MOLCER 5, Eric Aunoble

La place de l’Ukraine dans le « Monde russe », motif avancé par le Kremlin pour la guerre actuelle, posait déjà problème au moment de la Révolution de 1917. Depuis le début du XXe siècle, les partis se réclamant du socialisme tentaient d’imaginer de nouvelles relations entre les nations quand il s’agirait de détruire la « prison des peuples » qu’était l’Empire russe. Parmi la centaine de groupes ethniques asservis par les tsars, c’est la question de l’Ukraine qui devint centrale. Après le renversement de Nicolas II par la révolution de Février, elle provoqua même une crise politique majeure en 1917.
Pour comprendre l’importance du problème ukrainien, il faut souligner les spécificités du développement du capitalisme sur ce territoire. Les neuf provinces du sud-ouest de l’empire tsariste occupent une place doublement périphérique, vis-à-vis de la modernité ouest-européenne, mais aussi vis-à-vis du pouvoir russe, qui siège dans sa capitale nordique à Saint-Petersbourg. L’Ukraine est néanmoins connectée à un monde que la révolution industrielle et le capitalisme bouleversent.

Le développement du capitalisme en Ukraine
Elle acquiert à la fin du XIXe siècle le surnom de « grenier à blé » car ses céréales, qui représentent 11 % de la production de l’Empire, constituent 42 % de ses exportations. À côté du développement d’un capitalisme agraire, la découverte de minerai de fer à Krivoï-Rog et de charbon dans le Donbass permet l’essor de l’industrie. Ni l’État ni la bourgeoisie autochtone n’ayant les capitaux suffisants, il faut faire appel à des étrangers.
L’entrepreneur Gallois John Hughes reçoit une concession du gouvernement russe et construit mines et hauts fourneaux dans une ville qu’il fonde et qui porte son nom, Iouzovka (Hughes-ovka, aujourd’hui Donetsk). Lancée au début des années 1870, la production d’acier et de rails soutient l’effort d’armement russe et l’essor des chemins de fers tandis que les actions de la « New Russia Company Ltd. » donnent un rendement de 10 % annuels à la bourse de Londres. En 1900, l’Ukraine produit 70 % du charbon, 57 % du minerai de fer et de la fonte et 76 % des rails de tout l’empire russe.
Plus de la moitié des exportations de l’Empire et plus du quart de ses importations transitent par les ports de la Mer Noire (Odessa) et de la Mer d’Azov (Marioupol), désormais desservis par le chemin de fer. On voit par- là que l’Ukraine est essentielle pour le choix de développement de l’État russe, qui s’insère dans le marché mondial par la vente de ses matières premières. Cela renforce d’ailleurs l’intérêt stratégique des tsars à contrôler le littoral de la Mer Noire, objectif qu’ils ont atteint au XVIIIe siècle, dans la perspective de contester ensuite aux Turcs les détroits des Dardanelles et du Bosphore pour déboucher en Méditerranée...

Pour lire la suite achetez le numéo et abonnez-vous...

Tag(s) : #Articles, #MOLCER 5
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :