). L’historiographie de cette séquence est donc moins riche que pour 1917, tout comme les oeuvres littéraires qu’elle a pu inspirer ; on se souviendra surtout de sa mythification cinématographique dans Le
Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein. A l’ombre de la Butte-aux-Coqs en est d’autant plus notable. Ce roman, publié par les éditions Agullo, spécialisées dans la littérature étrangère, est signé d’un auteur letton. Osvalds Zebris, né en 1975, signait là en 2014 sa première oeuvre de fiction, en y apportant une singularité d’importance : sa focale décentrée. Lorsque l’on s’intéresse à la révolution de 1905, on pense d’abord à Saint-Pétersbourg, voire à Moscou où des combats de barricades eurent lieu, mais rarement aux périphéries de l’empire russe. Et pourtant, ainsi que le livre lui-même l’explique, Lénine salua en son temps les combattants de Lettonie (composante à l’époque de la Livonie) : « Salut à vous, héros de la cohorte de Riga, la révolutionnaire ! Vive les pionniers de l’armée révolutionnaire du peuple ! » - c’est ainsi que les acclamait, enthousiaste, Vladimir Illitch Oulianov […] » (p. 47). Les insurgés prirent en effet d’assaut la prison centrale de la ville et le siège local de l’Okhrana, tandis que les manifestations du 13 janvier avaient causé plusieurs milliers de morts (un monument dédié à Riga célèbre leur souvenir). Le point d’ancrage de l’intrigue du roman se place toutefois en aval de ces événements, autour des fêtes de noël 1906....

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