MOLCER 5, Loïc Le Bars

 Cet article porte sur les débats qui, au début du vingtième siècle, se sont menés, au sein du mouvement ouvrier et plus particulièrement parmi les instituteurs syndicalistes, pour définir l’éducation et donc l’école dont la classe ouvrière avait besoin pour l’aider à mener son combat émancipateur et pour déterminer dans quelle mesure l’école laïque « bourgeoise » pouvait devenir cet instrument de libération ou au moins aider à son avènement. Il abordera aussi les tentatives de ces instituteurs influencés par le syndicalisme révolutionnaire pour associer les syndicats ouvriers à leur démarche. Ces tentatives échoueront, et le syndicalisme enseignant se contentera de définir les grands principes d’une telle éducation sans parvenir à les traduire en termes de revendications susceptibles de s’intégrer dans leur stratégie syndicale.

Mais avant d’aborder ces différentes questions, il n’est peut-être pas inutile de donner quelques points de repère historiques :

- 1900-1903 : essor du mouvement des amicales dans l’enseignement et en particulier dans le premier degré

- 1903-1904 : création des « Emancipations », amicales ne regroupant que des instituteurs et institutrices adjoints en lutte contre l’autoritarisme des directeurs. Les Emancipations ne tardent pas à se transformer en syndicats

- 1905 : fondation de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs et d’institutrices ((FNSI) en but à la répression gouvernementale (le droit syndical est refusé aux fonctionnaires)

- 1910 : premier numéro de L’Ecole émancipée ; adhésion effective de la FNSI à la CGT

- 1915-1918 : La FNSI, seule fédération syndicale à maintenir jusqu’au bout une orientation pacifiste

- 1919 : la FNSI se transforme en Fédération des syndicats des membres de l’enseignement laïque (FSMEL) ; les amicales se syndicalisent et vont bientôt former le Syndicat national des instituteurs et institutrices de France et des colonies (SN)

- 1922 : la FSMEL participe à la création de la CGTU alors que le SN rejoint la CGT

- 1935 : réunification syndicale

   Quelle école pour la classe ouvrière ? Ce problème est à cette époque, et plus particulièrement entre 1905 et 1910, l’objet d’un débat qui intéresse l’ensemble du mouvement ouvrier et pas seulement les instituteurs syndicalistes. Tous ses protagonistes s’accordent pour reconnaître que l’école laïque est une « école de classe » mise en place par la bourgeoisie. Ils dénoncent le caractère idéologique de son enseignement. La morale, accusée de vouloir former de bons citoyens acceptant l’ordre établi, et l’histoire, imprégnée d’un patriotisme outrancier et belliciste, constituent leurs cibles favorites. De plus, sur le plan pédagogique, cet enseignement fait encore beaucoup trop appel à la mémoire.

Ce constat amène certains, essentiellement des militants anarchistes, à condamner sans aucune réserve l’école laïque et à la considérer comme aussi nocive que sa rivale confessionnelle. Mais d’autres, et parmi eux la quasi-totalité des instituteurs syndiqués, pensent que cette école bien que bourgeoise n’en constitue pas moins un progrès. Ils avancent comme argument le fait que la bourgeoisie dans son combat contre la « réaction cléricale » a dû s’appuyer sur l’esprit critique, la raison, la tolérance et que l’école laïque a intégré en partie et de manière déformée ces valeurs dans ses programmes, alors que l’école confessionnelle reste basée sur le dogme et l’obéissance aveugle. D’autre part, l’école publique laisse aux maîtres une certaine autonomie qu’ils peuvent utiliser pour infléchir leur enseignement et tenter de l’adapter aux besoins de la classe ouvrière. C’est là une conséquence de la volonté de la bourgeoisie de séparer hermétiquement les différents degrés de l’enseignement. L’école primaire est donc moins « polluée » par « l’idéologie bourgeoise » que les lycées. Il faut donc profiter de cette séparation, et la classe ouvrière doit faire de cette école son école. On retrouve là l’idéal syndicaliste révolutionnaire de « magnifier sans la nier » l’exclusion de la classe ouvrière du reste de la société. Les instituteurs révolutionnaires reprennent à leur compte l’opinion exprimée par Gustave Hervé dans son journal La Guerre sociale : « Notre école, c’est l’école laïque actuelle. » Ils ont par la suite constamment défendu cette position qu’ils qualifient volontiers de « dialectique » et que résume l’un d’eux en affirmant : « Les instituteurs syndicalistes révolutionnaires ont élevé des critiques très vives au sujet de l’école laïque tout en la défendant avec vigueur contre l'école confessionnelle. »

Cependant la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs rejette le monopole de l’enseignement au profit de l’Etat. Car elle estime que des écoles « pilotes », comme celle de Cempuis fondée par Paul Robin, peuvent permettre à des novateurs en matière pédagogique de pouvoir appliquer leurs méthodes qui se répandront par la suite dans l’enseignement public. L’élaboration d’une éducation « populaire » et adaptée aux besoins de la classe ouvrière nécessite aussi la création d’« écoles syndicales » où les maîtres révoqués pour leur militantisme pourront enseigner sous la direction des syndicats et des Bourses du travail. Encore faut-il définir ce que devra être cette éducation. C’est ce que les syndicats d’instituteurs se sont efforcés de faire....

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