MOLCER 4, Dominique Villaeys-Poirré
Ce texte est issu d’un travail de recherche commencé en 2020 et qui devrait être publié prochainement.
« La classe ouvrière a toutes les raisons d’accorder, encore et toujours, l’attention la plus sérieuse aux dates commémoratives de son histoire. Ne constituent-elles pas pour nous le grand livre, qui nous donne des indications pour continuer à avancer, qui nous permet d’apprendre à éviter les anciennes erreurs et à détruire les nouvelles illusions. » Tempêtes de mars, 18 mars 1912.
« Rien n’est plus à même de libérer d’un seul coup notre pensée des chaînes étouffantes des idées reçues et à l’entraîner vers toutes les directions qu’une période révolutionnaire. L’histoire réelle, comme la nature créatrice, est bien plus étrange et plus riche dans ses inventions que le pédant qui classifie et systématise tout. » La procession des prolétaires, 1905
Le rapport de Rosa Luxemburg à la Commune de Paris est un rapport de révolutionnaire à révolutionnaires. Certes, elle n’a pas consacré de texte entièrement à la Commune : le plus complet est « Tempêtes de mars » qu’elle écrit pour le 18 mars 1912, d’où provient la première citation en exergue. Pourtant, la Commune représente une constante de sa pensée, de son action. Pour preuve, la toute première mention date de 1894 dans l’un des premiers témoignages que nous possédons d’elle, une lettre à propos d’un article sur la Commune écrit par un militant russe :
« Je propose d’ajouter un petit passage pour dire que la Commune n’a pas pu alors introduire le socialisme pour des raisons internes, surtout à cause de la façon dont était posée la question ouvrière en France, dans toute l’Europe et en Amérique. Elle n’a pas même eu le temps d’effectuer les moindres réformes fondamentales au bénéfice du prolétariat, à titre de mesures provisoires, temporaires, dans le cadre du système actuel. »
La dernière mention clôt pratiquement son dernier article « L’ordre règne à Berlin » paru le 14 janvier 1919, la veille de son assassinat, dans le journal de son courant, Die Rote Fahne :
« Que nous enseigne toute l’histoire des révolutions modernes et du socialisme ? La première flambée de la lutte de classe en Europe s’est achevée par une défaite. Le soulèvement des Canuts de Lyon, en 1831, s’est soldé par un lourd échec. Défaite aussi pour le mouvement chartiste en Angleterre. Défaite écrasante pour le soulèvement du prolétariat parisien au cours des journées de juin 1848. La Commune de Paris enfin a connu une terrible défaite. La route du socialisme - à considérer les luttes révolutionnaires - est pavée de défaites. Et pourtant cette histoire mène irrésistiblement, pas à pas, à la victoire finale ! »
Entre les deux, une trentaine de citations dans les occasions les plus diverses, discours, articles, contributions aux congrès, textes économiques, notes de prison, et dans des contextes politiques essentiels : discussion sur le réformisme, la grève de masse, la révolution, avec toujours un objectif : transmettre directement l’expérience de la Commune aux masses, aux prolétaires.
« Un siècle de révolution »
Pour Rosa Luxemburg, la Commune constitue tout d’abord un jalon dans ce qu’elle appelle, dans l’article écrit pour Le Socialiste du 1er mai 1909, « un siècle de révolution ». Il va de 1789 à la Commune, passant par les Canuts, les chartistes anglais, les révolutions de 1848 en Allemagne et en France. Elle cite aussi dans d’autres textes la Guerre des paysans, la révolution de 1830. Et dans des interventions ultérieures, les révolutions de 1905, 1917 en Russie, de 1918/1919 en Allemagne. Surtout, elle associe étroitement l’analyse de la Commune à celle de la révolution de 1848 en Allemagne, d’autant que le 18 mars est une date symbolique, pour l’une et l’autre.Pour elle, connaître la Commune estessentiel pour le prolétariat, car il peut en tirer nombre d’enseignements, y puiser la volonté de lutte, le courage de continuer le combat au-delà des défaites.
La Commune, pivot dans l’histoire du mouvement ouvrier
La Commune est pour Rosa Luxemburg un moment fondamental de l’histoire du mouvement ouvrier, car elle en est un moment pivot. En 1918, en prison, elle travaille à une histoire - qui ne sera jamais écrite - des Internationales et de la social-démocratie allemande. Elle la conçoit comme une deuxième partie à la Brochure de Junius, comme l’écrit Mathilde Jacob à Clara Zetkin le 25 janvier 1919. Reprenant un passage de Junius, elle note : « La guerre met fin à la seconde période de l’histoire du socialisme. La première période des années 1830 à la Commune de Paris. Soulèvements révolutionnaires spontanés avec des tentatives utopiques de réalisation immédiate du socialisme. […] La première période a servi à ce que la société bourgeoise se divise en classes et à faire émerger la lutte de classe. La seconde période a servi, sur le terrain de cet antagonisme établi et identifié, à l’organisation de la lutte des classes comme phénomène quotidien et permanent. La chute de la Commune constituait la fin et la critique de la première période. La guerre mondiale constitue la critique et la conclusion de la deuxième période. La dialectique de Hegel triomphe : retour maintenant aux tâches de la première période : réalisation du socialisme… »
La Commune est donc bien un moment de basculement, il y a un avant et un après la Commune. L’histoire du parti, de l’organisation sociale-démocrate est liée à l’évolution du mouvement ouvrier, du prolétariat, de la lutte des classes. Il existe entre eux une relation organique. La Commune joue le rôle de césure, de temps de basculement.
Révolution bourgeoise / révolution prolétaire
Mais moment pivot entre quelles réalités ? Jusqu’en 1871, selon elle, les révolutions constituent des étapes sur le chemin de la bourgeoisie vers la prise du pouvoir, sa victoire historiquement nécessaire sur la société féodale et la consolidation de ce pouvoir. Elles s’inscrivent dans ce qu’elle estime en tant que marxiste être une étape inévitable, inéluctable vers l’effondrement du capitalisme, système économique et politique périmé et vers l’apparition, la cristallisation du prolétariat en tant que classe.
Elle décrit le rôle spécifique de la petite-bourgeoisie qui se range aux côtés du prolétariat dans un premier temps puis le combat, « dans tous les combats de classe, le bon ou mauvais vouloir de la petite-bourgeoisie est toujours déterminant. » Un antagonisme définitif existe entre prolétariat et bourgeoisie. La victoire du premier, la prise du pouvoir par celui-ci ne peut aboutir que par un combat contre la bourgeoisie toute entière :
« Si la Commune de Paris, par la trace lumineuse de sa brève existence et de sa chute héroïque, est restée à jamais un exemple de ce que les masses populaires révolutionnaires ne doivent pas reculer devant la prise du pouvoir, même si l’heure de l’histoire n’a pas encore sonné pour assurer à ce pouvoir durée et victoire, elle est aussi un éminent témoignage de l’hostilité mortelle irréductible existant entre la société bourgeoise et le prolétariat, qui, gardant toujours à l’esprit le profond antagonisme qui l’oppose à l’ensemble de la bourgeoisie, ne peut remplir sa mission historique que par un combat décidé contre celle-ci toute entière. » (Tempêtes de mars).......
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MOLCER n°4, juin 2022 - Revue MOLCER
SOMMAIRE Lettre aux abonnés. Dossier Rosa Luxemburg Introduction par Julien Chuzeville et Jean-Numa Ducange La cohérence de Rosa Luxemburg par Julien Chuzeville " Je suis un pays aux possibilité...
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