Note de lecture : Et que se taisent les vagues de Désirée et Alain Frappier, Steinkis, 2024, 24€

MOLCER 10- Roger Revuz-Le roman-graphique Et que se taisent les vagues est le troisième volet de la trilogie de Désiré et Alain Frappier sur le Chili . Il raconte comment une centaine de jeunes marins tentèrent de s’opposer à l’organisation par leurs officiers d’un coup d’Etat contre le gouvernement de l’Unité populaire dirigé par Salvador Allende de 1970 à 1973. 
Désiré et Alain Frappier ont recueilli les témoignages de ces courageux marins qui avaient voulu prévenir Salvador Allende du coup d’Etat que préparaient leurs officiers qui, pour la grande majorité, penchaient pour la droite et l’extrême-droite. Ils se sont également appuyés sur les travaux de l’historien belgo-chilien Jorge Magasich, auteur d’une thèse de 800 pages sur le sujet : Ceux qui ont dit non. 
Au fil des planches très réalistes et expressives en noir et blanc d’Alain Frappier, nous suivons le récit de Luis Ayala. Luis Ayala est un jeune marin issu de la classe ouvrière comme la plupart  de ceux qui se sont engagés dans la marine, seul moyen pour eux de pouvoir faire des études supérieures. A l’Ecole des mousses, les humiliations que leur font subir leurs officiers développent chez eux un fort esprit de solidarité. Quand Allende est élu en septembre 1970, ils se rendent compte de la haine que leurs officiers portent à ce président. Dès le début il est clair pour les jeunes marins que les officiers feront tout pour abattre ce gouvernement.  Comme le dit le narrateur Luis Ayala, la « caste des officiers aiguisa notre conscience de classe ».
En juin 1973, a lieu une première tentative de coup d’Etat de l’armée de terre, le Tanquitazo,  avec la complicité du groupe d’extrême-droite Patria y Libertad. Le coup échoue mais il fait 22 morts et des dizaines de blessés. Luis Ayala raconte : « Pour nous, ce coup d’Etat avorté était la répétition générale de celui qui s’apprêtait à nous tomber dessus ».
Dès février 1973, les groupes de marins anti-putschistes qui se multiplient sur les navires, dans les ateliers de maintenance et dans les écoles d’instructions, se structurent. Début août 1973, une rencontre de ces marins est organisée avec le sénateur Altamirano, dirigeant de l’aile gauche du Parti socialiste et Miguel Enriquez, le principal dirigeant du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire). Le Parti communiste, membre le plus modéré de la coalition de l’Unité Populaire, a refusé de participer à la réunion dont l’objectif est d’informer Allende du coup d’Etat qui se trame. Mais quelques jours plus tard, dénoncés par un de leurs camarades, une centaine de marins sont arrêtés et torturés. Luis Ayala, le narrateur de Et que se taisent les vagues raconte que dans son cachot il entend, venant du sous-sol, le discours d’Allende à la radio : « Des tentatives d’organisation de cellules ont été découvertes hier sur deux bateaux de la marine. On présume l’intervention de membres du secteur d’extrême-gauche. Une fois de plus les extrémistes de gauche et de droite se donnent la main ». Ce discours suscite l’incompréhension des jeunes marins. Leur arrestation et les tortures qu’ils subissent provoquent d’importantes manifestations de protestation mais Allende refuse de recevoir une délégation de soutien à ces marins.
Allende, face à l’offensive de la droite et de l’extrême-droite qui organisent le chaos, choisit de temporiser et de se rapprocher de la droite démocrate-chrétienne. Le 28 août, il nomme Pinochet, présenté comme un général loyaliste, commandant en chef des forces armées. Le 11 septembre 1973 c’est le sanglant coup d’Etat que les jeunes marins avaient tenté de prévenir. Coup d’Etat dont le vice-amiral Merino, qui vient de s’auto-proclamer commandant en chef de la marine, est le principal instigateur.  Pinochet qui prendra le commandement du coup d’Etat avait, quant à lui, attendu le 9 septembre pour s’engager à y participer.
Et que se taisent les vagues, au graphisme d’une grande beauté, est un livre passionnant, émouvant, rigoureux sur le plan historique et d’une grande richesse documentaire sur des événements méconnus de l’histoire du Chili sous l’Unité populaire.

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