MOLCER 9. Jean-Guillaume Lanuque
Lorsque l’on évoque l’histoire des mouvements trotskistes français et leur rapport au mouvement de décolonisation, qui connut son plein essor entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et les années 1970, l’Algérie est le nom qui vient au premier plan. Les mobilisations y furent massives, en particulier dans la jeunesse, les positions profondément divergentes, entre le soutien à Messali Hadj ou au FLN, conduisant même certains à devenir des « pieds-rouges ». Cette période fut en outre déterminante pour l’essor que connurent les diverses organisations à partir de la décennie des années soixante. Reste alors dans l’ombre le premier conflit colonial de l’après-guerre auquel fut confronté l’État français, celui d’Indochine. Pourtant, à bien des égards, il s’agit là d’une matrice de ce qui allait suivre, en plus d’être d’une importance majeure en raison d’une différence profonde entre les deux colonies. Là où l’Algérie était pratiquement dénuée d’implantation trotskiste à proprement parler, l’Indochine des années 1930 possédait un mouvement trotskiste d’importance, avant que la répression coloniale et la persécution du Viet Minh ayant bien intégré les leçons staliniennes ne lui portent un coup fatal. Cet article de synthèse s’appuie sur des travaux réalisés antérieurement, principalement notre mémoire de maîtrise, achevé au milieu des années 1990 sous la direction du professeur Gilbert Meynier (1942-2017), ainsi que deux Cahiers du C.E.R.M.T.R.I. confectionnés au début des années 2000, « L’opposition de gauche en Indochine entre 1930 et 1937 » (numéro 100, 2001) et « Les trotskistes et l’Indochine de 1945 à 1954 » (numéro 112, 2004).
Début de la guerre et fidélité aux principes anticoloniaux
Lorsque les Japonais évacuent la colonie indochinoise en 1945, ils laissent les mains libres au Viêt Minh, front d’organisations dirigé par le Parti communiste indochinois (PCI) d’Hô Chi Minh : la proclamation d’une République indépendante du Viêt Nam a ainsi lieu le 2 septembre 1945. Les mois qui suivent voient les militaires français reprendre progressivement le contrôle du territoire indochinois par le sud, tandis que les négociations diplomatiques avec les indépendantistes se poursuivent. Les trotskistes français sont alors majoritairement unifiés. En dehors de l’Union communiste de Barta proclamée en octobre 1944, ancêtre revendiqué par Lutte ouvrière, qui publie le journal La Lutte de classes jusqu’en 1950, ils sont tous rassemblés dans le Parti communiste internationaliste, né début 1944 de la fusion de trois organisations (POI, CCI et Groupe Octobre) et devenu section française de la IVe Internationale (PCI-SFQI) . Légalisé en juin 1945, il doit attendre mars de l’année suivante pour que son organe de presse, La Vérité, soit à son tour autorisé. Pour les trotskistes du PCI-SFQI, aucune ambiguïté : l’indépendance complète du pays est revendiquée dès l’automne 1945, ce qui implique la paix immédiate et le retrait du corps expéditionnaire. Il en est de même pour l’Union communiste, dans un article de septembre 1945, « On croit mourir pour la patrie… L’Indochine aux Indochinois ». Ce mot d’ordre de retrait des troupes va d’ailleurs être abondamment utilisé durant toute la durée du conflit. La demande de paix immédiate et de reconnaissance officielle du gouvernement du Viêt Minh connaît trois séquences de forte apparition : les premières années, 1945-1947, alors que la guerre n’a pas encore pris toute son ampleur ; 1950, à la suite de la reconnaissance du Vietnam indépendant par l’URSS et la Chine de Mao ; 1954, enfin, dans le contexte de la défaite de Dien Bien Phu et des négociations de paix qui s’ouvrent à sa suite.
La guerre d’Indochine débute officiellement en novembre 1946, avec le bombardement de la ville d’Haïphong sur décision de l’amiral d’Argenlieu, suivi de l’insurrection d’Hanoï le mois suivant et du passage des gouvernants vietnamiens dans la clandestinité. Elle est analysée sous deux angles par le PCI-SFQI. D’abord, comme le « maillon faible » de l’empire colonial français, le point de départ d’un embrasement révolutionnaire, d’une révolution coloniale que la victoire de la révolution chinoise en 1949 ne fera que confirmer. Ensuite, comme un moyen d’affaiblir la bourgeoisie française et son armée, facilitant de la sorte la lutte des travailleurs français de métropole, ces « frères de classe ». Dès cette époque, le PCI-SFQI réutilise la fameuse formule « Pas un homme, pas un sou pour la guerre d’Indochine », déjà présente durant la lutte du jeune Parti communiste français contre la guerre du Rif, au début des années 1920. Au-delà d’un moyen de prouver sa fidélité aux idéaux communistes à un moment où le PCF a encore des ministres dans le gouvernement, l’utilisation de cette formule situe le Parti communiste internationaliste dans la longue durée de l’histoire du mouvement ouvrier : elle est encore utilisée de nos jours par le Parti des travailleurs ou Lutte ouvrière à l’égard de la guerre Russie-Ukraine, par exemple. À la même époque, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les Jeunesses socialistes, dont le rapprochement avec les trotskistes est si avancé qu’il entrainera la dissolution du Bureau national de l’organisation par la maison mère en juin 1947 , usent également de la formule. Le PCF en viendra à la reprendre à son compte, mais seulement à partir de mai 1949......
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