MOLCER 3, Jean-Pierre Molénat

  On ne prendra pas comme limite ultime la date de 1923, avec l'instauration de la dictature du général Miguel Primo de Rivera, qui met fin au régime de monarchie constitutionnelle, en place depuis la fin de la première république espagnole et la restauration monarchiste de 1875, parce qu'à cette date de 1923 un élément important de la constitution du parti communiste dans la péninsule reste à mettre en place.

Trois éléments contribuent à former la section espagnole de la Troisième internationale (ou Internationale communiste, ou Comintern). Une petite minorité, formée principalement de jeunes, sortie du  Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) dès avril 1920, pour constituer le Partido Comunista Español (PCE), une autre minorité, quantitativement plus importante, scissionnée un an plus tard et formant le Partido Comunista Obrero Español (PCOE), ces deux groupes ayant finalement fusionnés, en novembre 1921, sous la pression de Moscou. Enfin un groupe d'origine syndicaliste ayant brièvement été à la tête de la principale centrale du pays, la CNT (Confederación Nacional del Trabajo), majoritairement anarcho-syndicaliste, n’entre formellement au PCE qu'en 1924.

Pour comprendre la complexité du processus, il faut tenir compte des particularités d'un pays qu'il est coutume de nos jours, mais non à l'époque, de désigner comme l'État espagnol, pour en souligner la diversité. Il y a d'abord le retard économique, par rapport notamment à la France voisine, souvent prise comme terme de comparaison, allant de pair, avec une question agraire non résolue, notamment les latifundiums (grandes propriétés) du sud de la péninsule, qui favorise la prédominance de l'anarchisme dans le prolétariat rural. A l'inverse, une région bien développée, la Catalogne, possède un prolétariat industiel nombreux et combattif, mais qui, en grande partie d'origine rurale et méridionale, reste dominé par l'anarchisme, et où le socialisme marxiste a peine à s'implanter. Avec la Catalogne, apparaît  l'autre grande caractéristique du pays, l'échec partiel du processus d'unification nationale, du fait de la débilité de la bourgeoisie, durant le XIXe siècle, avec la faillite d'une révolution démocratique, et le manque d'une politique de scolarisation généralisée, qui a favorisé le maintien des langues régionales, en particulier du catalan et du basque, et la résurgence des particulatismes liés aux anciennes entités de l'époque féodalo-absolutiste.

 

Avec la fin de la Grande Guerre, et avant même qu’elle ne s’achève, et celle de la prospérité qu’elle a apporté aux classes dirigeantes, s’exaspèrent les tensions sociales, et, malgré l’échec de la grève générale d’août 1917 le mouvement ouvrier, comme l’agitation paysanne, est en plein essor, marqué par la croissance des organisations syndicales, plus encore celle de la CNT anarcho-syndicaliste que de sa rivale, l’Union générale des travailleurs (UGT), fermement tenue par les socialistes du PSOE (Partido Socialista Obrero Español).

Dans un pays resté jusqu'au bout en dehors du conflit, parce que la neutralité convenait mieux aux intérêts des classes dirigeantes, en réalité germanophiles, le PSOE, avec son fondateur, Pablo Iglesias, a maintenu une position favorables aux Alliés, et seule une petite minorité y a exprimé une position divergente. Ainsi les Jeunesses socialistes de Madrid ont elles été la seule organisation socialiste espagnole à adhérer à la conférence de Zimmerwald. A partir de l'été 1918, une groupe de militants du PSOE, en désaccord avec la direction du parti, publie un hebdomadaire dont le titre Nuestra Palabra (Notre Parole) reprend celui de Trotsky, Nache Slovo. L'un de ses rédacteurs écrit, en novembre de cette année: «Ce que font les bolcheviks est simplement d'implanter depuis le gouvernement le programme socialiste». En juin-juillet 1918, le congrès de la confédération régionale catalane de la CNT décide l'abandon de la vieille organisation par métiers pour celle du syndidat unique de branche, qui lui donne une plus grande efficacité, et met à la tête du comité régional des modérés, dont  le secrétaire général, Salvador Seguí, dit «le gars au sucre» (el noi del sucre, en catalan).

La fondation d'un premier parti communiste

En décembre 1919 arrivent à Madrid, venus du Mexique, trois agents  de l'Internationale communiste, le russe Borodine, de son vrai nom Mikhail Gruzenberg, un Nord-Américain du nom de Phillips, qui se fait passer pour mexicain et appeler Jesús Ramírez, et  l'Indien M. N. Roy. Borodine ayant quitté l'Espagne en janvier 1920, Ramírez appuie la décision des Jeunesses socialistes de se transformer en parti communiste et c'est ainsi que le 15 avril 1920 est proclamé le Partido Comunista Español (Parti communiste espagnol). Le manque de familiarité des délégués, notamment Borodine, avec la situation espagnole, leur a fait négliger l’organisation majoritaire, et la plus radicale, de la classe ouvrière hispanique, la CNT.

L'opération est réalisée dans des conditions rocambolesques, sans consultation de la base. Le Comité national des jeunesses socialistes avait envoyé aux sections locales des enveloppes fermées, avec ordre de ne pas les ouvrir avant le 15 avril. Dans les assemblées convoquées à cette date, sans ordre du jour, est lu le contenu des enveloppes annonçant la transformation des Juventudes Socialistas [Jeunesses socialistes] en Parti communiste espagnol.

Ce nouveau parti ne comporte qu'une fraction des anciennes Juventudes Socialistas, essentiellement la section de Madrid, et se trouve bientôt surnommé ironiquement comme celui des " cent enfants". Son journal, El Comunista, lancé le 1er mai 1920, a pour directeur un jeune fonctionnaire des finances, Juan Andrade, que l'on retrouvera au long des vicissitudes du communisme espagnol, et particulièrement du POUM, dont il sera aussi l'un des fondateurs et dirigeants, jusqu'à son décès en 1981. De même figure parmi les fondateurs du premier PCE, un ouvrier typographe, Luis Portela, qui comptera également parmi les militants du POUM, et qui a laissé ses souvenirs de la fondation du mouvement communiste en Espagne. A côté d'eux, il y a des militants qui resteront jusqu'au bout au parti communiste officiel, malgré sa stalinisation, telle la Pasionaria, alors seulement présente au Pays Basque. Le secrétaire général du parti est Ramón Merino Gracia, qui gardera la fonction après la fusion de novembre 1921, mais ensuite exclu, collaborera avec la dictature de Primo de Rivera, et passera au franquisme pendant la guerre civile.Le jeune parti se situe à gauche du communisme léniniste, et Juan Andrade critique, au milieu de l’année 1920, dans une lettre privée, pour son opuscule contre le gauchisme, Lénine, écrivant qu’il n’a rien lu d’aussi abominable que La maladie infantile du communismeMais une importante section des Jeunesses, celle de la région ouvrière et minière des Asturies, n'a pas suivi la dissidence. Des 7000 adhérents des Juventudes Socialistas, seulement 2000 seraient allés au nouveau PCE. El Comunista est diffusé à moins de 5000 exemplaires.

La grève de la Canadiense

Le 5 février 1919, commence la grève de la compagnie d'électricité qui alimente toutes les entreprises industrielles de Barcelone, connue comme la Canadienne pour sa participation étrangère (officiellement Barcelona Traction, Light and Power Company), à la suite du licenciement d'un groupe de travailleurs affiliés à la CNT. Elle laisse la capitale catalane sans lumière, sans eau et sans tramway, de nombreux secteurs ouvriers s'étant joints par solidarité. Malgré la répression gouvernementale, qui emprisonne des milliers d'ouvriers dans la forteresse de Montjuich et qui finit par décréter, le 13 mars, l'Etat de siège dans toute la province de Barcelone, est signé le 17 du même mois un accord entre l'entreprise et le syndicat, qui signifie un triomphe pour les ouvriers, avec augmentation de salaires, la journée de huit heures, la réambauche des licenciés, et la promesse de libération de plus d'un millier de prisonniers. Pourtant au meeting convoqué pour ratifier cet accord, où assistent 20 000 personnes, les dirigeants syndicaux et notamment le plus populaire d'entre eux, Salvador Seguí, doivent insister pour le faire accepter, contre des exaltés qui réclament la libération immédiate des prisonniers en préalable à la reprise du travail. Mais le gouvernement n'exécutant pas sa promesse, la grève reprend le 24 mars et se heurte cette fois à l'intransigeance du gouvernement et du patronat...

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