MOLCER 6, Roger Revuz

« Lyon est la ville de France qui présente le plus d’intérêt pour l’histoire du mouvement social au [XIXe] siècle. C’est la ville de France d’où partit en 1831, le signal du réveil ouvrier, la ville où la lutte de classe fut toujours à l’état endémique […] Si l’on a pu dire que l’histoire de Paris c’était l’histoire de la France, on peut dire aussi que l’histoire de Lyon fut l’histoire de la classe ouvrière française ».  

                                                            Sreten Maritch, historien du mouvement social lyonnais

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Durant la Révolution de 1848, les ouvriers lyonnais détinrent le pouvoir pendant quatre mois. « Ils occupèrent les forts, s’emparèrent des canons, formèrent des corps irréguliers, comme les fameux Voraces, ou entrèrent dans la garde municipale. Les clubs, avec le Club central en tête, les organisèrent politiquement. Dans le Comité central, autorité municipale révolutionnaire, ils avaient la direction ». A partir de juin 1848 et la répression des ouvriers parisiens insurgés, celle-ci s’abattit également sur les ouvriers lyonnais. Cependant, jusqu’au Coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte le 2 décembre 1851, la période fut marquée par une intense activité de la classe ouvrière avec des grèves nombreuses et violentes.

Quand la nouvelle du Coup d’Etat du 2 décembre 1851 parvint à Lyon, les sociétés secrètes républicaines tentèrent de soulever les ouvriers mais ceux-ci    se montrèrent peu enclins à défendre une république qui les avaient trahis en juin 1848. L’Etat de siège fut proclamé, les militants arrêtés. Le 2 décembre 1852, l’Empire fut rétabli, Louis-Napoléon Bonaparte, le premier président de la République élu au suffrage universel (masculin) en décembre 1848 devint par plébiscite l’empereur Napoléon III.  Lyon fut alors placé sous la férule d’un préfet à poigne Claude Vaïsse. Ayant les mêmes pouvoirs que le préfet de police de Paris, il fut également nommé maire de Lyon. Dès 1852, il annexa à Lyon les communes suburbaines ouvrières de la Croix-Rousse, de Vaise et de la Guillotière.

Dès 1853, à l’instar du préfet Haussmann à Paris, Vaïsse s’attaqua à la transformation urbaine de la Presqu’île (le centre-ville).

« Dès décembre 1854, le pic des démolisseurs éventrait les vieilles maisons condamnées à disparaître où cohabitaient encore, du rez-de-chaussée à la mansarde, le banquier enrichi par le commerce des soies et le journalier à la recherche du travail quotidien. Deux grandes voies parallèles reliant la place Bellecour-la place d’armes de la ville-, aux pentes de la Croix-Rousse, quartier dangereux, tranchèrent le dédale des venelles obscures d’autrefois. On les nomma, comme il se devait, rue Impériale et rue de l’Impératrice. Ce sont les actuelles rues de la République et rue Edouard-Herriot. Dans le quartier des Cordeliers, là où une vingtaine d’années plus tôt un ensemble de ruelles tortueuses avait abrité l’état-major et les troupes du mouvement insurrectionnel de 1834, on traça des rues droites et l’on construisit un Palais du Commerce, temple de l’Industrie et du Négoce qui abritait cette puissance nouvelle et fascinante : la Bourse ».

Les travaux de transformations urbaines qui bouleversèrent la Presqu’île durèrent une dizaine d’années, entraînant un besoin de main d’œuvre d’ouvriers du bâtiment abondante.

Les ouvriers du bâtiment : des migrants saisonniers

Pour les travaux de « gros œuvre », l’activité à l’époque était saisonnière et traditionnellement à Lyon (comme à Paris d’ailleurs) les maçons étaient originaires du Limousin et d’Auvergne et plus précisément des départements de la Creuse, de la Haute-Vienne et du Puy-de-Dôme.  Du 15 mars au 15 avril, chaque année au moins depuis le XVIIIème siècle, des villages de ces départements, les maçons-paysans partaient rejoindre à pied en quatre ou cinq jours la capitale rhodanienne. Les émigrants n’abandonneront le voyage à pied que dans les années 1870-1880 avec le développement des lignes ferroviaires secondaires. L’hiver venu, ils s’en retournaient dans leurs villages rapportant avec eux des éléments de modernité.  Le quartier de l’Hôtel-Dieu dans la Presqu’île était, depuis le XVIIIème siècle, la destination traditionnelle des maçons mais les transformations urbaines les contraignirent à traverser le Rhône et à s’installer à la Guillotière qui, à partir de 1850, tendit à remplacer la Croix-Rousse en tant que centre du monde ouvrier lyonnais du fait du déclin de l’industrie de la soierie. Un quart des maçons de la ville y résidait. Les maçons logeaient principalement dans des garnis en chambrée. Ils étaient logés pour 7,50 francs par mois soit l’équivalent de deux journées de travail. Les responsables des garnis lyonnais exerçaient souvent eux-aussi la profession de maçon. Leur épouse, la « mère », qu’à Lyon les maçons appelaient la « gourgande », s’occupait de laver leur linge et de leur « trempe[r] la soupe le soir ».  Cette population migrante inquiétait les autorités. Depuis 1832, conséquence directe de la révolte en 1831 des canuts (les ouvriers de la soie) à laquelle avaient participé des maçons, une ordonnance obligeait les logeurs à tenir un registre visé régulièrement par la police… et de fait beaucoup de logeurs étaient des auxiliaires de la police impériale.

Les autres ouvriers du bâtiment, ceux du « second œuvre », étaient eux-aussi des migrants bien le nombre des sédentaires y ait été plus élevé : les charpentiers dont   une forte minorité était savoyarde, les scieurs de long, et les peintres-plâtriers dont un quart était piémontais. Les menuisiers étaient la corporation la plus sédentaire. Un rapport de police de 1861 indique que sur six mille, quatre mille étaient sédentaires. L’historien Jean-Luc Ochandiano observe que les migrants de la maçonnerie étaient en butte « à l’ostracisme de la population lyonnaise [auquel] s’ajoute le dédain des corporations qu’ils sont amenés à fréquenter sur les chantiers ». En effet charpentiers, menuisiers, serruriers avaient tendance à se considérer comme « l’aristocratie » des ouvriers du bâtiment.

Les ouvriers du bâtiment : une corporation combative

La grève, illégale jusqu’en 1864, était, malgré la répression, une arme largement utilisée par les maçons et les autres corporations du bâtiment.   Dans les premières années de l’Empire, les grèves furent nombreuses. En 1852, les maçons, les charpentiers, les terrassiers aux côtés des imprimeurs sur étoffe engagèrent la lutte pour obtenir des augmentations de salaire. En 1855, une grande vague de grèves déferla sur Lyon. Le maçons, les menuisiers, les tailleurs de pierre, les scieurs   de long entrèrent la lutte aux côtés des ouvriers de la soie. La revendication principale demeurait alors les augmentations de salaire. Le mouvement fut durement réprimé et les grévistes n’obtinrent rien.

Entre 1855 et 1865, les grèves, dans le secteur du bâtiment comme dans les autres secteurs, se firent plus rares.  Il faut attendre   1865 pour voir les maçons se mobiliser à nouveau sur la question des salaires, un an après la reconnaissance du droit de grève.   Les ouvriers se heurtèrent au patronat qui s’était organisé en Chambre syndicale du bâtiment. La grève fut un échec...

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