MOLCER 10-  David NOËL- Maître Puntila et son valet Matti (Herr Puntila und sein Knecht Matti) est sans doute l’une des plus célèbres pièces de Bertolt Brecht. Écrite en 1940, la pièce, inspirée des récits de l'écrivaine finno-estonienne Hella Wuolijoki qui a hébergé Brecht durant son exil en Finlande en 1939-1940, a été créée au Schauspielhaus de Zurich le 5 juin 1948.
Comédie sur les relations maître-valet, Maître Puntila et son valet Matti reprend les codes du théâtre moliéresque, mais délivre au spectateur un message plus profond qu’il n’y paraît, entre critique de l’hypocrisie des maîtres et éloge de la dignité du peuple. 

Un père riche, un valet malin, une jeune fille, un mariage arrangé… Dans Maître Puntila et son valet Matti, tous les codes de la comédie classique sont présents. Il y a du Molière dans cette comédie de Brecht qui cherche d’abord et avant tout à divertir le public, ce qui est pour Brecht, la fonction première du théâtre, ainsi qu’il l’expose dès le début du Petit Organon pour le théâtre : 

« Depuis toujours, l’affaire du théâtre, comme d’ailleurs de tous les autres arts, est de divertir les gens. Cette affaire lui confère toujours sa dignité particulière ; il n’a besoin d’aucune autre justification que l’amusement, mais de celui-ci absolument » (p. 13-14). 

Si Brecht recherche l’amusement du spectateur dans sa comédie, Maître Puntila et son valet Matti est aussi une satire sociale efficace. 

C’est ce que reconnaît Robert Bourget-Pailleron dans une critique de la très conservatrice Revue des deux mondes dans laquelle l’écrivain ne veut voir dans le théâtre de Brecht qu’une « suite de récriminations haineuses contre les puissants, tous exploiteurs du peuple », à l’exception de Maître Puntila et son valet Matti : 

« Avec Maître Puntila et son valet Matti, nous échappons à ces boniments. C'est une pièce comique, voire une farce, la seule de ce genre qu'ait écrite Bertolt Brecht. Maître Puntila, riche propriétaire terrien, règne sur son personnel par la terreur quand il est à jeun et de la façon la plus joviale s'il a bu. Heureusement, il boit souvent ce qui provoque, de sa part, une distribution de bienfaits sur les uns et les autres. Son valet Matti, personnage astucieux et cynique, ne manque pas d'exploiter la situation. Puntila va jusqu'à lui offrir en mariage sa fille Eva, gracieuse personne dont la vue réjouit le cœur du garçon. Mais Matti s'inquiète. Quand Puntila aura cuvé son vin, ne va-t-il pas revenir sur une aussi imprudente promesse et chasser son valet ?  »

L’objectif de satire sociale est annoncé dès le prologue de la pièce, chanté par le personnage de la vachère, qui annonce au spectateur : 

« Nous allons vous montrer ici, sur cette scène,
Certaine bête d’une ère antédiluvienne,
Le Propriétaire foncier, tel est son nom,
Animal tenu pour inutile et glouton,
Qui s’accrochant en quelques endroits spécifiques,
Y représente une calamité publique ».

Chez Brecht, on le sait, la chanson participe du processus de distanciation : les adresses au public, les changements à vue des décors sont autant de procédés rompant l’illusion théâtrale en brisant le quatrième mur qui sépare la scène de la salle.

La fable de la pièce relève clairement de la satire sociale. De fait, il y du Figaro chez Matti et le discours du valet Matti n’est pas sans rappeler le réquisitoire de Figaro contre le comte Almaviva, à la scène 3 de l’acte V, qui vaudra au Mariage de Figaro d’être censuré jusqu’en 1784 : 

« Non, monsieur le comte, vous ne l’aurez pas… vous ne l’aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu, perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ».

Si Le Mariage de Figaro annonce la Révolution française à venir, Maître Puntila et son valet Matti annonce la révolution sociale. L’implacable critique qui y est faite d’un maître de comédie grotesque, mais attachant, et dont l’hypocrisie est mise en relief, s’accompagne chez Brecht d’une critique de la domination qu’exprime avec lucidité le valet Matti, érigé par l'auteur en porte-parole du peuple...

 

Pour lire la suite, achetez le numéro ou abonnez-vous....

Tag(s) : #Articles
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :