/image%2F6885400%2F20250624%2Fob_5a4ff5_rhodia.jpg)
MOLCER 10- Roger Revuz- Mai 68 n’est pas survenu, en France, d’un coup dans un ciel serein. Les grèves de Mai-juin 1968 ont été précédées, tout au long des années 60 par une reprise de la combativité ouvrière. En effet pendant cette période se déroulent des grèves massives, longues, débordant parfois des cadres fixés par les syndicats. La Confédération générale du travail (CGT), forte de deux millions d’adhérents, relaie la politique du Parti communiste (PCF). Trois autres confédérations organisent les travailleurs : Force ouvrière, centrale réformiste issue d’une scission de la CGT en 1947 et deux centrales d’inspiration chrétienne, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) et la Confédération française et démocratique du travail (CFDT) née en1964 d’une scission de la CFTC. La Fédération de l’éducation nationale (FEN) organise les enseignants. Entre 1958 et 1967, le nombre de jours de grèves est multiplié par quatre passant de 1,1 million de journées à 4 millions.
Les années de reconstruction et d’essor de l’économie capitaliste après la fin de la Seconde guerre mondiale ont vu les effectifs de la classe ouvrière fortement augmenter, ce qui a eu pour conséquence de la « rajeunir ». Cette époque que le sociologue Jean Fourastié a appelé les « Trente glorieuses » n’a rien de particulièrement « glorieux » pour la classe ouvrière. Pour l’historien Vincent Porhel, « il faut arrêter le mythe des Trente glorieuses. Chez les ouvriers les conditions de travail étaient extrêmement pénibles, les salaires plutôt bas et les logements insalubres. Il y avait par ailleurs une vraie crainte du chômage » . Dans l’industrie se développe le travail à la chaîne. Les Ouvriers spécialisés (OS) qui constituent la moitié des ouvriers et dont la majorité sont des travailleurs immigrés, sont soumis à des cadences infernales. Chaque année 2000 travailleurs meurent dans des accidents du travail. La durée moyenne hebdomadaire de travail est de 45 heures, loin des 40 heures arrachées lors des grandes grèves de Mai-Juin 1936. Dans les mines, la durée moyenne du travail hebdomadaire est de 49,3 heures. En France, en 1966, le maximum du temps de travail hebdomadaire a été fixé à 54 heures mais cette limite est très souvent dépassée.
La grève des mineurs de 1963 ouvre la voie d’autres mécontentements
La guerre d’Algérie et l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958 ont entraîné un recul de la combativité ouvrière. La grève des mineurs du Nord-Pas-de Calais, de la Lorraine et du Centre de la France qui éclate le 1er mars 1963 et qui va durer jusqu’au 4 avril annonce la reprise de cette combativité. La revendication principale des mineurs est une augmentation de salaire de 11% au titre d’un rattrapage des salaires rongés par l’inflation.
En 1960, le gouvernement du général de Gaulle a présenté un plan de récession charbonnière du fait de la concurrence du pétrole. A l’aube des années soixante, le charbon ne fournit plus que 54% de l’énergie contre 75% en 1950 . A l’annonce de la grève, le gouvernement de Georges Pompidou riposte par une menace de réquisition au cas où la grève durerait plus de 48 heures. Loin d’intimider les mineurs, cette atteinte au droit de grève renforce au contraire leur détermination. Le pouvoir se révèlera d’ailleurs incapable d’imposer la réquisition…. Le premier ministre Pompidou expliquera à la télévision qu’il s’agissait d’un malentendu ! La grève va durer plus d’un mois et provoquer des mouvements de solidarité dans tout le pays.
Cette grève est massivement suivie par près de 200 000 mineurs (90% des mineurs de fond et 60% des mineurs de surface). L’historien Michel Pigenet note : « Fait notable, le mouvement fragilise la stricte hiérarchie qui segmente le monde des mines. La maîtrise bascule dans l’action que les ingénieurs regardent avec bienveillance, allant jusqu’à verser deux jours de salaire aux comités de solidarité » .
Des grèves de solidarité sont lancées chez les cheminots et les sidérurgistes par les Centrales syndicales mais celles-ci ne cherchent pas la généralisation des grèves alors que la question salariale concerne toute la classe ouvrière. Lors de l’arrivée des mineurs lorrains qui ont entrepris une marche sur Paris, des responsables syndicaux tentent d’arracher une banderole des mains d’un groupe d’ouvriers de la Régie des Transports sur laquelle ils ont inscrit : « La grève générale, c’est l’aide aux mineurs ».
Le 29 mars, 80 000 mineurs manifestent à Lens. S’engagent alors les négociations entre les Centrales syndicales et les Charbonnages de France (entreprise nationalisée) qui aboutissent à une augmentation de 11% des salaires…. étalée sur un an, à une quatrième semaine de congés payés qui ne sera généralisée qu’en 1968 et à l’organisation d’une table ronde sur l’avenir de la profession !
Les Centrales syndicales crient victoire. Certes la grève a contraint de Gaulle à reculer sur la réquisition mais l’augmentation de salaire de 11% est étalée sur un an par paliers. Achille Blondeau, ancien dirigeant CGT de la CGT du sous-sol et un des dirigeants de la grève reconnaissait en 1991 que « Tous les observateurs considéraient que la grève avait été victorieuse et que même si tout n’avait pas été obtenu, elle avait été payante. Mais pour les mineurs, ce qui sautait aux yeux, c’est que les 11 % de retard n’étaient pas dans le protocole. Ils ne voyaient que cela. […] Ce n’est jamais le langage diplomatique qui est utilisé dans les réunions de mineurs et, après un mois de grève, les esprits étaient surexcités. Il est donc facile d’imaginer combien les débats furent vifs » . Ainsi lors de la reprise « plusieurs centaines des 3000 personnes rassemblées, le 4 avril [1963] devant la maison des syndicats de Lens conspuent les dirigeants de la Fédération CGT. La reprise générale n’interviendra pas avant le 8 avril » soit quatre jours après la fin théorique de la grève...
Pour lire la suite, achetez le numéro ou abonnez-vous...