MOLCER 7, Charles Dupuy. Il y a 100 ans s’interrompait l’activité pratique de Vladimir Ilitch Lénine, président du Conseil des Commissaires du peuple de la République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie. Une mystérieuse maladie s’était déclarée le 24 avril 1922, qui devait l’emporter le 21 janvier 1924.
Pendant un an, car à partir du 10 mars 1923 Lénine cesse de parler et d’écrire, son activité a été entravée par des périodes de repos forcé, puis par des mesures d’isolement, voire d’interdiction partielle d’activité par les médecins, qui l’ont confiné dans l’entourage de son secrétariat et de Nadejda Kroupskaïa, à la fin, sous le contrôle d’un Staline, de plus en plus soucieux d’isoler un adversaire déclaré. Néanmoins, il n’a cessé de combattre par la plume et de plus en plus rarement, par la parole.
Voici comment, dans son dernier article « Mieux vaut moins mais mieux », Lénine décrit sa perspective : « le trait général caractérisant notre vie actuelle est celui-ci : nous avons détruit l’industrie capitaliste, nous nous sommes appliqués à démolir à fond les institutions moyenâgeuses, la propriété seigneuriale, et, sur cette base, nous avons créé la petite et très petite paysannerie qui suit le prolétariat, confiante dans les résultats de son action révolutionnaire ; cependant, avec cette confiance seule, il ne nous est pas facile de tenir jusqu’à la victoire de la révolution socialiste dans les pays les plus avancés ». Il n’est pas question un seul instant du « socialisme dans un seul pays » !  (…) » Pour tenir il faut, poursuit-t-il, « perfectionner(...) rénover notre appareil d’Etat » (qui ne cesse de grossir) l’épurer et le  réduire au maximum ».

Depuis le « rapport Khrouchtchev » en 1956 et la publication de nombreux textes de Lénine tenus sous le boisseau jusqu’alors, les récits par les oppositionnels au stalinisme - au premier chef Léon Trotsky - des principaux épisodes de ce « dernier combat », ont été amplement confirmés lors de l’ouverture des archives à la fin de l’URSS. Le célèbre « Testament » se termine par la recommandation de destituer le Secrétaire général du PCUS Staline. Il vient couronner des batailles concernant l’économie, la bureaucratisation de l’Etat et du parti, enfin la question capitale pour Lénine des « nationalités » et de la Constitution de la nouvelle URSS (proclamée le 30 décembre 1922) – incluant la « question géorgienne », c’est-à-dire la défense des droits des petites nations contre l’oppression des grandes. Cette question resurgit à nouveau lorsque Poutine vilipende l’héritage, si précieux, de Lénine à propos de l’Ukraine !
Dans ce qui suit, je me suis très largement appuyé sur le Lénine, la révolution permanente (Payot, 2011) par Jean-Jacques Marie, qui décrit dans un récit palpitant cette période précédant la mort de Lénine.

Les républiques soviétiques de mars 1921 au XIe congrès du parti

Pour mieux comprendre le contexte dans lequel Lénine engage ses derniers combats, il convient de restituer au moins les évènements de l’année qui précède.
Le Xe Congrès du parti bolchévique, en mars 1921, est concomitant de la révolte de Cronstadt. Il marque un très important tournant avec la mise en place de Nouvelle Politique Economique (NEP) que Lénine considère comme un recul, une « retraite nécessaire », mais extrêmement dangereuse ; mais également dans le régime intérieur du parti, avec la fameuse interdiction « provisoire » des fractions. Ce Congrès a été précédé d’un débat très pénible (une « mauvaise fièvre » selon Lénine) sur la question dite « des syndicats », qui a vu s’affronter au final trois plateformes, celle des « Dix », regroupant autour de Lénine sa « vieille garde » dont Staline ; celle de l’Opposition ouvrière (Chliapnikov-Kollontaï) et celle de Trotsky-Boukharine. Les deux dernières ont été largement battues, avec comme conséquence directe l’éviction du Secrétariat de trois partisans de Trotsky, remplacés par des proches de Staline. Les séquelles de ce débat seront durables, notamment dans les relations personnelles entre Lénine et Trotsky - malgré leur accord fondamental sur plusieurs grandes questions : la NEP, la tactique de l’Internationale communiste (« aux masses », pour le Front Unique), la question nationale. 

La situation des républiques soviétiques est alors catastrophique. Deux grandes sécheresses en 1920 et 1921 (surtout) ont touché les terres à blé, et entrainé de terribles famines, aggravées par des épidémies galopantes à cause du blocus des fournitures de médicaments par les puissances capitalistes.  Au délabrement de l’industrie et des transports s’ajoute la situation déplorable du prolétariat. Son avant-garde a été aspirée (et en partie détruite) soit par les tâches militaires, soit par des responsabilités administratives auxquelles elle n’est pas préparée. Les conséquences en sont la chute de l’activité proprement politique des Soviets et la prolifération du « bureaucratisme » qui ne cessera de tourmenter Lénine : « ce ne sont pas les communistes qui mènent » la lourde machine héritée du tsarisme, mais « ce sont eux qui sont menés ». 

Le XIe congrès du Parti communiste (27 mars -2 avril) confirme et consolide la mise en place de la NEP. C’est « l’homme à poigne » Staline qui est élu Secrétaire général :  Lénine non seulement a donné son assentiment, mais a émis un jugement positif sur son action à la tête de l’Inspection ouvrière et paysanne. Comme le note Jean-Jacques Marie, « il ne tardera pas à déchanter ».
Enfin, « l’éclipse » de Lénine, envoyé à Gorki (actuelle Nijni-Novgorod) se reposer du 27 mai au début septembre, va favoriser les manœuvres de l’appareil tant dans le domaine économique que de la question « des nationalités ».....

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