MOLCER 8-Loïc Lebars- Ce livre, rédigé collectivement par François Preneau, Robert Hirsch et Henri Le Dem, relate, et lui rend hommage, le combat méconnu mené par les militants et militantes trotskystes nantais et brestois. A Nantes, ces jeunes ouvriers et ouvrières ont rejoint les rangs de la 4e Internationale après avoir rompu avec la SFIO au lendemain de l’échec du Front populaire, de l’écrasement de la Révolution espagnole et de la révélation du caractère contre-révolutionnaire de la bureaucratie stalinienne. Ils se regroupent dans un premier temps dans les Auberges de jeunesse, un milieu propice aux discussions politiques, puis rejoignent les Comités pour la 4e Internationale, qui reconstitueront le Parti ouvrier internationaliste en 1942, dont plusieurs dirigeants sont venus en juin 1940 se réfugier à Couéron dans la banlieue nantaise. Ils ont apporté ave eux une ronéo et une machine à écrire. C’est avec ce matériel que les militants nantais vont poursuivre la publication de leur journal L’Etincelle pendant l’été 1940 jusqu’à la parution en août de La Vérité clandestine, et entreprendre, contre vents et marées, cette résistance antinazie, ouvrière et internationaliste pour préparer « la révolution sociale qui seule pourra vraiment mettre un terme à la guerre ».
Les auteurs du livre se sont appuyés sur la presse régionale et les journaux trotskystes ainsi que sur les mémoires et les témoignages oraux des protagonistes de cette histoire ayant échappé aux arrestations ou qui sont revenus vivants des geôles nazies et des camps de concentration. Mais ils ont aussi retrouvé dans les sources policières et les rapports des renseignements généraux au préfet, ainsi que dans les papiers conservés par les familles des militants disparus, des tracts et des numéros manquant de Front ouvrier, le bulletin clandestin qu’ils ont diffusé du printemps 1943 à l’été 1944 dans les principales usines de la région, et notamment aux Chantiers de Bretagne et aux Batignolles. La parution du journal correspond à l’orientation adoptée par le 5e congrès du POI qui réussit à se tenir dans la clandestinité en juin 1943. Le Front ouvrier a pour objectif de rassembler « les meilleurs combattants de la classe ouvrière », membres ou non d’une organisation politique, dans de petits groupes clandestins qui devront se faire l’écho des revendications ouvrières et préparer puis organiser l’action des masses dans une perspective révolutionnaire. Ces groupes, rassemblant de fait une avant-garde, sont aussi considérés comme les embryons des soviets qui apparaîtront lors de la vague révolutionnaire que ces militants espèrent voir déferler à la fin de la guerre.
Front ouvrier ne se réclame donc pas du POI ; il est « l’organe clandestin des ouvriers de la région nantaise ». Chaque numéro ronéoté a de quatre à six pages. Il contient des articles généraux et des échos d’entreprise dénonçant la situation faite aux ouvriers de ces grandes usines travaillant pour l’armée nazie et soumises de ce fait au contrôle des autorités allemandes, les actions contre les cadences infernales que celles-ci tentent de leur imposer, les protestations que suscitent la mise en place de la « relève » puis du STO et les difficultés d’approvisionnement de leurs familles. Front ouvrier n’hésite pas à dénoncer nommément les petits chefs qui se font les relais des exigences allemandes ou qui s’adonnent au marché noir en détournant les denrées alimentaires destinées aux restaurants d’entreprise. Ces articles ne sont pas sans effet : nombre de ces « collabos » au petit pied changent brusquement d’attitude après leur publication et font profil bas… La lecture du journal permet en outre de mesurer l’ampleur des destructions provoquées par les bombardements alliés de septembre 1943 qui ont fait 1500 morts et des dizaines de milliers de sans-abris. Déjà difficile, la situation sociale des familles ouvrières devient dramatique.
En juin 1943, cinq militants du groupe nantais, dont Robert Cruau, rejoignent Brest afin, pour certains, d’échapper au STO et surtout pour aider leurs camarades brestois à entreprendre une action de fraternisation avec les soldats allemands opposés au nazisme et préparer avec ces derniers une issue révolutionnaire à la guerre, et cela quelques soient les risques encourus. Sans doute en se référant au numéro spécial de La Vérité du 1er mai 1941 sous-titré Parti Communiste Révolutionnaire, les trotskystes brestois avaient fondé en 1941 un Parti communiste révolutionnaire qui éditait La Bretagne rouge. Ils avaient aussi diffusé fin 1942 un tract s’élevant contre « la relève » décidée par les autorités allemandes qui voulaient « expédier 700 ouvriers de l’arsenal de Brest à Hambourg ». Ils avaient participé à la manifestation de plusieurs milliers de personnes qui s’était formée pour protester contre le départ du premier train de la relève.
Robert Cruau, qui parle leur langue, parvient à entrer en contact avec quelques soldats allemands. Bientôt une vingtaine d’entre eux forment un groupe se réclamant de la 4e Internationale et entreprennent de publier leur propre journal. Ce sera Zeitung für Arbeiter und Soldat im Western (Journal pour les soldats et les ouvriers de l’ouest) qui reprend le titre de l’organe publié à Paris sous la direction de Martin Monath, alias Widelin, par la 4e Internationale et dont plusieurs numéros paraîtront à Brest entre juin et septembre 1943. Tiré à 150 exemplaires, il est diffusé essentiellement par les soldats allemands. Des moyens considérables sont mis en œuvre par les nazis pour mettre un terme à cette forme de résistance qu’ils craignent tout particulièrement. Début octobre 1943, la trahison de l’un de ces soldats permet à la Gestapo de frapper un coup terrible. Tous les soldats antinazis sont arrêtés, et immédiatement fusillés, et le groupe brestois du POI en grande partie démantelé. Robert Cruau est tué alors qu’il tente de s’échapper. De nombreux responsables de la 4e Internationale, à Quimper et Paris, sont eux aussi arrêtés, torturés et déportés en Allemagne. Plusieurs n’en reviendront pas, dont Marcel Hic, le principal dirigeant du POI. En revanche, les autres militants nantais parviennent à passer à travers les mailles du filet et à regagner leur ville où ils et continueront à publier Front ouvrier jusqu’en juin 1944.
Front ouvrier est alors le seul organe clandestin de la région. Un bulletin intérieur du Parti communiste internationaliste, né du regroupement en février 1944 des organisations se réclamant de la 4e Internationale, indique que le journal « exerce une influence croissante sur les travailleurs » auxquels il s’adresse. Mais il ajoute « qu’il y a une disproportion énorme entre l’influence du journal et les forces réelles du Front ouvrier », quelques groupes d’entreprise, et celles du parti. « Beaucoup d’ouvriers croient que c’est le PC qui édite Front ouvrier. » Il est donc urgent « que le PCI apparaisse avec son drapeau ». Le Prolétaire de l’Ouest, qui succédera à Front ouvrier, sera donc « l’organe de la région nantaise du PCI (section française de la 4e Internationale ». Les extraits du journal et les tracts reproduits dans le dernier chapitre du livre rendent bien compte de « l’activité soutenue » dans l’immédiat après-guerre des militants trotskystes à Nantes mais aussi à Brest où le parti s’est reconstruit après la « catastrophe du 7 octobre » 1943. Et cela malgré l’hostilité du PCF envers ceux et celles qu’il appelle les « hitléro-trotskystes ».
Les auteurs de ce livre passionnant ont pleinement rempli « le devoir de mémoire » qu’ils s’étaient assignés envers ces jeunes militants et militantes qui, quand il était « minuit dans le siècle », ont osé entreprendre cette résistance antinazie, ouvrière, internationaliste et révolutionnaire sous le drapeau de la 4e Internationale. Faire connaître leur combat aux jeunes générations afin qu’elles en tirent de précieux enseignements pour les luttes actuelles était le plus bel hommage qu’on puisse leur rendre
MOLCER n°8 Juin 2024 - Revue MOLCER
Sommaire DOSSIER : ASPECTS DE L'HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER AUX ÉTATS-UNIS Éditorial, par Jean-Numa Ducange Introduction, par Donna Kesselman Chronologie : histoire du mouvement ouvrier des ...
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