MOLCER 5, Marc  Belissa

 Lors de la Révolution anglaise qui commença en 1642 et qui aboutit à l’exécution du roi Charles Ier en 1649 et à l’établissement de la République de Cromwell jusqu’en 1660, des groupes politico-religieux aux aspirations démocratiques apparurent et prirent la parole pour défendre leurs revendications politiques et sociales et une vision du monde qui apparut aux conservateurs du temps comme une inversion de toutes les hiérarchies, comme un « Monde à l’envers » selon le titre d’un des ouvrages de l’historien Christopher Hill (1912-2003).

Le « Monde à l’envers »

La Révolution anglaise a été un moment d’intense politisation et de contestation de l’ordre social. Ces contestations ont souvent pris la forme de débats religieux. Avant la Révolution, ceux que l’on appelait les « puritains » souhaitaient une réforme plus ou moins radicale de l’Eglise : on voulait soit l’abolition de l’épiscopat soit une diminution du pouvoir temporel des évêques, une liturgie épurée et l’installation d’un clergé instruit et capable de prêcher selon la parole de Dieu. Dès le début de la Révolution, les groupes informels de protestants qui ne se reconnaissaient plus dans l’Eglise d’Angleterre purent sortir de leur clandestinité relative et s’organisèrent sans trop d’obstacles, du fait de la quasi-disparition des capacités de censure et de répression de l’Eglise prérévolutionnaire. L’effondrement des institutions ecclésiastiques permit donc la prolifération de ces groupes qui fondèrent des congrégations, des groupes libertaires, défendant les positions les plus hétérodoxes. Ces groupes avaient souvent en commun le refus absolu de l’autorité de l’Église et de sa hiérarchie, une approche libertaire des relations sociales (emploi du tutoiement, promotion de l’égalité des hommes devant la foi, promotion du rôle des femmes dont certaines étaient autorisées à prêcher, refus du baptême des enfants pour les baptistes), le millénarisme, la revendication de la liberté de parole et d’interprétation de l’Écriture. Certains de ces groupes étaient même ouvertement non-chrétiens, refusant le Diable, l’Enfer, le péché, ils revendiquaient une liberté entière des corps et la mettaient en pratique par le refus du mariage. Le joug du roi, des riches, des gentlemen était remis en cause comme une manifestation de l’Antéchrist par ces groupuscules enthousiastes. La Bête, le Mal, c’était l’État, monarchique ou républicain. Les prêcheurs baptistes traversaient le pays, organisant des meetings, et défendaient des idées qui apparaissaient comme anarchistes aux autorités. En effet, les autorités parlementaires avaient tenté de rétablir une forme de censure en 1643 mais ces tentatives ne pouvaient pas grand-chose contre le flot de publications dissidentes. En 1645, les presbytériens anglais et écossais renforcèrent la répression contre les « hérésies » diffusées par ces groupes. Les puritains dits « Indépendants » comme Oliver Cromwell défendaient pourtant leur droit à l’expression et refusaient la censure en matière religieuse (sauf pour les catholiques considérés comme des agents de l’étranger). Le poète anglais John Milton, partisan de Cromwell, défendit en 1644 la liberté d’expression et la circulation des imprimés dans son pamphlet intitulé Aeropagitica.

Les Niveleurs

La Révolution voit également l’apparition (certes éphémère) d’un mouvement plus directement politique et quasi démocratique : les Niveleurs (Levellers en anglais). Ce mouvement apparaît dans les années 1645-1646. Il s’exprime notamment à travers trois pamphlétaires qui reflètent une partie de l’opinion populaire, à Londres et dans l’armée. C’est incontestablement un mouvement minoritaire mais dont les idées correspondent sans doute à une partie non négligeable des couches populaires urbaines. Dans la bataille des imprimés des années 1640, ces trois écrivains issus de la gentry et du middling sort défendent des positions radicales en matière sociale, politique et religieuse. John Lilburne, William Walwyn et Richard Overton se battent tout d’abord en faveur de la liberté de la presse, de la liberté de penser et de la liberté de culte. Le plus célèbre de ce « trio » est John « Free-Born » Lilburne. Avant la Révolution, il se fait déjà connaître par une série de pamphlets séditieux, il est emprisonné, mis au pilori et fouetté pour ses écrits contre la politique royale. Auteur de plus d’une centaine d’écrits, il s’engage très tôt dans la lutte contre la confiscation de la Révolution par les notables et les presbytériens. D’abord proche de Cromwell, il s’en détache en 1645 et il est emprisonné en 1646-1647 pour avoir attaqué la Chambre des Lords. Ses écrits de prison sont des brûlots contre les élites parlementaires, les évêques, les riches et la corruption. En 1645 déjà, John Lilburne écrit le England’s Birthright Justified (Justification du droit imprescriptible de l’Angleterre) dans lequel il exige une justice égale pour tous et en anglais, la suppression des monopoles économiques et religieux et, surtout, l’élection annuelle d’un Parlement au suffrage universel. Il exprime vivement sa conviction que « le plus pauvre ici-bas a autant le droit de voter que le plus riche et le plus grand ». William Walwyn est un marchand de Londres, il est proche des baptistes et défend l’égalité absolue de tous les hommes et la tolérance religieuse. Dans une série de pamphlets publiés au début des troubles révolutionnaires, il prend fait et cause pour le Parlement. Il appuie Lilburne et le rejoint dans sa défense d’une réforme démocratique radicale. Richard Overton est imprimeur ; il se rapproche de Lilburne et Walwyn et donne une coloration encore plus sociale aux pamphlets niveleurs. Le terme leur est accolé, comme souvent dans le cas des mouvements révolutionnaires, par leurs ennemis qui y voient une insulte. Le mouvement niveleur connaît son paroxysme entre 1646 et 1649 et surtout au moment des révoltes et des mutineries de 1647 dans l’armée parlementaire, comme nous le verrons plus loin.

Les Diggers

Le 1er Avril 1649, un groupe de paysans pauvres prend possession des friches de la colline Saint Georges dans le Surrey, près de Londres, et entend en faire le point de départ d’une réappropriation collective générale des terres communales d’Angleterre par le peuple entier. L’expérience dure un an : ces Diggers (en français « Bêcheux » ou « Piocheurs ») disparaissent en avril 1650. La douzaine de communautés les ayant imités disparaît en même temps. De cette expérience, il nous reste les textes de Gerrard Winstanley, l’inspirateur des Diggers. En avril 1649, il a déjà écrit quatre textes théologiques et un ouvrage « théologico-politique », La Nouvelle Loi de Justice. En un an, il rédige quinze traités....

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