MOLCER 5, Jean-Guillaume Lanuque

 

            Dans les rayonnages des bibliothèques, dorment des livres dont l’importance n’a pas toujours été estimée à sa juste mesure. Témoignages d’acteurs du mouvement ouvrier, d’observateurs de révolutions plongés au cœur du maelstrom, études d’historiens professionnels ou autodidactes… Tous, ils ont quelque chose à nous apprendre, et ce sera l’objet de cette rubrique que de les remettre en lumière, de les replacer dans le cours de l’histoire, également, afin que la transmission puisse se poursuivre.

En 2004, l’universitaire d’origine italienne Silvia Federici (née en 1942), ayant enseigné au Nigeria et aux Etats-Unis, publiait un ouvrage reprenant et élargissant une étude proposée trente ans auparavant. Un regard d’importance qui revisitait une phase cruciale de l’histoire vue au prisme marxiste, celle de l’émergence du capitalisme et de la fameuse accumulation primitive. Ce faisant, elle s’inscrivait également dans une optique influencée par les gender studies et les colonial studies étatsuniens.

Débutant l’analyse en se penchant sur les derniers siècles du Moyen Âge européen, elle insiste sur les progrès de l’autonomie paysanne et le recul du servage à travers une lutte de classe agitant le monde féodal, qu’elle présente comme endémique. Les exemples de résistances aux corvées seigneuriales, aux obligations militaires, aux impôts de différentes sortes, sensibles entre autres au XIIIe siècle, conduisirent en plusieurs endroits à l’obtention de chartes et de règlements permettant de limiter voire d’éviter les abus des seigneurs. Mais la transformation croissante des services payés en argent et non plus en travail eurent comme effet d’élargir les divisions sociales au sein de la paysannerie, dont certains des membres s’appauvrirent. Autant de forces vives perméables aux mouvements millénaristes et hérétiques du temps. Silvia Federici insiste surtout sur les hérésies, dans lesquelles elle repère « moins une déviation par rapport à la doctrine orthodoxe qu’un mouvement de contestation, aspirant à une démocratisation radicale de la vie sociale » (p. 60). Elle va jusqu’à faire de ce mouvement dans son ensemble, marqué par un cadre organisateur bien réel, la « première "Internationale prolétarienne" » (p. 61 – les guillemets sont de l’auteure), insistant en particulier sur la place plus favorable qu’il accordait souvent aux femmes. Parallèlement, l’Inquisition fit également évoluer ses accusations, insistant sur la licence sexuelle débridée des hérétiques, une étape conduisant vers les futures chasses aux sorcières de l’époque moderne. De même, les ouvriers des villes, proches des idées hérétiques, menaient au XIVe siècle d’importantes luttes contre la bourgeoisie, la noblesse et le clergé, poussant vers ce que Silvia Federici nomme une « démocratie ouvrière »...

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[1] Silvia Federici / Leopoldina Fortunati, Il Grande Calibano. Storia del corpo sociale ribelle nella prima fase del capitale, Milan, Franco Angeli Editore, 1984

 
 
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