MOLCER 5, Hervé Chuberre

Ce qui aujourd’hui semble une évidence – effectuer un calcul à la main en écrivant des nombres à l’aide des chiffres arabes – est en réalité le résultat d’une farouche polémique qui opposa, du XIIe s. au XVIe s. en Europe occidentale, les abacistes aux algoristesLes premiers défendaient l’usage des chiffres romains, ignoraient le zéro et effectuaient les calculs au moyen de jetons sur une table à compter (l’abaque). Les seconds réalisaient les calculs à la plume sur papier au moyen de chiffres arabes et dont le zéro avait un rôle fondamental. La première méthode a été léguée par la civilisation gréco-romaine, la seconde est due à la civilisation indienne et a été transmise par les Arabes qui servirent d’intermédiaires entre l’Inde et l’Occident. Nous examinerons successivement l’origine du zéro, les abaques et leurs successeurs que sont les bouliers-compteurs, les protagonistes de la querelle entre abacistes et algoristes, le fondement ainsi que les étapes de cette querelle puis son issue.

Étymologie et origine du zéro

Zéro, çunya en sanskrit, veut dire vide. Traduit en arabe par sifr, qui signifie également vide, puis, traduit en latin par le mathématicien italien Leonardo Fibonacci (v. 1170 – v. 1250) dit « Léonard de Pise », il devint zephirum (utilisé jusqu'au XVe s.). Traduit en italien, cela donna zephiro en 1491 puis finalement zéro par contraction en français. Parallèlement, sifr donna cifra en latin puis chiffre en français et ziffer en allemand. En anglais, zéro se dit cipher parfois et le plus souvent zero. En suédois, siffra signifie homme de rien. Ce n'est qu'à partir de 1486, avec le mathématicien français Nicolas Chuquet, que chiffre a acquis son sens moderne. Au début, chiffre voulait dire également zéro de par son origine étymologique, et on employait plutôt figures et numero pour désigner les chiffres indiens ; c'est ce qui explique que les Anglo-saxons utilisent encore aujourd’hui les mots figure et numeral dans ce sens. Ce zéro, concept fondamental de l’arithmétique, manqua aux grandes civilisations babyloniennes, égyptiennes et grecques. Inventé au Ve s. par le mathématicien et astronome indien Brahmagupta (598-660), il a permis la généralisation progressive des méthodes de calcul correspondantes. Son utilisation en Europe à partir du XIIe s. débloque une arithmétique qui stagnait depuis Euclide et Archimède.

De l’abaque au boulier-compteur

Abaque provient du latin abacus et désigne un objet à surface plane pouvant servir à différents usages, comme une table permettant d'effectuer des calculs. En grec, abax signifie table à poussière. Cette table comporte des lignes parallèles figurant les unités, les dizaines, les centaines… On y place un nombre de jetons correspondant aux unités, aux dizaines, etc., du nombre à représenter. L'usage des abaques s'est répandu dans de nombreuses régions du monde, à différentes époques, mais toujours sous des formes similaires. En Europe, les Grecs, les Étrusques et les Romains l'utilisèrent dans l'Antiquité. En Orient, son usage était déjà connu des Chinois et des Japonais. De l'Inde, elle fut transmise aux Perses et aux Arabes. L'abaque retrouvé en 1846 dans l'île de Salamine – île grecque de l'Attique – aujourd'hui conservé au Musée national épigraphique d'Athènes, est le témoignage le plus ancien de cet instrument de calcul. Datant probablement du Ve s. avant notre ère, il est formé d'une grande plaque de marbre blanc, longue de 150 cm et large de 75 cm, sur laquelle sont gravées des rainures parallèles et équidistantes...

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