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MOLCER10- Marc Belissa et Yannick Bosc-
Depuis deux siècles, Robespierre n’a jamais cessé d’être une figure historique clivante, non seulement entre la droite et la gauche françaises, mais aussi au sein de ces familles politiques, et parmi les historiens, écrivains et citoyens qui se sont intéressés au personnage. Pourquoi cette permanence — et même cette accentuation du clivage — plus de deux siècles après son exécution ?
C’est évidemment l’identification de Robespierre avec la Révolution française, et surtout avec la période que l’on a appelé la « Terreur » après sa mort, qui explique cette persistance. C’est parce que la Révolution française et son héritage sont encore des éléments du débat politique en France que la figure de Robespierre occupe toujours une place centrale dans les représentations historiques.
Un repoussoir utile
Tout part de ce nous avons appelé la « matrice thermidorienne » qui – tout en réemployant des éléments antérieurs puisés dans la critique royaliste et girondine du personnage – construit dans l’année et demie qui suit le 9 thermidor une légende noire de Robespierre pour justifier la réorientation politique qui s’ensuit et qui vise à édifier un régime des propriétaires. Dans la période dite « thermidorienne » s’agrègent les éléments d’un mythe qui fait de Robespierre un monstre, un repoussoir utile pour disqualifier la période de la République démocratique et sociale et l’an II sous l’image englobante de la « Terreur ».
Dans un premier temps, Robespierre est accusé de vouloir devenir un nouveau roi avant que la figure du tyran sanguinaire, dont nous avons hérité, ne s’installe quelques mois plus tard dans le sillage du procès Carrier, incarnant les dérives répressives de l’an II. Les récits thermidoriens et royalistes deviennent alors interchangeables et donnent dans la surenchère. Pour certains, Robespierre aurait imaginé des instruments permettant de guillotiner sept personnes à la fois, quand d’autres en compte neuf et précisent qu’un « sanguiduc » canalisait le sang des victimes entre la place de la Révolution (actuelle Concorde) et le faubourg Saint-Antoine. Une tannerie de peaux humaines aurait même été installée au château de Meudon afin de recycler les guillotinés pour faire des souliers aux sans-culottes. C’est sur cette trame, construite après thermidor, puis rationalisée et épurée de ses outrances par deux siècles de reconstructions, que notre imaginaire de la « Terreur » a été façonné. Ce récit oublie généralement que, pour les thermidoriens qui la dénoncent, la « Terreur » n’est pas seulement associée au sang la guillotine (le récit qui nous est parvenu) mais également à ce qu’ils nomment l’« anarchie » que Robespierre aurait favorisé afin d’installer sa tyrannie. Selon Boissy d’Anglas qui personnifie la Convention thermidorienne en 1795, cette anarchie aurait été entretenue par les promesses d’égalité de la Déclaration des droits et un système politique dans lequel le peuple était « constamment délibérant ». Le philosophe Jeremy Bentham le résume lorsqu’il écrit en 1795 que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est « le langage de la Terreur ». Depuis 1789 explique Boissy d’Anglas, les députés ont été incapables de s’opposer au « farouche despotisme de la multitude », cédant à l’impulsion populaire au lieu de la diriger. L’élimination des « terroristes » et la répression du mouvement populaire au printemps 1795, permettent de rompre avec cette tyrannie des « hommes oisifs et turbulents ». Orchestrée par Robespierre, la « Terreur » aurait été en particulier dirigée contre les riches et les propriétaires. Elle visait écrit le conventionnel Courtois – en charge du rapport sur les papiers « trouvés chez Robespierre » – au « nivellement, la sans-culottisation générale, par l'extinction des richesses et la ruine du commerce ». Aussi faut-il que le pays soit gouverné par les propriétaires et pour cela rompre avec des principes qui donnent des droits politiques aux non-propriétaires.
Des « moments Robespierre »
Le mythe du dictateur sanguinaire, sociopathe coupé des réalités, fait toujours florès, omettant ce que les thermidoriens précisaient quant aux logiques « anarchiques » (nous dirions démocratiques) et « terroristes » des principes de la Déclaration.
« Robespierre n’a pas d’aventure amoureuse, […] vit dans la théorie, […] se méfie de la foule et du peuple, […] est immature, […] guidé par un idéal de pureté néoromaine, […] les têtes tombent, tombent, […] des flots de sang débordent des caniveaux. » L’auteur de cette litanie pourrait être un thermidorien, un historien anti-révolutionnaire du XIXe siècle ou un plumitif de l’Action française. Il s’agit en fait du journaliste Franck Ferrand, le 17 mai 2011, dans l’émission « Au cœur de l’histoire » qu’il anime sur Europe 1. Depuis le 9 thermidor, le discours défavorable à Robespierre est ainsi demeuré d’une remarquable stabilité, comme la polarisation des passions que le révolutionnaire alimente.
En deux siècles, sur une toile de fond hostile dominante, quatre phases distinguent cependant des « moments Robespierre » au cours desquels on constate le retour d’un discours positif sur « l’Incorruptible » dans l’espace public. Le premier suit la Révolution de 1830 et accompagne la structuration politique du républicanisme et du socialisme. On assiste alors à la construction d’une légende dorée pour faire pièce au flot des calomnies thermidoriennes. Sauver Robespierre, c’est sauver la possibilité d’une république. Avec la Révolution de 1848 et sous l’influence de Michelet, de Quinet, puis d’Aulard qui occupe la première chaire d’histoire de la Révolution française à la Sorbonne, les républicains se séparent de Robespierre et lui substituent d’autres figures tutélaires, en particulier celle de Danton. Parmi les courants socialistes, les blanquistes développent un même discours négatif contre le « Robespierre-prêtre » prétendument responsable de l’exécution des hébertistes, censés être les vrais promoteurs d’une révolution populaire. Après l’avoir ainsi abandonné pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la gauche, principal soutien de « l’Incorruptible », le retrouve de nouveau dans les années 1930. Les recherches d’Albert Mathiez et la création de la Société des études robespierristes en 1907, dont il est le maître d’œuvre, ont contribué à changer la donne. Le deuxième moment Robespierre commence. Le Front populaire associant les drapeaux rouge et bleu-blanc-rouge, « l’Incorruptible » est mobilisé lorsque la République est en péril face à la crise et à la montée de l’extrême-droite. Il devient l’un des héros de la culture communiste et le jouet de la Guerre froide après 1945, être pour ou contre Robespierre revenant à soutenir ou combattre l’URSS de Staline. Les années qui précèdent et suivent Mai 1968 marquent une autre étape au cours de laquelle le personnage se normalise. Les énarques qui baptisent la promotion de 1970 du nom de Robespierre n’ont certainement pas le sentiment d’avoir choisi un psychopathe. Robespierre divise toujours politiquement mais il tend à échapper aux caricatures les plus grossières. Dans les années 1980, la vague antitotalitaire les réactive et met un terme à ce troisième moment Robespierre en condamnant le révolutionnaire au nom des Droits de l’Homme dont il est pourtant la figure emblématique pour ses contemporains. Il devient banal de l’assimiler aux Khmers rouges voire à Hitler.
Depuis 2011, avec le succès inattendu d’une souscription lancée pour le rachat de ses papiers, l’espace public bruisse du nom de « l’Incorruptible », donnant le sentiment d’être face à l’ouverture d’un quatrième moment Robespierre. Les élections présidentielles de 2012 ont en particulier été marquées par la revendication affichée de la figure de Robespierre par Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de gauche. En 2019, des « Gilets Jaunes » citaient la Déclaration des droits de Robespierre qu’ils regardaient comme un programme pour la France d’aujourd’hui. Comme à d’autres moments de l’histoire, Robespierre sort ainsi du passé pour être directement projeté sur la scène politique contemporaine dont il devient presque un interlocuteur....
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MOLCER 10 Sommaire - Revue MOLCER
Éditorial, par Jean-Numa Ducange, page 5 Robespierre : fabrication et usages d'un mythe, par Marc Belissa et Yannick Bosc, page 6 Découvrir Saint-Just, par Catherine Goblot-Cahen, page 14 Eugène...
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