MOLCER 9. David Noël
De la création du Parti ouvrier en 1882 à la naissance de la SFIO en 1905, le parti de Guesde a été pendant plus de vingt ans la principale expression du socialisme organisé et a durablement influencé la SFIO et le Parti communiste. Cette influence est particulièrement nette dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais.
Dix ans après la mort de Jules Guesde, André Ferrat, à l’époque membre du bureau politique du PC, fait même du Parti ouvrier français un précurseur inabouti du PCF, dans un article de 1932 paru dans les Cahiers du bolchevisme, la revue théorique du Parti communiste.
« Notre Parti a hérité du guesdisme sa lourdeur maladroite, son manque de capacité de manœuvre, et ne s’en est pas encore débarrassé complètement. […] La rigidité et le mécanisme de nombreux militants et organisations du Parti dans l’exercice pratique du rôle dirigeant du Parti dans les syndicats, notre manque de travail dans les syndicats réformistes, rappellent quelquefois de façon criante l’attitude de Guesde au congrès de Nantes en 1894.
Le POF fut, certes, le premier exemple en France d’un parti ouvrier construit suivant des règles de centralisme démocratique. […] Cette discipline fut le côté le plus remarquable et le plus fort du POF., alors que les autres partis socialistes et plus tard les autres tendances du parti unifié, agissaient suivant les pratiques fédéralistes petites-bourgeoises et parlementaires. Mais ce côté positif ne doit pas cacher la faiblesse numérique du POF, la faiblesse de son travail de recrutement, ce qui l’empêchait de devenir un véritable parti de masse.
[...] Quels que soient les mérites du POF, il ne saurait donc nous faire oublier que, dans le domaine d’organisation comme dans tous les autres, tout en utilisant l’expérience du POF, nous devons nous inspirer de l’expérience du Parti bolchevik et non de celle du POF pour arriver à faire de notre Parti communiste un véritable parti révolutionnaire de masse. »
L’hommage ambigu d’André Ferrat à ce qu’a représenté le guesdisme, qui préfigurerait, par sa discipline et ses méthodes, le Parti communiste pose inévitablement la question de son héritage, d’autant plus dans les départements septentrionaux du Pas-de-Calais et du Nord, terre d’élection de Jules Guesde et laboratoire du premier socialisme municipal.
Pour tenter de répondre à cette question, il est nécessaire de revenir sur la genèse du guesdisme et son évolution dans le Nord et le Pas-de-Calais.
Le Nord, un bastion guesdiste
On le sait, après cinq ans d’exil, Jules Guesde est de retour en France en 1876, date à laquelle il adhère progressivement aux idées marxistes. Les guesdistes rejoignent d’abord la Fédération du parti des travailleurs socialistes de France (FPTSF) créée fin avril 1879 à la suite du IIIe congrès ouvrier socialiste de Marseille, avant de la quitter en 1882 pour former le Parti ouvrier (PO).
Le parti de Guesde se dote d’un hebdomadaire, Le Socialiste, fondé à la fin août 1885, qui rend compte des progrès de son implantation. Le numéro du 5 septembre 1885 évoque déjà une réunion publique du PO à Roubaix sous la présidence de l’ancien conseiller municipal Henri Carrette. Lors des élections législatives des 4 et 18 octobre 1885, qui se déroulent au scrutin de liste départemental, le PO présente des listes dans six départements, dont le Nord, où sa liste compte dix-neuf candidats parmi lesquels on retrouve les noms d’Henri Carette et Gustave Delory. Les candidats du PO obtiennent en moyenne deux mille voix.
Cinq ans plus tard, en 1889, le Parti ouvrier s’est développé et compte environ deux mille adhérents. Cette année-là, les candidats du PO rassemblent 25 000 voix lors des législatives du 22 septembre, désormais au scrutin d’arrondissement.
Le PO et le drame de Fourmies
La fusillade de Fourmies illustre la progression des idées socialistes dans le Nord.
À la fin des années 1880, les syndicats et socialistes américains et européens appellent à manifester le 1er mai 1890 pour la journée de huit heures. L’appel à la mobilisation est renouvelé le 1er mai 1891. Dans la petite ville industrielle de Fourmies, où les patrons des usines textiles veulent baisser les salaires, les syndicats sont déterminés à agir, motivés par les conférences de Paul Lafargue (1842-1911), gendre de Karl Marx et figure du Parti ouvrier.
Au plan local, la principale figure du PO dans la région de Fourmies est Hippolyte Culine. Après avoir rédigé les cahiers de revendications des ouvriers des filatures Staincq et Legrand, Culine prend en main la conduite de la grève de l’usine Flament. Il multiplie les conférences, comme à Wignehies le 19 avril, et le 29 au théâtre de Fourmies. Deux groupes adhéraient au Parti ouvrier à Fourmies et Wignehies : Le 89 des Prolétaires et Les Défenseurs du Droit.
À Fourmies, à la veille du 1er mai 1891, le patronat, inquiet, prend les devants et placarde une affiche signée par 36 des 37 chefs d'entreprise de la ville. Affirmant que « nulle part les ouvriers n'ont été mieux traités ni mieux rétribués », ils écrivent : « on travaillera le 1er mai comme tous les autres jours ; tout mouvement contraire sera sévèrement réprimé ».
Dès l'aube, les grévistes tentent de bloquer les entrées d'usine, poursuivis par les gendarmes qui multiplient les arrestations. Une foule se presse aux abords de la mairie pour réclamer la libération des militants arrêtés. Après de nouvelles échauffourées, les soldats reçoivent l'ordre d'ouvrir le feu, d'abord en l'air, puis sur la foule. La fusillade dure une quarantaine de secondes et fait neuf morts et trente-cinq blessés.
Le 4 mai, les funérailles des victimes s’accompagnent d’un important cortège populaire, sous la surveillance d'un formidable déploiement de troupes. Le patronat local en profite pour lancer une vigoureuse contre-offensive. Ceux qui avaient tenté de relancer la grève sont licenciés. Hippolyte Culine est arrêté et, avec Lafargue, traduit devant la cour d’assises de Douai, accusé de provocation à attroupement armé. Lafargue est condamné à un an de prison et Culine à une peine de six ans d’emprisonnement.
Le drame de Fourmies renforce l’autorité du Parti ouvrier qui se dote d’un hebdomadaire local, Roubaix socialiste, fondé le 19 septembre 1891. Le Parti ouvrier parvient à tirer Paul Lafargue de prison en le faisant élire député de Lille le 25 octobre 1891, mais échoue à faire élire Culine, qui ne recueille que 901 voix aux élections municipales de 1892 à Fourmies.
Élu cinq fois au conseil d’arrondissement du canton de Roubaix-Est les 7 août et 13 novembre 1892, 5 mars, 15 juillet et 22 octobre 1893, Hippolyte Culine voit son élection systématiquement invalidée.
Henri Carette est élu maire de Roubaix en 1892 ; l’année suivante, Jules Guesde lui-même est élu député de la circonscription de Roubaix tandis que Gustave Delory remporte la mairie de Lille en 1896, à la faveur d’une alliance avec les radicaux. En 1902, c’est au tour de Gustave Delory, qui avait été réélu maire de Lille aux élections municipales de 1900 d’être élu député.
Rebaptisé en Parti ouvrier français (POF) en 1893, le parti de Guesde compte désormais 10 000 adhérents et a rassemblé 160 000 voix aux élections législatives.
Dans la métropole lilloise, le POF s’appuie sur L’Egalité de Roubaix-Tourcoing, l’édition locale du Réveil du Nord, le grand quotidien progressiste régional. Lancée en 1895 et principalement rédigée par Siauwe Evausy, ancien employé des PTT révoqué pour ses opinions politiques, L’Egalité de Roubaix-Tourcoing paraît sur quatre pages grand format et ne coûte que 5 centimes. Signe de son audience importante, le journal vend 500 exemplaires chaque jour à Tourcoing au début de l’année 1896, alors que les socialistes y sont nettement moins implantés qu’à Roubaix.
Le POF atteint son apogée en 1898. Il rassemble alors 295 000 suffrages aux élections législatives, soit 40 % des voix socialistes et 2,7 % des électeurs inscrits. Selon l’historienne Claude Willard, la moitié de ses dix-sept mille adhérents se trouve dans la fédération du Nord, qui regroupe le Nord et le Pas-de-Calais.
Les expériences de socialisme municipal mises en œuvre par Carrette à Roubaix et Delory à Lille s’avèrent cependant décevantes. Les socialistes se divisent. Le préfet du Nord exerce un contrôle tatillon sur les budgets et annule plusieurs délibérations prévoyant d’indemniser les conseillers municipaux, d’accorder un secours aux grévistes ou encore visant à introduire dans les cahiers des charges des entreprises travaillant pour la ville de Roubaix la journée de huit heures et un salaire minimal, délibération jugée contraire à la liberté du travail.
En 1900, le Congrès national d'Ivry du POF condamne le concept de socialisme municipal au motif qu’il serait « de nature à éveiller dans les masses des espérances impossibles à réaliser sur le terrain communal ».....
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