MOLCER 6, Dominique Ferré

Que fut le Congrès des peuples de l’Orient, réuni à Bakou (Azerbaïdjan) du 1er au 8 septembre 1920 ? Cette vaste assemblée de près de 2000 délégués, représentants de nombreuses nationalités de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR) mais également de nations opprimées de l’Asie (Caucase, Perse, Turquie, Chine, Corée, etc.) avait été convoquée par l’Internationale communiste (IC) à la veille de son deuxième congrès mondial (Petrograd, 19 juillet-7 août 1920). Nous allons montrer dans quel contexte s’est réuni le Congrès de Bakou, dans quel objectif il a été convoqué, quels en furent les participants, les principales discussions et décisions et la portée historique. 

L’été 1920 et la vague révolutionnaire mondiale

Quelle est, à l’été 1920, la situation de la révolution prolétarienne mondiale ? Les conseils d’ouvriers et de soldats (soviets) ont pris le pouvoir en Russie en octobre 1917 (7 novembre) et un Conseil des commissaires du peuple (SovNarKom) composé de bolcheviks et de Socialistes-révolutionnaires de gauche a été constitué. Refusant leur expropriation, les classes possédantes déclenchent dans les jours qui suivent la guerre civile qui va épuiser la Russie jusqu’en 1921, aggravée par l’intervention militaire des grandes puissances impérialistes qui veulent étrangler la révolution pour empêcher sa propagation. Car la révolution russe – du point de vue de Lénine et Trotsky, comme de la totalité des dirigeants bolcheviks d’alors – n’est que le point de départ de la révolution socialiste mondiale qui doit renverser le système capitaliste arrivé à son stade « impérialiste » (« ère des guerres et des révolutions » selon Lénine) pour y substituer un régime nouveau, fondé sur la propriété collective des moyens de production. En 1918 et 1919, la révolution éclate en Allemagne, en Finlande, en Hongrie, en Bulgarie et en Italie. Mais les Républiques soviétiques proclamées ici et là sont bientôt écrasées par l’action combinée de la réaction et de la politique des dirigeants sociaux-démocrates. En mai 1920, l’Armée rouge ouvrière et paysanne (RKKA) fondée par Trotsky l’année précédente, libère Kiev (Ukraine). Son avance rapide laisse espérer l’extension de la révolution en Pologne et au-delà, en Allemagne où se concentre le prolétariat le plus puissant du monde. Mais la défaite catastrophique de l’Armée rouge devant Varsovie (août 1920) met provisoirement fin à cette expansion immédiate de la révolution vers l’ouest. Pour l’IC et les dirigeants du Parti bolchevik, la nécessité vitale d’empêcher l’isolement de la révolution dans la seule Russie pose avec une acuité redoublée le combat pour la révolution en Orient, où les peuples asservis par les impérialismes occidentaux regardent avec autant d’espoir la révolution victorieuse en Russie que les prolétaires d’Europe. 
A l’été 1920, la RSFSR est dévastée par la guerre civile et l’intervention étrangère. Le militant révolutionnaire et internationaliste français Alfred Rosmer – l’un des cinq membres du présidium du deuxième congrès de l’IC aux côtés de Lénine, Zinoviev, de l’Allemand Paul Levi et de l’Italien Serratti – raconte dans Moscou sous Lénine, que le voyage de Moscou à Bakou « nous permit de saisir sur le vif l’immensité des ruines causées par la guerre civile ; la plupart des gares avaient été détruites ; les voies de garage étaient partout encombrées de carcasses de wagons à demi brûlés ; quand les Blancs étaient battus ils faisaient, en se retirant, le maximum de destructions. (…) On pouvait par-là, mesurer l’étendue de la tâche qui incombait au régime soviétique. » 
Bakou, en Azerbaïdjan, avec ses champs de pétrole sur la Mer Caspienne, est un depuis longtemps un bastion prolétarien. Dès le début du siècle, le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), puis sa fraction bolchevique, se sont solidement implantés dans sa classe ouvrière multinationale. Comme la Géorgie et l’Arménie voisines, l’Azerbaïdjan subit alors le joug tsariste. C’est la révolution d’Octobre qui l’en libère, et se constitue en 1918 une République dirigée par le parti nationaliste bourgeois Moussavat. Mais l’impérialisme britannique menace au sud. La lutte révolutionnaire et l’avancée de l’Armée rouge établissent le pouvoir soviétique à Bakou à peine quatre mois avant l’ouverture du Congrès. Rosmer note : « Les puits de pétrole étaient dans un état lamentable ; la Révolution n’avait pas encore eu le temps ni la possibilité de s’atteler à leur restauration, et ce que le tsarisme avait laissé était loin d’être des installations modèles ; les ouvriers - la plupart Persans - logeaient dans de misérables cabanes. La route qui y conduisait était défoncée, poussiéreuse ; quelques puits seulement étaient en activité ; tout contribuait à faire de cette exceptionnelle source de richesses un tableau pénible. »......

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