MOLCER 8- A l'occasion de la sortie de son livre La Révolution française et les colonies, nous avons rencontré Marc Belissa, maître de conférence et directeur de recherches émérite.


MOLCER - La chanson du citoyen Piis qui figure en exergue simplifie, écris-tu, la diversité des populations et des statuts. Peux-tu revenir sur cette diversité qui fait toute la complexité de la Révolution dans les colonies ?
Marc Belissa - La chanson met en exergue l'alliance entre le peuple des « Américains » et celui des Français suite à l'abolition de l'esclavage du 16 pluviôse an II (4 février 1794). Les termes « Américain » et « créole » étaient génériques : ils renvoyaient à la population née dans les colonies françaises par opposition à ceux qui étaient nés en France ou en Afrique. Mais parmi les nouveaux « Américains » figuraient des « présumés Blancs », des « libres de couleur » métissés et les anciens esclaves « bossales » c'est-à-dire nés en Afrique. Avant 1789, le clivage juridique fondamental était celui qui opposait les « ingénus » (les libres) et les esclaves, mais au XVIIIe siècle, le « préjugé de couleur » avait été élaboré puis renforcé et rigidifié par les colons pour placer les « libres de couleur » dans une position d'infériorité sociale sur la base de leur prétendue « couleur ». Donc s'il est vrai que l'abolition de l'esclavage créait un « nouveau » peuple — celui des « Américains » — la situation antérieure était beaucoup plus complexe comme on le verra dans les années 1794-1802 où les anciennes catégories « socioraciales » eurent bien du mal à disparaître. Il est vrai que la période abolitionniste ne dura que huit ans et encore pas dans toutes les colonies (dans les Mascareignes, la Réunion et l'Île Maurice actuelles les colons ont réussi à empêcher l'abolition).
MOLCER - Quelle est la place de la traite et de l’esclavage dans les Cahiers de doléances ? Plus généralement, en 1789, l’opinion est-elle sensibilisée à cette question ?
M. B. - Seuls quelques cahiers mentionnent une demande de l'abolition de la traite et des améliorations du sort des esclaves (fin des châtiments corporels, meilleure nourriture, etc.) mais aucun ne se prononce en faveur d'une abolition immédiate, difficile à imaginer à ce moment-là d'ailleurs. Une grande partie de la population ne savait quasiment rien de la situation dans les colonies. Dans les grandes villes portuaires ou à Paris, on pouvait croiser des métis ou des esclaves africains venus en métropole avec leurs maîtres mais quasiment aucun dans les campagnes où vivaient 80 % de la population. Il existait bien une opinion antiesclavagiste mais elle était très minoritaire et présente surtout chez les élites « éclairées ». On peut supposer que les couches populaires, urbaines ou rurales, n’approuvaient pas l’esclavage (il existait encore des résidus de servage dans certaines provinces) mais nous n’en savons rien par manque de sources et d’études....


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