MOLCER 9. Dominique Ferré

C’est au cours des trente années qui précèdent le déclenchement de la première guerre mondiale que le mouvement ouvrier en France s’est constitué sous la forme sous laquelle il existera pendant des décennies. Partis, syndicats, formes d’organisation et rapports réciproques se sont forgés à cette époque. Jules Guesde et Jean Jaurès sont alors parmi les  principaux dirigeants du mouvement ouvrier et socialiste. 


Les luttes de classe vivantes, facteur déterminant de l’adhésion au socialisme
Si bien des positions séparent les deux dirigeants, notons qu’à une vingtaine d’années de distance, l’un et l’autre sont passés du « républicanisme bourgeois » au socialisme en rapport direct avec la lutte de classe. 
Guesde, issu de la petite-bourgeoisie et exerçant ses activités de journaliste pour la cause républicaine dans les années 1870, va progressivement passer à des positions « de classe » en rapport avec l’indignation que suscite chez lui la répression du « premier gouvernement ouvrier de l’histoire », la Commune de Paris (1871). « Je suis devenu socialiste par la Commune », écrira-t-il plus tard. Contraint à l’exil en Suisse puis en Italie, il sympathise d’abord avec les théories anarchistes de Bakounine. Poursuivant son exil en Belgique en 1876, il découvre un mouvement ouvrier « socialiste » qui le fait évoluer. Cette découverte du mouvement ouvrier organisé par la Belgique, comme on le verra, expliquera bien de ses positions ultérieures sur les rapports entre partis et syndicats. 
Moins de vingt ans plus tard, Jaurès emprunte un parcours similaire. Dans son Tarn natal, les luttes ouvrières apparaissent d’abord secondaires au jeune républicain bourgeois idéaliste. Non qu’il se désintéresse du sort des ouvriers. Comme le rappelle Jean-Numa Ducange dans sa récente biographie, lors de son premier mandat, « le député du Tarn tient à descendre lui-même au fond de la mine pour avoir un aperçu concret des conditions de travail. Déjà en 1886 il représente les mineurs de Carmaux au congrès de leur Fédération. Il esquisse aussi un projet de loi pour instituer des caisses de retraite pour les ouvriers. » A ce stade, ces réformes sont conçues par leur promoteur comme des mesures « avant tout républicaines ». Mais la fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891, remet le mouvement ouvrier au-devant de la scène. L’année suivante, le 1er mai 1892 coïncide à Carmaux avec une élection municipale. La mise à pied par son patron de l’ouvrier que ses pairs ont plébiscités   à la tête de la municipalité provoque une grève de solidarité massive. Jaurès met ses talents de journaliste au service d’une cause prolétarienne qu’il va alors progressivement épouser. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les grandes luttes de classe de l’époque qui ont amené les deux républicains à rompre progressivement avec leur « républicanisme bourgeois » et rejoindre le combat pour le socialisme. 


La grève, les grèves et la grève générale
L’engagement actif de Jaurès aux côtés des grévistes de Carmaux en 1892 restera la « marque de fabrique » du tribun qui, durant vingt ans – avec ou sans mandat de député – ne ménage pas ses efforts pour soutenir les travailleurs en lutte. C’est pour lui la place naturelle qui doit être celle d’un dirigeant socialiste : aux côtés des travailleurs et de leurs organisations, pour leurs revendications. 
Sa conception, fondamentalement réformiste, est de mettre à contribution son mandat électif ou sa plume, au service de la lutte ouvrière pour aider les travailleurs à arracher au moins partiellement ce qu’ils revendiquent. Son intervention, en 1895, aux côtés des travailleurs de la verrerie de Carmaux permet de préserver les emplois, par la constitution d’une coopérative dans ville   voisine d’Albi. On manquerait de place ici pour évoquer les dizaines d’interventions de Jaurès en faveur de telle ou telle grève. Signalons simplement qu’en 1910, lors de la grande « grève de la thune » des cheminots, il met les locaux du journal L’Humanité à disposition des grévistes qui y établissent le siège de leur comité de grève. Jaurès met le quotidien au service de la grève, puis de la lutte contre la répression. 
Ce souci constant dénote avec les conceptions qui se développent chez Guesde. Non pas, évidemment, que Guesde ne reconnaisse pas le rôle que jouent les grèves ouvrières dans la lutte des classes. Mais il les limite à un rôle « économique », « défensif »… Elles doivent avant tout servir d’appui au combat parlementaire des élus du parti ouvrier. 
Au point même que l’action ouvrière et sa part de spontané vont jusqu’à éveiller   méfiance et scepticisme. Le 28 mai 1905, dans Le Travailleur, à propos du combat pour la journée de huit heures, Guesde écrit : « Les huit heures sont le fait d’une réforme législative, d’une loi, jamais la grève ne réussira. Il n’y a pas assez d’argent dans les caisses de grève, le pouvoir capitaliste est trop fort. » Cela lui vaudra des soutiens dont il aurait certainement préféré se passer. Comme celui du quotidien réactionnaire Le Temps qui, en mai   1907, se félicite que la « grève n'enthousiasme pas Monsieur Jules Guesde qui préfère infiniment la propagande pacifique..."

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