MOLCER 10- Rémy Janneau- Que retient-on communément de Mai 68 ? Une révolte étudiante contre une université  sclérosée, la contestation d'une société répressive, des barricades au Quartier latin, des grèves....Les différentes crises (culturelle, sociale, politique) qui s'y sont nouées ont été sérieusement étudiées mais si l'expression "grève générale" trouve droit de cité sous la plume des sociologues et de certains historiens, l'événement comme affrontement de classes à potentialités révolutionnaires est paradoxalement gommée de la mémoire collective. C'et précisément cet aspect que nous nous attachons à restituer dans cet article.

« La France s’ennuie… ». Ce 15 mars 1968, l’éditorial d’un grand quotidien du soir semble ainsi résumer une opinion largement partagée : les « grandes convulsions qui [secouent] le monde  » ont migré vers les contrées plus exotiques du Vietnam, de la Chine et de l’Amérique latine. Pour preuve : les étudiants français n’ont plus d’autre préoccupation « que de savoir si les filles de Nanterre et d'Antony pourront accéder librement aux chambres des garçons  »! Cruel démenti : moins d’une semaine plus tard, éclateront, à Nanterre précisément, les prémices du « plus grand moment gréviste de l’histoire de France . » 


Une étincelle met le feu à la plaine
En dépit de conflits très durs au Mans, à Nantes, à Fougères, à Quimper, à Caen, ni le personnel politique, ni les médias n’avaient vu venir l’explosion sociale dont la France était grosse . « L’étincelle » du 22 mars - l’occupation d’une tour de la faculté de Nanterre suivie du renvoi de huit étudiants devant le Conseil de discipline - suffira, en moins de deux mois, à « mettre le feu à la plaine ».  
Le 3 mai, Le boulevard Saint-Michel voit voler les premiers pavés. Le Quartier latin devient le théâtre d’affrontements suivis de condamnations, certaines à de la prison ferme. L’ordre de grève générale lancé par UNEF  place face à ses responsabilités un mouvement ouvrier jusqu’alors circonspect voire franchement hostile . Les propensions autoritaires du général De Gaulle sont en effet connues . Où la répression s’arrêtera-t-elle ? En dépit de l’attentisme des syndicats et de la Gauche, 20 000 manifestants scandent « libérez nos camarades » et résistent aux charges de police. Le 7, ils seront 60 000 sur les Champs-Élysées chantant l’Internationale derrière le drapeau rouge. En quelques jours le mouvement gagnera l’ensemble des universités.


Le mythe des barricades
    Image la plus convenue des révolutions, les barricades réapparaissent, notamment dans la nuit du 10 mai. Si Edgar Morin n’y voit qu’un « jeu-guerrilla » où les étudiants auraient « mimé les barricades de l’histoire de France  », la geste gauchiste les élèvera au rang du mythe : le combat exemplaire des étudiants aurait réveillé une classe ouvrière assoupie dans la « société de consommation ». La vérité est plus prosaïque. L’occupation du Quartier latin par les forces de police laissait deux possibilités : appeler les travailleurs à le libérer comme le proposaient l’OCI et la FER  ou le transformer en camp retranché, option acceptée par Daniel Cohn-Bendit  et par la JCR . La première supposait un débordement ou un virage des directions syndicales. La seconde reposait sur le pari que, redoutant les répercussions politiques d’un affrontement, De Gaulle laisserait faire et que des contacts parallèles dénoueraient la crise . C’était oublier la nature intrinsèquement autoritaire du régime. À 2h15 du matin, les CRS attaquent. Les étudiants résistent. « On passe, écrit Morin, du jeu au sérieux et à la tragédie  ». À l’aube, commence, écrira le sociologue Alain Touraine, une chasse à l’homme « ordurière, sauvage, sans aucun contrôle . » 
Dans le pays, l’émotion est considérable mais il convient de rappeler qu’à l’heure où se déchaînent ces violences, le processus unitaire est déjà engagé. La mobilisation des jours précédents a amené les centrales et les partis de Gauche à opérer un virage. Dès 20 heures, la CGT, l’UNEF, la FEN  et la CFDT, rejointes par FO, la Confédération générale des cadres (CGC) et la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ont appelé à des manifestations et à une grève nationale de 24 heures le 14 mai. Suite aux violences de la nuit, celles-ci sont avancées au 13. La base, quant à elle, n’attend pas les directions. Des manifestations s’improvisent. Les mots d’ordre annoncent la suite des événements : de « Libérez nos camarades! » on passe très vite à « À bas De Gaulle ! »....

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