MOLCER 7, David Muhlmann. Introduction : Lire Lénine aujourd’hui

L’actualité de Lénine et du léninisme semble définitivement révolue. L’épopée bolchévique appartient à l’histoire du xxe siècle, à la banqueroute de l’expérience stalinienne née en Russie, et à sa faillite sanglante. Dans ces conditions, en quoi un travail de recherche sur Lénine pourrait-il interpeller un lecteur d’aujourd’hu ? Cet article a pour première ambition de démontrer l’intérêt intellectuel à la redécouverte des textes de Lénine et de sa stratégie politique, dans un contexte d’oubli, spécialement en France, en raison de la proximité qu’a entretenu le Parti communiste français avec la Russie stalinisée.

Quoi que l’on pense de son action, Lénine fut l’un des acteurs majeurs du siècle passé, qu’il modela en profondeur, divisant irrémédiablement la gauche entre une social-démocratie réformiste et les partisans du communisme. À ce titre, parce qu’il a su rendre opératoire et efficace (pour le meilleur ou pour le pire, peu importe ici le jugement de son bilan) la perspective de transformation sociale, il mérite encore d’être étudié plutôt que d’être jeté « aux oubliettes de l’Histoire », comme disait Marx, par-delà la confusion entre sa pratique en tant que dirigeant politique et son rôle de penseur et de théoricien. C’est d’ailleurs ce que s’efforcent de faire un certain nombre de recherches, qui se multiplient dans le monde anglo-saxon, mais rien de significatif en France depuis les années 1968 et cela constitue en tant que tel une réalité sociologique significative, et peut-être même unique : le fait que pour des raisons idéologiques et politiques spécifiques, on ait pu à ce point refouler la pensée d’un des acteurs majeurs de l’Histoire.

Il est important de se défaire de l’idéologie d’Etat du « marxisme-léninisme » , en faisant retour aux textes eux-mêmes : l’enjeu d’une lecture de Lénine aujourd’hui est, nous semble-t-il, moins d’égrener une foule de faits déjà connus sur la Révolution russe, ou de prétendre à une nouvelle biographie (les existantes sont déjà excellentes, en particulier celles de Jean-Jacques Marie, mais aussi d’une chercheuse aussi rétive à l’adoration du personnage qu’a pu être Hélène Carrère d’Encausse). L’idée est de mener une lecture interne aux textes, certes éclairée par le contexte, pour s’interroger sur la logique de la pensée de Lénine qui, dans les conditions historiques que l’on connaît, a pu déployer sa puissance de transformation révolutionnaire. A la lecture des milliers d’articles, discours et brochures qui composent les Œuvres complètes, notre conclusion est que cette logique relève essentiellement d’une pensée du temps, à la manière d’un fil rouge intellectuel qui traverse les conjonctures dans lequel Lénine agit : sur la base des circonstances de la lutte de classes, Lénine a cette capacité singulière à circonscrire logiquement une période, pour y ajuster des mots d’ordre spécifiques et la stratégie d’ensemble selon une tactique changeante (avancer vite, consolider, louvoyer, ou faire des compromis et reculer si le rapport de forces est défavorable, etc.). En un mot Lénine, est le penseur éminent d’une pluritemporalité au service d’une politique « kairotique » : savoir agir au moment opportun (kairos).

Les « politiques du temps » selon Lénine

Il n’y a pas une théorie du temps dans l’œuvre de Lénine, mais précisément plusieurs temporalités séquencées. Et si le temps constitue le principal problème et enjeu de l’action politique, c’est parce qu’il oblige à comprendre la séquence historique qui est à l’œuvre et à s’y adapter tout en maintenant vive la volonté révolutionnaire. Ni opportunisme ni volontarisme abstrait : Lénine cherche le bon moment pour agir, ce qui explique son efficacité révolutionnaire.... 

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