MOLCER 6, Marcel Bois 

A propos de l'article
Ce texte est une version légèrement remaniée d'un essai paru en 2010 dans le volume édité par Marcel Bois et Bernd Hüttner. Le texte est inédit en français. Nous tenons à remercier la Rosa-Luxemburg-Stiftung, Berlin, pour l'aimable autorisation de sa reproduction.

A propos de l'auteur
Marcel Bois est chercheur au Centre de recherche en histoire contemporaine de Hambourg. En 2014, a été publiée sa thèse « Les communistes contre Hitler et Staline. L'opposition de gauche du KPD dans la République de Weimar. Une vue d'ensemble » (Klartext-Verlag). 
    

Joseph Staline n'en revenait pas. « Ces gens », écrivait-il, « mènent l'agitation la plus grossière qui soit contre le Komintern et le PCUS (B), contre notre État soviétique ». La direction du parti allemand elle aussi se montra offusquée de ce qu'elle qualifiait de « pamphlet antibolchevique », de « tentative criminelle de division », d'« offensive contre l'unité du parti ». La raison de cette indignation était un article que près de 700 responsables du Parti communiste allemand (KPD) avaient publié en septembre 1926 et qui disait : « Jusqu'à présent, le Comité central du KPD croyait pouvoir maîtriser la situation dans le KPD et le Komintern par des moyens organisationnels. Mais les divergences sont plus graves que jamais. La presse du parti n'est plus accessible à l'opposition. » Sous le mot d'ordre « Retour à Lénine, au léninisme vraiment authentique et non falsifié », ils exigeaient une discussion ouverte au sein du parti – notamment sur la situation en Union soviétique.   
Effectivement, le KPD était alors en proie à une grave crise interne. Il avait été fondé dans les semaines de la Révolution allemande, au tournant de l'année 1918/19, avec l'objectif de lutter pour un monde meilleur, une société libérée de l'exploitation, de la pauvreté et de l'injustice. 
La Russie révolutionnaire était son modèle. La démocratie interne était une évidence pour le parti nouvellement créé. Il y avait régulièrement des assemblées des adhérents, les oppositionnels pouvaient défendre leurs positions dans toutes les sections du parti et les controverses étaient ouvertement discutées dans la presse du parti. Le débat était libre et il n'était pas rare que la direction du parti soit mise en minorité lors des conflits.
Mais moins d'une décennie plus tard, il y avait un abîme entre les aspirations et la réalité. Dans la jeune Union soviétique, le stalinisme avançait à marches forcées : les acquis de la révolution étaient progressivement supprimés, la classe ouvrière prétendument dirigeante n'avait plus  guère son mot à dire dans la politique ou l'économie. Le KPD avait lui aussi perdu une grande partie de son caractère émancipateur originel. Surtout sous Ernst Thälmann, qui le dirigeait depuis 1925, il était devenu un parti dogmatique, privé de démocratie, contrôlé bureaucratiquement par l'appareil qui était lui-même inféodé à Moscou.
Lutte contre la stalinisation
 La raison en était une évolution que la recherche historique appelle « stalinisation ». Ce n'était  
pas un phénomène propre au parti allemand. Au contraire, un processus similaire se développait par le biais de l'Internationale communiste (Komintern) dans tous les partis communistes du monde entier. L'échec de la tentative de soulèvement de « l'Octobre allemand » de 1923 avait définitivement signifié que la Révolution russe - contrairement à ce que ses acteurs avaient espéré - ne s'étendrait pas à d'autres pays européens et que la Russie soviétique resterait isolée.  Ce fut alors le début de la dégénérescence de l'État et de la société dans un pays déjà marqué par la guerre mondiale et la guerre civile.  Alors que la classe ouvrière perdait toute influence politique, la bureaucratie du parti communiste se transformait en nouvelle classe dirigeante. Staline, qui en représentait les intérêts, devenait le chef de l'État et du parti. Au cours de cette évolution, non seulement le régime soviétique prenait un caractère de plus en plus despotique, mais les partis communistes étrangers se transformèrent eux aussi au cours des années 1920 en appareils bureaucratiques totalement dépendants de Moscou.

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