MOLCER 8- Cody R. Melcher et Michael Goldfield - Pourquoi, en l’absence d’un parti ouvrier de masse ayant quelque poids électoral, l’État américain peut-il être amené à agir dans le sens que pourrait souhaiter un tel parti ? Dans le cadre d’un débat académique que certains ont pu considérer comme un « moment important du développement des sciences politiques aux Etats-Unis », nous apportons à cette question des réponses essentielles. 

État et classes sociales : Karl Marx ou Max Weber ? 

En tant que marxistes, nous déterminons notre orientation théorique à partir d’une lecture que nous considérons comme assez directe des écrits de Marx et de Lénine. Comme l’ont écrit Marx et Engels dans le Manifeste Communiste, « l’État moderne n’est qu’un conseil d’administration des affaires communes de la classe bourgeoise ». L’État capitaliste, en effet, n’agit pas dans le seul intérêt d’un capitaliste puissant voire d’un groupe de capitalistes mais des capitalistes en tant que classe sociale.  En d’autres termes, son rôle est d’assurer la survie du capitalisme comme système, si nécessaire, dans certaines conditions, contre la volonté des capitalistes eux-mêmes. Cette logique s’impose notamment lorsque la classe ouvrière, mobilisée et organisée, se dresse comme une menace pour la stabilité du système.  L’État tente alors de « sauver le capitalisme » (F. D. Roosevelt, voir infra), souvent par une politique d’apaisement, en faisant des concessions et en acceptant des réformes.  Il « gère » ainsi « les affaires communes de la bourgeoisie » en agissant d’une manière dont, faute d’une vision à long terme, la bourgeoisie serait elle-même incapable.
Cette analyse marxiste est fortement marginalisée dans le monde académique américain. L’approche traditionnelle et majoritaire est, aux États-Unis, la théorie de « l’autonomie de l’État » de Max Weber. L’État serait à l’abri de ce qu’il est convenu d’appeler les forces économiques et sociales « externes », en d’autres termes les intérêts patronaux et les troubles sociaux. Certains tenants de cette « autonomie » sont certes prêts à admettre que le capital dispose d’une influence « disproportionnée » sur l’action de l’État et que des troubles sociaux puissent influer sur la sphère électorale.  Mais en dernière analyse, quant à la causalité, l’action de l’État échapperait à l’emprise de ces forces sociales. En découle une focalisation sur les idiosyncrasies et les idéologies des politiciens individuels.
Nous contestons cette théorie « autonomiste » de l'État, particulièrement en ce qui concerne la législation « progressiste » adoptée dans le cadre du New Deal du président Franklin D. Roosevelt (1933-1939). Berceau de l'État-providence américain, le New Deal instituait des pensions de vieillesse, des allocations de chômage et d'invalidité et une aide fédérale aux plus démunis. La section 7(a) du National Industrial Recovery Act de 1933 et, plus tard, le National Labor Relations Act de 1935 (plus connu sous le nom de Wagner Act) ont forgé l'architecture juridique garantissant aux travailleurs le droit de s’organiser en syndicats. Nous soutenons quant à nous que ces aspects du New Deal, tenus pour « progressistes », visaient à apaiser une classe ouvrière américaine extrêmement militante qui avait lancé à grande échelle un défi à l'hégémonie capitaliste. 
Les travailleurs n’avaient pas attendu cette législation pour s’organiser en syndicats, souvent sous la direction de révolutionnaires, et ils réclamaient un changement pouvant aller jusqu’à la révolution. Pour contrer cette agitation militante, l’État créa des structures institutionnelles susceptibles de la formaliser, de la bureaucratiser et finalement de l’endiguer. À cette fin, l’article 7(a) et la loi Wagner institutionnalisèrent les campagnes de reconnaissance syndicale et, sous l’égide du gouvernement, déplacèrent les énergies de l'organisation des grèves vers l’activité électorale. La théorie de « l’autonomie de l’État » inverse totalement l’ordre des causalités. Incertains de leurs propres intérêts (matériels ou autres) et incapables d'agir sans la main rassurante de l'État, les travailleurs et leurs syndicats n’auraient qu’une faible capacité d’action autonome et c’est la législation adoptée par un État bienveillant et progressiste sous l’impulsion de politiciens particulièrement experts et motivés par des raisons idéologiques comme le Président Roosevelt et le sénateur démocrate Robert Wagner, qui les aurait poussés à se mobiliser. C'est donc la légalisation des syndicats par l'État qui aurait provoqué le développement du militantisme. En réalité, c’est la mobilisation ouvrière qui a amené l'État, dans l'intérêt de « l’ensemble de la bourgeoisie », à agir - en apparence - à l'avantage de la classe ouvrière dans le but, explicite ou implicite, d'en éliminer la résistance....

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