MOLCER 8- Lorenzo Varaldo

 L'histoire des partis n'est pas toujours aussi lumineuse qu'ils le laissent croire. Sans mettre en cause l'héroïsme des résistants communistes, Lorenzo Varaldo rappelle ici un épisode peu connu qui indique à quelles aberrations l'emprise du stalinisme a pu conduire les dirigeants du Parti communiste d'Italie

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Le 3 octobre 1935, les troupes italiennes franchissent le fleuve Mareb qui marque à l’époque la frontière entre l’Erythrée (colonie italienne) et l’Ethiopie (ou Abyssinie, comme on disait alors). C’est le début d’une guerre qui aboutit à la conquête de cet État, gouverné par un empereur, le Négus Haïlé Sélassié, une guerre atroce qui révèle la férocité et le caractère raciste du régime fasciste. Le 9 mai 1936, Mussolini annonce, du haut du balcon du Palais de Venise, à Rome, que l’Italie a « enfin son empire ». Profitant des retombées de ce « succès », le dictateur apparaît plus que jamais comme celui qui a relevé l’Italie et qui lui ouvre une perspective d’insertion parmi les grandes puissances. La conquête de l’Ethiopie impressionne beaucoup d’intellectuels, notamment Croce, Orlando, Albertini, Labriola (voir encart ci-dessous), qui abandonnent toute lutte contre le régime et en viennent à applaudir plus ou moins ouvertement à cette conquête « impériale ».

Nous sommes donc à un moment où l’action des antifascistes devient difficile voire impossible, que ce soit en Italie ou de l’étranger, tandis que s’annoncent les vents mauvais de la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, ces années sont aussi celles de la révolution et de la guerre civile en Espagne, et de la grève générale en France. Le principal dirigeant du PCdI* , Palmiro Togliatti, se trouve alors à Moscou. Il est responsable pour le Komintern de la question espagnole (c’est-à-dire du massacre de centaines voire de milliers de militants qui refusent l’alliance avec la bourgeoisie, alliance qui conduira, de fait, à la victoire de Franco). Pour Togliatti et la direction du PCdI, les difficultés de l’action antifasciste en Italie sont prétexte à l’élaboration d’une nouvelle ligne : celle de la recherche d’une alliance ouverte avec les fascistes !  Après avoir refusé des années durant – en parfaite application des directives de Staline – l’unité avec les socialistes et avec toute organisation du mouvement ouvrier pour combattre le fascisme, et avoir choisi, en revanche, celle de l’affrontement direct avec le régime, ligne apparemment « révolutionnaire » qui le condamnait à l’isolement, le PCdI change totalement de ligne et décide que, face au « succès » de Mussolini, il n’est plus d’autre solution que de tenter une incroyable « unité d’action » avec l’ennemi, tout du moins avec les militants fascistes. Ceux qui ont dévasté les locaux du PCdI, du Parti socialiste, de la CGL massacré les militants du mouvement ouvrier, ceux qui engagent l’Italie dans la guerre et dans la conquête de l’empire, peuvent devenir désormais des alliés. Pour ce faire, Togliatti et la direction du PCdI, lancent un véritable manifeste programmatique sous le titre « Appel à nos frères en chemise noire », manifeste que l’on fera disparaître avec diligence à peine la guerre terminée....

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Annexe : L’ Appel aux « frères en chemise noire » , appel du Comité central du Parti communiste d'Italie aux fascistes (1er août 1936).

[Cet appel a été publié dans sa quasi intégralité dans le n°4 des Cahiers du Mouvement Ouvrier (décembre 1998). Nous en reproduisons les extraits les plus significatifs.]

A tout le peuple italien ! Aux ouvriers et aux paysans ! Aux soldats, aux marins, aux aviateurs, aux miliciens ! Aux anciens combattants at aux volontaires de la guerre d’Abyssinie ! Aux artisans, aux petits industriels, aux petits commerçants ! Aux employés et aux techniciens ! Aux intellectuels ! Aux jeunes ! Aux femmes ! […]
Italiens !
La richesse de l’Italie n’est pas la richesse de ceux qui l’ont créée. Elle est aux mains de quelques centaines de familles, gros financiers, capitalistes et grands propriétaires fonciers qui sont les maîtres effectifs de toute la richesse du pays et qui en dominent l’économie. Cette poignée de possédants sont les responsables de la misère du peuple, de la crise et du chômage. […] Les requins capitalistes affament le peuple, jettent les ouvriers sur le pavé, aggravent l’exploitation de ceux qui travaillent et abaissent les salaires, poussent à la ruine les paysans, les petits industriels, les petits commerçants et les artisans. […]
Peuple italien !
Unis-toi pour libérer l’Italie de ces canailles […] qui affament notre pays et le mènent à la ruine, à la guerre permanente. […]
Soldats, chemises noires, anciens combattants et volontaires d’Afrique ! […]  A ce jour, la guerre d’Afrique a coûté presque 20 milliards de lires […] Le gouvernement augmentera les impôts directs et indirects, recourra à de nouveaux emprunts obligatoires, ratissera tout ce qu’il pourra de l’épargne interne, fera appel au capital étranger, auquel il faudra payer des intérêts élevés.
Le pain et le travail que nous voulons, nous ne l’obtiendrons que si nous nous unissons tous contre les gros capitalistes, qui ont gagné énormément dans cette guerre et qui se préparent à tirer profit de la conquête en en faisant supporter les dépenses aux masses.
Paysans ! La terre que vous voulez, c’est la terre italienne. […] Cette terre vous ne l’obtiendrez que si vous vous unissez et si vous luttez unis avec les ouvriers contre le petit groupe qui domine la nation. […]
Chômeurs ! Exigez du travail, ou exigez au moins un subside […] qui vous permette de vivre.
Ouvriers ! Exigez que l’augmentation de salaire que l’on vous promet soit telle qu’elle vous permette de vivre dignement.
Ouvriers ! Paysans ! Employés ! Petits industriels, petits commerçants, artisans ! Exigez la réduction des impôts qui vous accablent !
Anciens combattants d’Afrique, exigez le doublement des indemnités de démobilisation et un emploi garanti […]
Donnons-nous la main, fils de la nation italienne ! Donnons-nous la main, fascistes et communistes, catholiques et socialistes, hommes de toutes opinions ! Donnons-nous la main et marchons côte à côte pour arracher le droit d’être les citoyens d’un pays civilisé comme le nôtre. […]
A toi, travailleur fasciste ! Nous te tendons la main parce-que nous voulons construire avec toi l’Italie du travail et de la paix. Nous te tendons la main parce-que nous sommes, comme toi, des fils du peuple, parce-que nous sommes tes frères, parce-que nous avons les mêmes intérêts et les mêmes ennemis. […)
A toi, travailleur catholique ! nous te tendons la main parce-que nous voulons comme toi et avec toi, lutter pour la justice, pour la paix entre les hommes, pour la liberté. […] Les communistes sont tes frères. Ils combattent courageusement contre les responsables de la misère du peuple et contre le fléau de la guerre. Comme les premiers apôtres du christianisme, ils abandonnent tout, et jusqu’à leur propre famille, pour la cause du peuple. […]
Unité ! Travailleurs et intellectuels socialistes, démocrates, libéraux catholiques ! Mettez toutes vos forces dans l’œuvre de réconciliation et d’union du peuple italien, pour la constitution du Front populaire en Italie. Ceux qui dominent actuellement dans notre pays veulent maintenir le peuple italien dans la division entre fascistes et non fascistes. Levons haut la bannière de l’unité du peuple, pour le pain, le travail, la liberté et la paix. […]
Tel est l’appel que t’adresse le Parti communiste d’Italie, le parti qui lutte pour construire une Italie forte, libre et heureuse.

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