MOLCER 6Jean-Guillaume Lanuque 

 Il y a près d’un siècle, Trotsky publiait Littérature et révolution, un essai critique dans lequel le révolutionnaire russe s’intéressait aux écrivains et à leur positionnement face à la révolution bolchevique. La rubrique « L’écrivain et le révolutionnaire » reprend cette démarche en l’élargissant : il s’agira en effet de se pencher sur des romans, actuels ou plus anciens, prenant pour sujet les révolutions du passé, leurs acteurs, leurs figures, afin d’appréhender l’image de la révolution dans le temps long de la culture.

Difficile d’échapper au magnétisme de la Révolution française, cette mère de toutes les révolutions. Après la biographie romancée de Saint-Just imaginée par Arnaud Maïsetti (voir notre numéro 4), voici donc le récit de la célèbre nuit du 4 août 1789… Célèbre ? Bertrand Guillot estime au contraire qu’elle l’est, mais sans marqueur visuel fort, contrairement au serment du jeu de paume, à la prise de la Bastille ou à la marche des femmes sur Versailles, tous événements survenus cette même année. À partir d’un travail de fond sur les archives, il a donc cherché à redonner vie à ce moment clef. Pour ce faire, il nous emmène dans les pensées et le ressenti de plusieurs députés de la toute jeune Assemblée nationale.

Il y a Duquesnoy, avocat, élu de Lorraine, plutôt modéré ; Delaville, négociant représentant la ville de Lorient, plus radical ; Lapoutre, un fermier aisé du nord de la France, soucieux du sort des campagnes… et de ses moissons. Cette première partie du livre est par ailleurs divisée en chapitres relativement courts, dont le titre correspond au décompte horaire. Un tempo digne d’une série télévisuelle, qui joue pour beaucoup dans la capacité de son récit à emporter le lecteur, à l’immerger avec brio dans un moment historique dont les éléments contextuels sont évoqués progressivement. Le Hodey, présent lui aussi ce soir-là, incarne ainsi les gazetiers, précurseur de cette liberté de la presse en plein essor. Bertrand Guillot montre bien les divisions internes aux représentants de chaque ordre, entre évêques aisés et curés, entre seigneurs réactionnaires et nobles plus libéraux, voire déjà capitalistes dans leur gestion du patrimoine. Si la séance parlementaire du 4 août devait initialement porter sur l’adoption d’un texte insistant sur un rappel à l’ordre et le nécessaire paiement des impôts antérieurs, elle bascule avec la prise de parole de Louis-Marie de Noailles. Ce beau-frère de Lafayette, qui a comme lui combattu aux côtés des insurgés américains, propose l’abandon des privilèges de la noblesse, particulièrement de la dispense fiscale dont elle bénéficie traditionnellement. Lui succède d’Aiguillon, seconde fortune de France, appuyant cette proposition, puis un autre noble, du Châtelet, jadis champion de la répression, désormais converti au changement. Cette succession d’interventions déclenche un véritable emballement, chacun cherchant alors, entraîné par l’atmosphère de fébrilité ainsi générée, à se dépouiller du maximum de privilèges ! À cet égard, Bertrand Guillot rappelle utilement que dans cette France qualifiée bientôt d’Ancien Régime, les privilèges sont partout, s’appliquant non seulement à des ordres, mais également à des professions, des villes, des provinces… Les députés représentant le Dauphiné sont les premiers à proposer de supprimer également les privilèges de leur province, suscitant là encore un effet domino vers une véritable harmonisation fiscale. Cette séance ayant en apparence échappé à ses acteurs – en apparence seulement, car le président du moment, Isaac Le Chapelier, a tout fait pour prolonger cet état de grâce – se termine sans vote, l’acclamation générale suffisant ! …

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