MOLCER n°2, Alain Cuenot
Seconde partie : Le sens politique de la lutte anticolonialiste (première partie dans MOLCER n°1)
Fanon : Peaux noires, masques blancs
Fanon, pour sa part, ne reste pas indifférent à l’engagement de ses camarades en lutte. Franz Fanon est né le 20 juillet 1925 à Fort de France en Martinique dans une famille de huit enfants afro caribéenne et métissée. Lors des hostilités il s’engage à dix-huit ans dans l’armée de libération des Antilles française ralliée à De Gaulle. Soldat des forces françaises de libération placées sous le commandement du général de Lattre de Tassigny, il est blessé dans les Vosges et rapatrié en Algérie. Il est confronté au racisme et à un patriotisme exacerbé qui règne dans l’armée française. Il observe avec répulsion la violence de la société coloniale durant son séjour algérien. Au titre d’ancien combattant, il obtient une bourse d’enseignement supérieur et poursuit des études de médecine à Lyon ainsi que des cours de philosophie et de psychologie avec Merleau-Ponty.
Comme Césaire et Senghor, Fanon brandit l’arme littéraire pour dénoncer le colonialisme occidental. Il compose trois pièces de théâtre, L’œil noir, Les Mains blanches, La Conspiration au cours des années 1949-1950. Ces différentes recherches lui permettent de faire paraître un ouvrage majeur, Peaux noires, masques blancs en 1952 dans lequel il explique comment l’aliénation qui habite tout colonisé et particulièrement le noir est inhérente au système colonial.
Fanon entreprend une analyse d’ordre psychiatrique du statut du colonisé. Il démontre comment le pouvoir colonial exerce une violence psychique qui aboutit à une dévalorisation de l’individu systématique et dévastatrice. Pour le colonisateur, le colonisé est laid, bête, paresseux, animé d’une sexualité maladive. Ce dernier intègre ce discours de stigmatisation, il a le sentiment d’être inférieur, il finit par mépriser sa langue, sa culture, son peuple. Il ne veut plus alors qu’imiter son persécuteur. Ce même schéma, ajoute Fanon, se retrouve chez les Antillais qui se perçoivent comme supérieurs aux noirs, allant les considérer comme «leurs véritables nègres», phénomène caractéristique de l’aliénation qui s’est emparée de ses frères. Ayant intériorisé ce système colonial, le Noir situe le Blanc au sommet de l’échelle des races. Fanon écrit: «Le Noir n’est pas un homme, le Noir est un homme qui veut être blanc». Pour lui, le Noir sera pleinement homme quand il se débarrassera de cette aliénation qui le déshumanise. Il est donc urgent de dépasser l’antagonisme Blanc-Noir, colon-colonisé pour fonder une humanité nouvelle, construire une universalité de la condition humaine. En tant que psychiatre, Fanon met en garde le Noir qui veut exalter les valeurs noires supérieures. Il écrit: «Celui qui adore les nègres est aussi malade que celui qui les exècre»; «le Noir qui veut blanchir sa peau est aussi malheureux que celui qui prêche la haine des Blancs». En effet, pour Fanon exalter la race noire contre le Blanc, pour le Noir, c’est « s’enfermer dans sa noirceur » alors que le but est d’en sortir. La négritude, à ses yeux, est avant tout un passage obligé. Le besoin de se perdre dans la négritude est nécessaire mais n’est pas suffisant, l’important est de la dépasser. Il ne s’agit pas de «fixer l’homme» dans son histoire, son statut de colonisé ou d’ancien esclave mais de «lâcher l’homme», c’est-à-dire de construire avec lui son avenir dans l’universalité. Fanon ainsi se démarque de ses compagnons Senghor et Césaire. Selon lui, Senghor tout en mettant en valeur la sensibilité créatrice du Noir, se réfugie dans la rationalité culturelle de la France et de l’Europe, justifiant une « pseudo supériorité » de la langue française tandis que Césaire, tout en parlant d’aliénation du Noir à l’intérieur du système colonial, s’engage à abattre cette sujétion avec des armes poétiques mais ne cherche pas à analyser les formes de cette aliénation qui détruisent et ravagent sur le plan psychologique le moi intime du colonisé...
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