MOLCER 1, Roger Revuz
Le lundi 16 août 1819, environ 60 000 personnes, hommes, femmes et enfants, majoritairement des ouvriers et ouvrières du textile, se rassemblèrent pacifiquement à St Peter’s field à Manchester. Ce meeting était l’aboutissement d’une campagne pour revendiquer une réforme électorale à une époque où seuls 4% des adultes avaient le droit de vote. Ce mouvement était dirigé par les radicaux, un courant politique né dans les années 1780 et dont les chefs de file étaient John Cartwright (1740-1824) et Henry Hunt (1773-1835). A peine les manifestants étaient-ils rassemblés que la cavalerie de la yeomanry, une milice composée de commerçants et de marchands, secondée par la cavalerie de l’armée, chargea, sabre au clair. Quinze personnes furent tuées et 650 blessées. Les miliciens chargèrent au cri de « ce sera votre Waterloo » ! On parlera dès lors du massacre de Manchester comme de Peterloo en référence à la fois à la bataille, alors récente, de Waterloo (juin 1815) et à l’emplacement du meeting. Cet événement, méconnu en France, est une date fondatrice du mouvement ouvrier anglais comme l’est la révolte des Canuts à Lyon en 1831 pour le mouvement ouvrier français. 
Samuel Bamford et le mouvement radical
Les Editions sociales éditent, pour la première fois en français, l’autobiographie du tisserand Samuel Bamford (1788-1872). Il fut l’un des militants radicaux qui organisèrent la manifestation et le lundi 16 août 1819, il prit la tête du cortège partant de la ville de Middleton où il habitait, pour mener, au son du tambourin, les ouvriers, ouvrières et leurs enfants, vêtus de leurs plus beaux habits, à Manchester, situé à environ 30 kilomètres. Dans son autobiographie publiée entre 1839 et 1842, donc vingt après Peterloo, Samuel Bamford nous livre un témoignage de première main sur les débuts du mouvement ouvrier dans le Lancashire – la région de Manchester – cœur du premier foyer de la révolution industrielle naissante. 
Il nous décrit avec beaucoup de détails la préparation de la manifestation qui devait conduire les manifestants de Middleton à Manchester. Il raconte les entraînements dans les champs, sous la direction d’anciens soldats, pour apprendre à marcher en colonnes et en rangs de façon disciplinée. Les organisateurs avaient demandé aux participants de ne pas porter d’armes. Henry Hunt, le principal leader radical, dit « Hunt l’orateur » à cause de sa voix de stentor, voulait se démarquer des pratiques conspiratrices et insurrectionnelles qui avaient caractérisé le mouvement radical et prônait l’action légale appuyée par un mouvement de masse.  Mais le gouvernement conservateur et la bourgeoisie de Manchester, eux, ne faisaient pas de différence entre les deux stratégies.
Samuel Bamford raconte la répression qui s’abattit sur les chefs du mouvement après Peterloo. Le gouvernement conservateur fit arrêter et traduire en justice les organisateurs du rassemblement dont lui-même et Henry Hunt. L’événement eut un écho dans toute l’Angleterre, à Londres se constitua un « comité pour l’aide aux victimes du rassemblement de Manchester ». Le poète Shelley écrivit un long poème en soutien aux victimes, Le Masque de l’anarchie, écrit à l’occasion du massacre de Manchester  (l’anarchie étant pour lui le gouvernement conservateur) dont le dernier vers disait « ye are many, they are few »  (« vous êtes nombreux, ils sont peu »). Les accusés échappèrent à l’accusation de Haute trahison qui leur aurait valu la peine de mort mais furent condamnés à de la prison et à des amendes. Samuel Bamford pour sa part écopa d’un an de prison. Ses divers emprisonnements et procès occupent une place importante dans ses Mémoires.
Samuel Bamford et le mouvement chartiste
Les Mémoires de Bamford paraissent au moment où, à partir de 1838, le mouvement chartiste est en plein essor notamment dans le Lancashire. Les Chartistes se veulent les héritiers du mouvement radical dont la Charte reprend les revendications : suffrage universel (masculin à 21 ans), vote secret, élections législatives annuelles. Pourtant Samuel Bamford, l’ancien leader radical du début du siècle, combat les chartistes à qui il reproche leur « extrémisme » et voit dans leurs leaders, notamment O’Connor, des « hommes violents et sans principes ». En fait Samuel Bamford n’a jamais été un révolutionnaire : c’est un légaliste qui rêve d’un « équilibre naturel de la société », il avait été partisan de la réforme car écrit-il dans un des chapitres de ses Mémoires « rien d’autre que la réforme ne pourrait préserver le pays d’une révolution » et dans un autre chapitre il écrit : « contrairement aux partisans d’O’Connor, je n’exige pas d’obtenir tout [..]ou rien ». 
Samuel Bamford, tisserand, poète, journaliste et écrivain
Samuel Bamford et sa femme étaient tisserands sur soie à domicile.  Leur activité était concurrencée par l’installation des premières manufactures fonctionnant avec des métiers mécaniques.  D’ailleurs en 1812, à Middleton, en plein mouvement luddite , des briseurs de machines s’étaient attaqués à une fabrique de tissage et la répression avait été très dure. Mais Samuel Bamford n’était pas un partisan de ces méthodes d’action.
 Il avait fréquenté l’école- une grammar school- jusqu’à l’âge de 12 ans où il avait appris à lire. C’est en fréquentant l’école du dimanche tenue par les méthodistes qu’il apprit à écrire. A une question d’un magistrat qui lui demandait comment un homme pauvre pouvait être aussi instruit, il répondit que le peu de connaissances qu’il possédait était le fruit de ses lectures et études personnelles. Il écrivait et publiait de la poésie, il est l’auteur du Chant du massacre qui sera chanté par la foule lors des premiers anniversaires de Peterloo. Tout au long de son autobiographie il cite très souvent la Bible, multiplie les références à la mythologie gréco-romaine, cite Shakespeare.  Il connaît bien l’Histoire de l’Angleterre et son récit fait souvent référence à la guerre des Deux Roses (1453-1485) ou à la révolution du XVIIe siècle et même à Robin des Bois.  Très souvent également son récit prend les aspects d’un guide touristique pour décrire certains lieux historiques. 
La vie d’un radical : un récit picaresque
La vie d’un radical est écrit d’une plume alerte. Samuel Bamford, qui est un conteur né, nous amène sur les routes d’Angleterre avant le chemin de fer, routes qu’il parcourt le plus souvent à pied à raison parfois de 50 kilomètres par jour. Il nous fait voir et sentir la campagne anglaise. Avec lui, nous dînons dans les tavernes aux noms plus pittoresques les uns que les autres. Au fil des pages, Samuel Bamford dresse avec beaucoup de talent le portrait d’anonymes comme de radicaux célèbres de l’époque dont le fameux Henry Hunt, qui fut son ami, mais dont il écrit au chapitre 55, qu’il voyait en cet homme « un égocentrique ». Ses Mémoires fourmillent de détails sur la vie des classes laborieuses au début du XIXe siècle et sont nourries d’anecdotes qui leur donnent l’allure, notamment dans la première partie, d’un roman picaresque. 
Le texte des Mémoires est précédé d’une présentation de Fabrice Bensimon les replaçant dans le contexte de l’histoire du radicalisme anglais.  

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