MOLCER 1, Julien Grimaud
Qui se souvient de Henri Louis Tolain ? Si l’Internationale chante plus qu’elle ne parle et si, comme elle auprès du grand public, les noms de ses grandes figures de proue que sont ceux de Marx, Engels ou Bakounine relèvent davantage de la chanson de geste ou de la légende noire que de l’histoire, reste que ces trois-là, aussi déshistoricisés soient-ils, n’en sont pas moins clairement identifiés comme les patronymes de la révolution. De même que le sont plusieurs des internationaux français – parmi lesquels Eugène Varlin, Albert Theisz, Benoit Malon, Zéphirin Camélinat, etc. Des noms sans doute plus confidentiels mais qui ne sont cependant pas inconnus : plusieurs ont leur biographe et, témoin de leur notoriété, certains ont associés leur nom à la toponymie urbaine de quelques grandes villes (des rues, des collèges).
Mais qui se souvient de Henri Louis Tolain ? Le bronzier dont le nom symbolisa jadis le réveil de la classe ouvrière ? L’orateur qui lui donna sa voix ? Le publiciste qui lui offrit sa plume ? Cette tête chauve à longue barbe qui lui prêta son visage ? Ce militant sans frontière qui la dota de sa première organisation internationale ? Lui le premier des internationaux précités…?
Las, on chercherait en vain le portrait hagiographique d’Henri Tolain dans la galerie des « belles figures du prolétariat » entrées au Panthéon du mouvement ouvrier. Tolain n’y est pas. Pas plus d’ailleurs que, le Maitron mis à part, Tolain n’a fait depuis l’objet d’une quelconque publication scientifique. Alors ?
Il n’y a pourtant pas là de paradoxe historiographique. Élu à l’Assemblée Nationale peu avant que n’éclate l’insurrection communaliste de mars 1871, Tolain refusera tout autant sa légitimité à la Commune que son droit au gouvernement Thiers de la passer par les armes et, plaidant sans relâche pour une issue pacifique au conflit, refusant l’impératif d’avoir à choisir son camp, continuera de prêcher la « collaboration de classe » du haut de la tribune parlementaire. C’est que l’ouvrier-député ne put en effet se résoudre à rendre son mandat… Or choisir de « ne pas choisir, c’est encore choisir » ; et le député ne choisit pas la Commune. Qu’importe alors que l’ouvrier n’ait pas non plus choisi Versailles. Il en fut solidaire de fait. Et cela a suffi. « Paris toute vérité, Versailles tout mensonge », conclura Marx sans nuance dans La Guerre civile en France. Les deux camps étant exclusifs l’un de l’autre, il n’y avait donc pas plus d’espace politique pour une troisième voie qu’il n’y en eut pour celui qui avait souhaité l’incarner. Préfigurant dès lors ce que plus tard personnifieront les Millerand, les Briand, les Guesde… Tolain restera le « renégat » du socialisme, le « traître ».
« Condamné à ne plus avoir la confiance des ouvriers et à ne jamais conquérir celle des bourgeois » (Le Gaulois, 19 juin 1871), Tolain ne retint pas par la suite l’attention des historiens, quels qu’ils fussent. L’histoire ne lui pardonna pas l’adultère politique auquel ses contemporains l’avaient réduit. Injustement ? Retour ici sur quelques uns des jalons de la trajectoire du plus célèbre inconnu des internationaux.
Un nom pour soixante (1861-1864) :
« Je suis un inconnu et je demande vos suffrages », écrit Tolain en première ligne de sa profession de foi aux élections législatives de mars 1864. Cette année-là, en effet, le nom du bronzier, apparu jusqu’alors tantôt tronqué (comme lorsqu’il signa d’un « T…, Ouvrier ciseleur » sa première lettre ouverte parue au mois d’octobre 1861), tantôt noyé (parmi les 59 autres du futur célèbre « Manifeste », dit des Soixante, publié quelques semaines avant l’échéance électorale), s’affiche alors seul, et en toutes lettres, au regard de tous.
Candidat inconnu du grand public, Tolain n’en est cependant pas moins, à cette date, un représentant estimé du Paris ouvrier ; l’un des porte-voix de ses aspirations les plus élémentaires, et de celle qui les cristallise toutes : l’indépendance ! Une indépendance – du Travail, des travailleurs… – qu’à l’occasion de l’envoi des délégués des corporations professionnelles à l’Exposition Universelle de Londres à l’été 1862, l’obscur bronzier, nommé secrétaire-adjoint de la Commission patronnée par le Prince Napoléon, avait alors revendiquée sans génuflexion auprès de l’Empereur… De là son estime chez tous les ouvriers du Second Empire qui ressentaient l’humiliation de vivre sous la tutelle du pouvoir.
Les élections législatives de 1863-1864 sont une nouvelle occasion pour Tolain de faire entendre sa voix. Une première fois rayé des listes au profit des quelques grands noms de l’opposition libérale, le candidat démissionnaire réaffirme pourtant dans ses Quelques vérités… la nécessité d’une députation ouvrière à l’Assemblée : « l'élection d'un ouvrier serait d'un effet moral autrement puissant que le discours d'un avocat ou d'un journaliste […] Nous n'avons pour nous faire entendre que la grande voix du suffrage universel ».
Aussitôt reprise, discutée, l’idée fait son chemin dans les ateliers et trouve finalement son prolongement dans ce qu’il conviendra plus tard de reconnaître comme l’acte de naissance politique de la classe ouvrière en France : le Manifeste des Soixante ; soit la première expression du monde du travail qui, parue le 17 février 1864 dans L’Opinion Nationale, articule aussi clairement ses revendications – l’organisation du crédit mutuel, la création des chambres syndicales, l’égalité sociale, etc. – à l’exigence de leur relai par des porte-paroles issus de ses rangs.
Or la publication du Manifeste, que suivit peu de temps après l’annonce de la candidature Tolain, fit immédiatement scandale. Toute la presse aux ordres de la notabilité d’Empire en relaya tour à tour l’expression du mépris, de la haine, de la peur aussi… Une peur patente dans la publicité donnée aux « contre-manifestes » – dits des « 80 », des « 95 »... ! – qui surgirent aussitôt dans une surenchère de signatures plus ou moins stipendiées, et dans celle apportée aux vraies-fausses « candidatures ouvrières », discrètement préparées par le Palais royal.
La candidature Tolain fut un échec. Une humiliation ? Il n’en demeurait pas moins que le Manifeste et l’existence même d’une candidature ouvrière attestaient la place nouvelle des travailleurs sur la scène politique.
Le cicérone des internationaux français (1864-1866) :
Emise ça et là au gré des contacts maintenus entre les ouvriers du continent et ceux d’outre-Manche, l’idée d’une organisation internationale fédérant ensemble les travailleurs de tous les pays pour la défense de leurs intérêts avait rapidement trouvé de l’écho. Et au mois de septembre 1864, Londres accueillit le meeting inaugural de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT).
Tolain et le petit groupe ouvrier issu de sa précédente aventure électorale en constitue la section parisienne. Revenu de Londres, le petit état-major des « internationaux » s’installe au 44 rue des Gravilliers et, dès lors, se met à l’œuvre – à l’étude ! Car pour tous ceux de cette génération qu’afflige le souvenir des massacres de juin 1848, le temps n’est pas à la révolution… Les traumatismes ont la vie dure et, conséquemment, déteignent sur les couleurs du socialisme des « gens de métier » : ces artisans-ouvriers que sont les relieurs, les mécaniciens, les peintres, les menuisiers, graveurs, fondeurs, ferblantiers, etc. ; ces bronziers surtout qui composent alors l’élite de la classe ouvrière et le gros des rangs de la jeune association. Mutualistes et coopérateurs pragmatiques, ces militants savent bien sûr exploiter les marges de manœuvres que concède l’Empire et, profitant d’une législation plus libérale, multiplient les sociétés de secours mutuels, les coopératives, etc. Mais, d’un autre côté, ils sont convaincus que ce qu’ils nomment le « féodalisme financier » résulte moins de l’antagonisme structurel des rapports sociaux capitalistes que d’un défaut de rationalité économique. Pour tous ces ouvriers, le « socialisme » n’est donc pas révolutionnaire, mais une « solution » – intellectuelle – au « problème » économique : une vérité d’initiés, livresque ; une pierre philosophale, une « science ». Et que tous entendent alors trouver chez celui dont l’idéal répond étroitement aux aspirations toutes aussi anticapitalistes que conservatrices propres à leur milieu de petits propriétaires de l’artisanat qualifié : Proudhon.
« Il n’a pas peur de l’étude solitaire, des longues veillées passées en tête à tête avec les Pères de l’Église économique et les Pères de la Révolte sociale, écrira Vallès, plein d’ironie, à propos du bronzier dans L’Insurgé. Avec quatre ou cinq volumes de Proudhon, cela a fait le compte […] Il deviendra un savant – il l’est. » Le père de « l’Église économique » (Proudhon) étant mort, Tolain relaie alors les fondamentaux de la « religion nouvelle » auprès des internationaux de Paris. Une petite église en effet qui, à l’abri des mouchards de Napoléon-Tibère comme du persiflage des blanquistes-pharisiens, communie tous les jeudi soir « dans cette petite chambre de 4 mètres de long sur 3 mètres de large » du 3ème arrondissement de Paris.
« Si la cause de l’obscurantisme a le denier de Saint-Pierre, écrivent-ils dans la brochure qu’ils éditent à l’occasion de la Conférence de Londres tenue en 1865, nous devons trouver le Denier du progrès qui servira à faire jaillir l’étincelle génératrice du foyer humanitaire et social ». Aussi, le groupe qu’encadre le bronzier se met-t-il à l’étude et, en prévision du prochain congrès de l’Association, rédige le Mémoire censé décliner « les voies scientifiques » de l’émancipation à venir du prolétariat.
Ouvriéristes, anti-étatiques, et quelque peu misogynes aussi, les thèses du Mémoire que défendent les Gravilliers au congrès de l’Internationale réuni à Genève en septembre 1866, portent sans conteste l’estampille de leur source d’inspiration principale… Aussi, tous projetés vers l’horizon mutuelliste du philosophe bisontin et, comme lui, de fait, très circonspects au sujet du recours à la grève – jugée « néfaste » – que promeuvent les délégués d’outre-Manche, nos proudhoniens plaident pour faire de l’Internationale l’embryon de la future mutualité universelle.
Les uns et les autres restant campés sur leur position respective, la motion de synthèse à laquelle on aboutit au terme du débat – houleux – ne devait tromper personne. Mais si la délégation parisienne ne réussit pas à gagner le congrès à ses vues, elle peut s’enorgueillir d’avoir su contrebalancer l’hégémonie trade-unioniste et, surtout, se réjouir d’avoir su rallier à elle les délégués des sections lyonnaise et rouennaise. Sous l’égide du ciseleur qui la mène, la section française en ressortie unifiée.
Un pied dedans, un pied dehors (1867-1869) :
Au cours de la période suivante, l’accélération de la crise politique et le bouleversement de la situation sociale révèlent peu à peu l’extériorité du ciseleur par rapport à l’évolution du mouvement ouvrier et précipitent la perte d’influence du proudhonien sur une Internationale – et des internationaux – en pleine mutation.
Non que Tolain ménage sa peine par ailleurs. Bien au contraire, l’énergie militante qu’il déploie tout au long des trois années qui suivent le congrès de Genève est proprement prodigieuse : le nom du bronzier s’affiche semble-t-il alors partout. D’abord dans la presse où, après sa participation aux numéros sans lendemain de La Presse ouvrière, de La Fourmi et de la Tribune ouvrière, il chronique alors régulièrement pour Le Courrier Français. Dans les colonnes de ce dernier, non sans emphase mais toujours très pédagogue, Tolain se fait inlassablement le vulgarisateur du principe coopératif, des mécanismes du crédit gratuit, de la société mutuelle à venir… Et cela sans compter les adresses et les protestations qu’il expédie à toutes les rédactions : ici en solidarité avec le peuple polonais, là en soutien aux insurgés d’Irlande – cette « Pologne anglaise » –, ici et là contre la guerre qu’il voit poindre avec angoisse depuis la victoire de la Prusse à Sadowa…
Partout le ciseleur prend la parole : à l’occasion de l’enterrement de tel héros du combat démocratique, d’une procession sur la tombe de tel autre, d’un rassemblement contre l’expédition militaire de l’Empereur en Italie, d’une célébration commémorative un 14 juillet, d’un banquet réunissant les anticléricaux et libres-penseurs de Paris pour « manger du porc un vendredi saint ! »… Mais il atteint des sommets lorsque, bénéficiant de la loi de juin 1868 autorisant l’organisation des réunions publiques, Tolain se présente à la tribune des salles Molière, de La Redoute, du Vaux-Hall… Là, face à un parterre de 2 à 3000 personnes, le Démosthène des ateliers donne libre court à ses talents oratoires. Et c’est tout le Paris populaire qui, chaque semaine, l’ovationne.
Mais bronzier établi « à façon » – c’est-à-dire seul dans son atelier, et donc extérieur aux « maisons » rassemblant les ouvriers de la profession –, Tolain, qui ne participe déjà que de façon très symbolique à la grande grève qui secoue la corporation du bronze au printemps 1867, ne contribue pas aux cadres de reconstruction du mouvement ouvrier. Etranger à la Commission ouvrière qui, dans le sillage de l’Exposition universelle de Paris (1867), réunit les délégués des corporations de métier de toute la capitale, étranger aussi aux réclamations des chambres syndicales que celle-ci finit par obtenir de l’Empereur l’année suivante, étranger enfin à la vague déferlante des grèves qu’organisent et soutiennent les internationaux de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières créée au sortir des deux premiers procès de l’Internationale, Tolain se coupe des perspectives de la classe ouvrière organisée. En ces temps de renouveau de la combativité et de son expression nouvelle – la grève –, la « société d’étude » du bronzier ne recueille pas les faveurs des travailleurs en lutte.
Aussi la seconde période de l’Internationale lui échappe. Auréolé d’un certain prestige mais de plus en plus isolé, fragilisé de surcroît par le retour des accusations de compromissions avec le Palais Royal, Tolain n’est bientôt plus le cicérone des internationaux de France qu’il fut auparavant : ébranlé au congrès de Lausanne (1867), activement combattu à celui de Bruxelles (1868), Tolain est définitivement vaincu à Bâle (1869) où, centrés sur la question de la propriété, les débats du congrès se soldent par la mise à l’écart définitive du proudhonien français. La résolution en faveur de la propriété collective recueillant 53 voix pour, 13 abstentions et seulement 4 contre – dont celle de celui qui, signe de son éloignement des cadres d’organisation de la classe ouvrière parisienne, se présente alors comme délégué des boulangers de Marseille (!).
« Choisir de ne pas choisir » (1869-1871) :
À partir de l’été 1870, la déroute du régime, la proclamation de la République et, finalement, l’insurrection de la Commune de Paris accélèrent le cours de l’histoire et obligent ses acteurs à une détermination politique à laquelle il n’est pas possible de se soustraire. Tolain tentera d’y échapper ; sans succès.
Tolain n’est pas révolutionnaire. Issu d’une génération militante fortement marquée par le drame de juin 1848 et revenue déçue des illusions quaranthuitardes, Tolain ne nourrit pas moins d’aversion pour le philanthropisme de Napoléon que pour l’auteur des Instructions pour une prise d’arme... Son itinéraire, son statut d’ouvrier-artisan, son armature idéologique et ses aspirations socialistes excluent la barricade. Aussi, réformiste, Tolain s’inscrit-il dans le jeu des institutions.
Nommé puis élu adjoint à la mairie du 11ème arrondissement au lendemain du 4 septembre, Tolain qui, malgré son éviction des listes républicaines aux élections de 1869, tire alors une certaine renommée de son intervention dans la campagne antiplébiscitaire d’avril 1870, défend alors une politique de soutien critique vis-à-vis du Gouvernement de Défense Nationale. C’est qu’après s’être prononcé contre la guerre, Tolain – comme tous les internationaux –, s’enflamme pour la cause patriotique dès lors que, Napoléon fait prisonnier par l’armée prussienne, Bismarck entreprend le démembrement du territoire français. Comme tous les Parisiens, il endure alors les souffrances du siège et, résolu à ne pas capituler, s’alarme des pourparlers de paix qu’entreprend Favre au nom du gouvernement provisoire.
Mais le tumulte de l’insurrection l’inquiète et si l’on ne trouve évidemment pas trace de sa participation à la révolution du 4 septembre, à plus forte raison n’en trouvons-nous pas à l’occasion de celle du 31 octobre : « Il ne faut pas rétablir aujourd’hui un comité de salut public qui ferait des arrestations au lieu de décréter la victoire », tempête-t-il à l’adresse des internationaux réunis au lendemain de l’insurrection. Polarisé par l’agenda électoral et de plus en plus coupé des cadres militants du mouvement ouvrier, il s’en éloigne chaque jour davantage. Dès lors, son élection à l’Assemblée début février et l’exil bordelais qui s’ensuit (l’Assemblée se réfugie dans la capitale girondine au sortir des élections) contribue encore à l’isoler de l’effervescence qui gagne alors Paris.
Demeuré « fidèle » à son mandat, l’élu républicain dans cette chambre monarchiste multiplie les interventions contre les préliminaires de paix, proteste activement contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine, vitupère contre l’état de siège et contre l’installation de l’Assemblée à Versailles… Reste que ses réclamations en faveur de l’abrogation des articles 291 et 292 du code Pénal ou celles portant sur l’abolition de la loi du 10 avril 1834 relative au droit d’association, pourtant sans cesse revendiquées par le mouvement ouvrier, relèvent à l’heure de l’insurrection quelque chose d’anachronique. Tout comme peut être considérée anachronique l’entreprise de « réconciliation » à laquelle il se livre avec les maires et députés de la Seine au lendemain de l’affaire des canons de Montmartre. Tous cherchant vainement un compromis entre le gouvernement Thiers et le Comité Central de la Garde Nationale dans l’espoir, illusoire, d’une issue pacifique au conflit.
Un temps donné pour démissionnaire, Tolain reste pourtant à l’Assemblée. Et s’il n’en continue pas moins de plaider la « cause » des ouvriers, c’est à Versailles qu’il choisit de demeurer pour la défendre :
- « M.Tolain : Si vous voulez sauver la patrie et la République…, donnez aux maires de Paris comme aux représentants de la Seine les moyens pratiques d’arriver au but. Faites que ce peuple en insurrection, qui à tort ou à raison, je ne discute pas de ça…
- Un membre : Comment à tort ou à raison ! […]
- M.Tolain : Voulez-vous, Messieurs, […] que je dise à tort ? Eh bien, oui, à tort. Si j’avais cru l’insurrection juste, si j’avais cru l’insurrection raisonnable, croyez-vous que je ne serais pas à l’hôtel de ville, moi ? Oui, j’y serais ».
Tolain tergiverse et refuse dans un premier temps de s’associer à l’organisation des élections communales fixées pour le dimanche 26 mars par le Comité central puis, finalement, y consent. Or battu, et ne recueillant que 283 voix dans le 11ème arrondissement, Tolain en désavoue bientôt la légitimité. Les Versaillais le moquent et les Parisiens le rejettent.
Au ban de l’Internationale… (1871-1897)
« J’ai cru, pendant le siège, que toutes les classes de la société, se rencontrant dans les rangs des défenseurs, se fonderaient ensemble et scelleraient de leur sang une sainte union », se justifie-t-il. Puis, laissant poindre son amertume : « Moi, prolétaire, ouvrier, qui ai rêvé l’émancipation de ma classe, je me suis éloigné de mes amis ».
Bien plus qu’il ne l’imagine cependant. Aussi divisés soient-ils, les internationaux de Paris, tous communards, sont unanimes au sujet du « cas Tolain ». Réuni à la mi-avril, le Conseil fédéral écrit, sans appel :
« Considérant que le sieur Tolain, nommé à l’Assemblée nationale pour représenter la classe ouvrière, a déserté sa cause de la manière la plus lâche et la plus honteuse, le Conseil fédéral parisien de l’Internationale le rejette de son sein et propose au Conseil général de Londres de consacrer cette expulsion ».
Ce qui sera chose faite, le 25 du même mois, dans une résolution signée par Friedrich Engels et dans laquelle on peut lire que le Conseil général,
« considérant que la place de tout membre français de l’Association Internationale des Travailleurs est, sans aucun doute, à côté de la Commune de Paris et non dans l’assemblée usurpatrice et contre-révolutionnaire de Versailles, confirme la résolution du Conseil Fédéral de Paris et déclare le citoyen Tolain expulsé de l’Association Internationale des Travailleurs ».
Celui que les minutes du Conseil Général ou les procès-verbaux des congrès de l’Association avaient toujours nommé « citoyen », en référence à la terminologie révolutionnaire en usage dans les milieux socialistes de l’époque, n’est plus que « sieur Tolain » ; « Monsieur Tolain », comme le qualifiera Marx avec mépris lors de la Conférence de Londres de septembre 1871. Une dénomination bourgeoise, bientôt cependant remplacée par d’autres qualificatifs autrement plus injurieux, tels que « le traître » ou « le Versaillais ! ».
« Traître » ? Tolain n’a jamais fait de profession de foi révolutionnaire. « Versaillais » ? Il fut la voix qui, à Versailles, et sous les quolibets, se prononça contre les exécutions des communards arrêtés, contre l’expédition de MacMahon aboutissant aux massacres que l’on sait, contre enfin la loi Dufaure proscrivant l’Internationale et châtiant ses affiliés ; pour la clémence des tribunaux, l’amnistie des condamnés, le retour des déportés…
Rien n’y fit. Pas plus à cette époque qu’au cours du reste de sa vie où, à l’Assemblée comme au Sénat (il y est élu en 1876), il défendit sans relâche les intérêts de la classe ouvrière ; telle qu’en tout cas il entendait la défendre.
… et de l’Histoire.
Comment comprendre que, s’il n’a pas trahi, Tolain n’a pas suivi la trajectoire politique de ceux qui, proudhoniens comme lui, se sont révélés révolutionnaires avec la révolution ? Serait-ce là la force d’inertie d’une idéologie trop profondément ancrée, trop résistante aux bouleversements politiques ? La résultante de l’impossible oubli du traumatisme de juin 1848 ? Celle de son éloignement du chaudron parisien et de sa montée en température jusqu’à l’ébullition du 18 mars ? Le changement brutal de ses conditions de vie de parlementaire, autrement plus confortables que celles de l’ouvrier qu’il fut toute sa vie d’avant ? Sans doute faut-il y voir la conjonction d’un peu tous ces facteurs. Tolain ne laissant ni témoignage ni mémoire pour nous renseigner à ce sujet, nous ne pouvons que spéculer.
Tolain, longtemps encore, promena dans les jardins du Luxembourg son petit corps « maigre et sec » avec ce « caractéristique déhanchement des faubourgs », son « chapeau mou » recouvrant d’ordinaire sa « tête chauve » et son « beau front », sa « face étroite » disparaissant presque sous une « forte barbe vert-de-gris » d’où n’émergeait que la « trompette » d’un petit « nez camus ». Tolain, malade depuis quelques temps (on parle de congestion pulmonaire, de pneumonie…) s’éteint le 4 mai 1897, à l’âge de 69 ans. Transporté sans pompes au cimetière Montparnasse, il y sera enterré sans discours ; disparaissant sans femme ni enfants et, surtout, sans postérité.
« On a prétendu que Tolain avait abandonné, sinon renié ses opinions socialistes, écrivit Arthur Ranc pour Le Radical, dans l’édition du 7 mai. Cela est tout à fait injuste. Il est resté jusqu’à sa dernière heure le socialiste qu’il était sous l’Empire ». Ce n’est sans doute pas faux ; et, venant de la part d’un ancien membre de la Commune, peut-être d’autant plus mesuré.
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